
La recourante (= l’employeuse) se plaint d’une violation de l’art. 336a CO dans la détermination de l’indemnité accordée au travailleur [six mois de salaire en raison du caractère abusif du licenciement]. Elle invoque deux jurisprudences, l’une de la Cour de justice du canton de Genève dans laquelle l’autorité a accordé à une employée, victime de harcèlement de la part de son supérieur qui l’avait punie en l’isolant dans un petit local et la faisait travailler sans protection respiratoire avec des produits toxiques, une indemnité pour licenciement abusif équivalant à six mois de salaire. L’autre affaire est tirée de la jurisprudence de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois, et fait état d’un employé victime de harcèlement moral de la part de l’un des administrateurs de son employeuse, laquelle n’avait rien fait pour mettre fin au dénigrement subi. Dans cette dernière affaire, la cour cantonale vaudoise avait réduit l’indemnité de six à quatre mois de salaires.
La recourante soutient qu’au regard de ces jurisprudences cantonales, la cour cantonale l’a condamnée au paiement d’une indemnité qui « contraste singulièrement » avec celles-ci.
La partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l’autre partie une indemnité (art. 336a al. 1 CO), qui ne peut dépasser l’équivalent de six mois de salaire du travailleur; le tribunal fixe celle-ci en tenant compte de toutes les circonstances (art. 336a al. 2 CO).
Le tribunal fixe l’indemnité en équité (art. 4 CC). Il doit notamment tenir compte de la gravité de la faute de l’employeur, d’une éventuelle faute concomitante du travailleur, de la manière dont s’est déroulée la résiliation, de la gravité de l’atteinte à la personnalité du travailleur licencié, de la durée des rapports de travail, de leur étroitesse, des effets économiques du licenciement, de l’âge du travailleur, d’éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique et de la situation économique des parties.
Le montant de l’indemnité est fixé librement par le tribunal, en vertu d’un pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve. [Il] n’intervient que si la décision s’écarte sans raison sérieuse des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, s’appuie sur des faits qui ne devaient jouer aucun rôle ou, au contraire, méconnaît des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération, ou encore si elle aboutit à un résultat manifestement injuste.
La cour cantonale a considéré que la faute de l’employeuse était grave. Elle a tenu compte des conséquences, pour le travailleur, de son licenciement et a considéré que l’annonce publique de celui-ci, qui avait fait l’objet d’une dépêche dans la presse spécialisée, avait eu des répercussions sur son avenir professionnel. De fait, le travailleur n’avait pas encore retrouvé de travail 18 mois après son licenciement.
La cour cantonale a également tenu compte de la manière abrupte et inattendue du licenciement ainsi que de sa communication à des tiers par voie de presse comme circonstances aggravantes. Elle a encore relevé la mauvaise foi de l’employeuse.
Enfin la cour cantonale a tenu compte du fait que l’administrateur et l’actionnaire de l’employeuse étaient eux-mêmes allés chercher le travailleur afin de l’engager avec toute l’équipe dont il disposait auprès de son ancien employeur de manière à pouvoir profiter de leurs compétences acquises précédemment, tout en empêchant ensuite le travailleur de déployer pleinement ses compétences, et ce dès son entrée en fonction.
La recourante remet d’abord en question les faits retenus par la cour cantonale, alors qu’il n’a pas été retenu que ceux-ci aient été établis de manière arbitraire.
Au vu de la gravité des faits reprochés à l’employeuse, il apparaît que l’octroi d’une indemnité équivalant à six mois de salaires pour un total de 250’000 fr., dépasse le nombre de mois de salaires octroyés dans des affaires similaires ou même dans des cas plus graves. Elle demeure [toutefois] dans la marge de manœuvre de la cour cantonale et ne s’écarte pas des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation.
La recourante ne reproche pas à la cour cantonale d’avoir abusé ou excédé son pouvoir d’appréciation. Elle se contente de substituer son appréciation des faits à ceux retenus par la cour cantonale, et pour le surplus, compare la situation du travailleur à deux jurisprudences cantonales, sans démontrer que l’appréciation de la cour cantonale s’écarterait sans raison sérieuse des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation.
Même si une indemnité équivalant à six mois de salaires paraît particulièrement élevée au vu des circonstances, le Tribunal fédéral ne peut revoir, faute de grief suffisamment motivé allant dans ce sens, l’appréciation de la cour cantonale.
Le grief de la violation de l’art. 336a CO doit par conséquent être rejeté.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_259/2022 du 23 février 2023, consid. 5)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)