
Selon l’art. 132 al. 2 de la loi [cantonale] du 26 septembre 2010 sur l’organisation judiciaire (LOJ; RS/GE E 2 05), le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des articles 4, 4A, 5, 6, alinéa 1, lettres a et e, et 57 LPA; sont réservées les exceptions prévues par la loi. Aux termes de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet (a) de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations, (b) de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits ou (c) de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations. Cette disposition définit la notion de décision de la même manière que l’art. 5 al. 1 PA (RS 172.021). La notion de décision vise donc tout acte individuel et concret d’une autorité, qui règle de manière unilatérale et contraignante des droits ou des obligations. En d’autres termes, constitue une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l’intéressé, l’astreignant à faire, à s’abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d’une autre manière obligatoire ses rapports avec l’Etat. Pour déterminer s’il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l’acte; un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle) si, par son contenu, il en a le caractère, même s’il n’est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d’une décision, comme l’indication des voies de droit-
Aux termes de l’art. 29a Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire; la Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. Cette norme constitutionnelle étend donc le contrôle judiciaire en principe à toutes les contestations juridiques, y compris aux actes de l’administration, en établissant une garantie générale de l’accès au juge. Il s’agit en particulier de contestations portant sur les droits et les obligations de personnes, physiques ou morales. L’art. 6 CEDH n’offre pas de protection plus étendue que l’art. 29a Cst.
Pour pouvoir invoquer l’art. 29a Cst., il faut que le justiciable se trouve dans une situation de contestation juridique, c’est-à-dire qu’il existe un litige portant sur un différend juridique qui met en jeu des intérêts individuels dignes de protection. En d’autres termes, l’art. 29a Cst. ne confère pas à quiconque le droit d’obtenir qu’un juge examine la légalité de toute action de l’État, indépendamment des règles procédurales applicables; il est en particulier admissible de faire dépendre le caractère justiciable d’une cause d’un intérêt actuel ou pratique.
La garantie de l’accès au juge selon l’art. 29a Cst. ne s’applique pas aux actes internes de l’administration qui n’ont pas le caractère d’une décision. La décision comme acte juridique a pour objet de régler la situation d’administrés en tant que sujets de droit et donc, à ce titre, distincts de la personne étatique ou, en d’autres termes, extérieurs à l’administration. On oppose dans ce contexte la décision à l’acte interne ou d’organisation, qui vise des situations à l’intérieur de l’administration; l’acte interne peut avoir des effets juridiques, mais ce n’en est pas l’objet, et c’est pourquoi il n’est en règle générale pas susceptible de recours. Deux critères permettent généralement de déterminer si on a affaire à une décision ou à un acte interne: d’une part, l’acte interne n’a pas pour objet de régler la situation juridique d’un sujet de droit en tant que tel et, d’autre part, le destinataire en est l’administration elle-même, dans l’exercice de ses tâches. Ainsi, un acte qui affecte les droits et obligations d’un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, d’indemnités diverses ou encore de sanctions disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet l’exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs attachés au service, telles que la définition du cahier des charges, est un acte interne.
Tout changement d’affectation n’ouvre pas la voie d’un recours à l’autorité judiciaire. Un changement d’affectation d’un fonctionnaire constitue une décision attaquable lorsqu’il est susceptible de porter atteinte aux droits de la personnalité de l’employé, y compris le droit au respect de sa vie familiale, ou encore lorsqu’il est de nature à porter atteinte à la considération à laquelle il peut prétendre au regard notamment de ses aptitudes. Il en va de même quand le changement d’affection représente une sanction déguisée et constitue de ce fait un acte attaquable.
Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ATF 136 I 323, le Tribunal fédéral a considéré que la mutation d’un chef de brigade de la police judiciaire genevoise au commissariat de la police avec un nouveau cahier des charges sans véritable adéquation avec ses aptitudes, certes sans modification de salaire, mais à l’avenir sans charge de commandement, était une mesure qui était soumise à un contrôle judiciaire, indépendamment de tout caractère disciplinaire. La mesure relevait non seulement de l’organisation des services de police, mais était également susceptible d’affecter la situation juridique du fonctionnaire de police en tant que titulaire de droits et d’obligations à l’égard de l’État. Son objet allait au-delà de l’exécution des tâches qui incombe au fonctionnaire dans sa sphère d’activité habituelle ou des instructions qui lui sont données dans l’exercice de ses tâches-
(Arrêt du Tribun al fédéral 8D_5/2022 du 22.02.2023, consid. 6.2)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)