
Aux termes de l’art. 62 al. 1 de la loi fédérale du 9 octobre 1992 sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA; RS 231.1), celui qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur peut notamment demander au tribunal de l’interdire si elle est imminente ou de la faire cesser si elle dure encore.
Par œuvre, on entend toute création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel, indépendamment de sa valeur ou de sa destination (art. 2 al. 1 LDA). L’art. 2 al. 3 LDA assimile les programmes d’ordinateur (logiciels) à des œuvres.
Selon le principe du créateur ( Schöpferprinzip), l‘auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre (art. 6 LDA). L’auteur dispose sur son œuvre notamment de prérogatives morales (droit moral), dont le droit de paternité incluant le droit de faire reconnaître sa qualité d’auteur (art. 9 al. 1 LDA). L’intérêt d’une personne physique à faire constater qu’elle est l’auteur d’une œuvre déterminée existe toujours et ne saurait disparaître par l’écoulement du temps.
Une personne morale ne peut pas revêtir la qualité d’auteur au sens de l’art. 6 LDA. Cela ne signifie toutefois pas qu’une personne morale ne peut pas être titulaire de droits d’auteur sur l’œuvre. Selon l’art. 16 al. 1 LDA, les droits d’auteur sont en effet cessibles et transmissibles par succession. La qualité d’auteur d’une œuvre n’exclut ainsi pas que des droits d’auteur patrimoniaux puissent être cédés par l’auteur à une personne morale. En principe, tous les droits patrimoniaux qui découlent du droit d’auteur peuvent être transférés. Un tel transfert ne nécessite le respect d’aucune exigence de forme; il peut parfaitement être conclu tacitement, voire par actes concluants. Le transfert des droits d’auteur sur une œuvre confère à l’acquéreur la maîtrise juridique exclusive sur celle-ci.
La création d’une œuvre dans le cadre d’un contrat de travail n’empêche en principe pas l’employé d’acquérir le statut d’auteur. L’employeur peut toutefois prévoir contractuellement, préalablement et de manière globale, un transfert en sa faveur des droits d’auteur sur une œuvre créée par le travailleur dans le cadre des rapports de travail.
La LDA prévoit toutefois un régime particulier concernant les logiciels créés par un travailleur dans le cadre de son activité professionnelle.
Aux termes de l’art. 17 LDA, l’employeur est ainsi seul autorisé à exercer les droits exclusifs d’utilisation sur le logiciel créé par le travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles. Historiquement, le projet de loi sur le droit d’auteur soumis par le Conseil fédéral aux Chambres fédérales prévoyait, sur ce point, une réglementation calquée sur l’art. 332 al. 1 CO, raison pour laquelle la formulation de l’art. 17 LDA correspond dans une très large mesure à celle de l’art. 332 al. 1 CO.
L’application de l’art. 17 LDA suppose ainsi la réalisation de deux conditions cumulatives, dont la formulation est analogue à celle de l’art. 332 CO, à savoir que le logiciel en question ait été créé par un travailleur » dans l’exercice de son activité au service de l’employeur « et » conformément à ses obligations professionnelles « . Il doit dès lors exister un lien étroit entre la création du programme informatique et l’activité de l’employé au sein de l’entreprise concernée. Il ressort de la jurisprudence relative à l’art. 332 CO que les deux critères précités sont interdépendants, en ce sens que si l’employé accomplit une obligation contractuelle, il agit forcément dans l’exercice de son activité. Il n’est en revanche pas décisif que le travailleur ait conçu le logiciel pendant ses heures de travail ou durant son temps libre respectivement sur son lieu de travail ou ailleurs.
La nature juridique du régime prévu par l’art. 17 LDA est controversée. Plusieurs auteurs y voient une cession légale des droits du travailleur sur le logiciel en faveur de l’employeur. D’autres évoquent plutôt l’existence d’une licence légale, certains auteurs estimant que l’art. 17 LDA instaure une présomption légale en faveur de l’employeur lui conférant le droit d’utiliser le logiciel en question. Quoi qu’il en soit, le régime prévu par l’art. 17 LDA ne remet nullement en cause le principe du créateur selon lequel la personne physique qui a conçu le logiciel revêt le statut d’auteur au sens de l’art. 6 al. 1 LDA. Celui qui a créé un logiciel dans le cadre de ses obligations professionnelles conserve donc en principe le droit à la reconnaissance de sa qualité d’auteur. En vertu de l’art. 17 LDA, l’employeur se voit toutefois habilité, de par la loi, à exercer les droits patrimoniaux d’utilisation du logiciel concerné, lesquels englobent notamment le droit de modifier et d’adapter celui-ci.
Selon la doctrine majoritaire, l’art. 17 LDA ne s’applique toutefois pas aux logiciels créés par des collaborateurs dans le cadre de rapports relevant du droit public. La Confédération et les cantons concernés ont dès lors décidé, dès le début des années 2000, d’adopter des mesures sur le plan législatif aux fins de remédier à cette situation jugée insatisfaisante du point de vue de la diffusion la plus large possible des savoirs et de la promotion de la recherche. Cela s’est notamment traduit, au niveau fédéral, par une modification de la loi du 4 octobre 1991 sur les écoles polytechniques fédérales (LEPF; RS 414.110), entrée en vigueur le 1er janvier 2014, dont l’art. 36 al. 2 prévoit désormais que les droits d’utilisation exclusifs des logiciels que des personnes ayant des rapports de travail au sens de l’art. 17 LEPF créent dans l’exercice de leur activité au service de leur employeur reviennent aux EPF et aux établissements de recherche (cf. aussi le Message du Conseil fédéral du 27 février 2002 concernant la révision partielle de la loi fédérale sur les écoles polytechniques fédérales, FF 2002 3281). Les cantons ont également créé des bases légales prévoyant que les universités peuvent exploiter les logiciels créés par leurs chercheurs dans le cadre de leur activité pour le compte de l’établissement universitaire.
S’agissant des droits de propriété intellectuelle, les deux premiers alinéas de l’art. 70 de la loi du 6 juillet 2004 sur l’Université de Lausanne (LUL; RSV 414.11) énoncent ce qui suit:
» Art. 70 Propriété intellectuelle
1. A l’exception des droits d’auteur, l’Université est titulaire des droits de propriété intellectuelle portant sur toute création intellectuelle technique ainsi que sur des résultats de recherche obtenus par les membres du corps enseignant dans l’exercice de leurs activités au service de l’Université. Sont réservés les accords comportant des clauses de cession ou de licence en faveur de tiers ayant financé partiellement ou totalement les recherches.
2. Les droits exclusifs d’utilisation des programmes informatiques créés par les membres du corps enseignant dans l’exercice de leurs activités au sein de l’Université reviennent à cette dernière. «
Dans la décision attaquée, la cour cantonale constate que les parties [la recourante et l’Université de Lausanne] au litige étaient liées par un contrat de droit public, soumis à la LUL, et que la recourante, vu sa qualité d’assistante diplômée, faisait partie du corps enseignant. Elle observe que l’intéressée devait assumer des tâches administratives liées à l’enseignement ainsi qu’à la recherche et consacrait le reste de son temps à l’élaboration de sa thèse. La juridiction cantonale estime qu’il est vain de soutenir que l’art. 17 LDA ne trouverait pas application en l’espèce en raison de l’existence d’un contrat soumis au droit public, dès lors que les rapports de travail étaient de toute manière régis par la LUL, laquelle prévoit un régime identique à celui de l’art. 17 LDA en ce qui concerne les droits d’utilisation des programmes informatiques créés par des collaborateurs dans le cadre de leur activité professionnelle.
En l’occurrence, l’autorité précédente constate que la recourante a travaillé pour l’intimée en qualité d’assistante diplômée du 1er juillet 2006 au 30 juin 2011. La recourante, qui ne possédait pas de compétences en matière de programmation informatique lors de son engagement, a toutefois pu élaborer, au cours de son activité pour l’intimée et durant l’élaboration de sa thèse, des programmes permettant d’analyser le mouvement et le comportement des fourmis, grâce au travail préalable de son compagnon D.________, lequel avait développé des programmes pour déterminer la position des fourmis. La cour cantonale retient que le développement de logiciels ne figurait pas dans les différents cahiers des charges signés par la recourante. Cela étant, elle constate qu’il est notoire, dans le milieu académique, que la mention » travail de thèse » figurant dans un cahier des charges comprend toute démarche relative à la réalisation de la thèse en question. L’autorité précédente considère que les logiciels développés par l’intéressée étaient non seulement en lien étroit avec son activité mais qu’ils représentaient en outre un outil indispensable à la rédaction de celle-ci, puisque son travail n’aurait pas pu aboutir sans leur utilisation. Partant, si la recourante revêt certes la qualité d’auteur des programmes informatiques en question, les droits patrimoniaux sur les logiciels créés par elle reviennent à l’intimée.
Il n’est pas nécessaire de trancher ici la question de savoir si c’est l’art. 17 LDA ou l’art. 70 al. 2 LUL qui trouve application en l’espèce et si le régime juridique prévu par ces deux dispositions est identique. L’autorité précédente a considéré que la LUL réglait les droits d’utilisation des programmes informatiques de la même manière que l’art. 17 LDA. Or, la recourante ne conteste nullement cette interprétation de l’art. 70 LUL, raison pour laquelle il n’y a pas lieu de s’attarder sur ce point.
Fondant son raisonnement sur la prémisse, non contestée par la recourante, selon laquelle les conditions d’application des art. 17 LDA et 70 al. 2 LUL sont identiques, l’autorité précédente a considéré, à bon droit, qu’il doit exister un lien étroit entre la création du logiciel litigieux et l’activité professionnelle du travailleur concerné pour que l’employeur puisse se prévaloir des droits d’utilisation du programme informatique en question, sans qu’il importe de savoir si celui-ci a été conçu sur le lieu de travail ou durant le temps libre du collaborateur. Se référant à l’opinion professée par un auteur, la cour cantonale a estimé que l’art. 17 LDA ne s’applique pas lorsqu’un collaborateur conçoit un logiciel en dehors de ses obligations contractuelles dans le but de faciliter l’exécution de celles-ci. Au terme de son appréciation des preuves disponibles, elle a jugé que la recourante n’aurait toutefois pas pu terminer sa thèse sans utiliser les logiciels qu’elle avait développés durant son activité professionnelle.
A l’encontre de cette appréciation, l’intéressée se borne à opposer sa propre vision des choses et à tenter de nier toute force probante au témoignage du Prof. B.________. Pareille démonstration ne suffit toutefois pas à démontrer que la cour cantonale aurait sombré dans l’arbitraire en retenant le résultat auquel elle a abouti. C’est également en vain que l’intéressée tente de faire accroire que l’autorité précédente aurait créé une confusion quant à l’objet du litige. A la lecture de la décision attaquée, on discerne en effet sans difficulté que les logiciels conçus par l’intéressée lui permettaient de traiter les données fournies par le logiciel de traçage et, partant, d’analyser celles-ci, aux fins d’élaborer sa thèse consacrée à l’étude des cycles circadiens des fourmis. Si la cour cantonale a certes fait allusion, de manière isolée, au fait que le développement de » logiciels de traçage » ne figurait pas dans le cahier des charges de la recourante, il n’en demeure pas moins qu’elle a visiblement identifié correctement les logiciels litigieux. C’est également, en pure perte, que l’intéressée soutient ne pas s’être basée sur les logiciels de traçage conçus par son compagnon pour élaborer ses propres programmes informatiques, ou que ceux-ci ont été conçus en parallèle de son activité professionnelle ou qu’elle prétend, en substance, avoir suivi de sa propre initiative des cours de programmation informatique dispensés par E.________. De tels éléments n’ont en effet aucune incidence sur l’issue du litige. En l’espèce, la cour cantonale a retenu que la mention » travail de thèse » figurant dans le cahier des charges de l’intéressée englobait toute démarche relative à la réalisation de la thèse en question. Elle a en outre constaté, de façon exempte d’arbitraire, que les logiciels litigieux étaient un outil indispensable à la rédaction de la thèse de l’intéressée et que son travail n’aurait pas pu aboutir sans leur utilisation, ce qui scelle le sort du litige. L’affirmation de la recourante selon laquelle les logiciels qu’elle a conçus peuvent être utilisés dans d’autres domaines que le champ d’étude de sa thèse n’y change rien.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_317/2022 du 22 novembre 2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM , CAS, Genève et Onnens (VD)