Remettre en question une transaction judiciaire?

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D’après l’art. 208 al. 1 CPC, la transaction judiciaire passée durant la procédure de conciliation est consignée au procès-verbal et signée par les parties. En vertu de l’art. 208 al. 2 CPC, elle a les effets d’une décision entrée en force: elle a force exécutoire (art. 80 al. 2 ch. 1 LP) et est revêtue de l’autorité de la chose jugée. 

La transaction judiciaire elle-même, en tant qu’acte juridique des parties, met fin au procès. Le juge se borne à en prendre acte; il ne rend pas de décision judiciaire, même si, formellement, il raye la cause du rôle (art. 241 al. 3 CPC). Toutefois, l’invalidité de la transaction judiciaire ne peut être invoquée que par la voie de la révision (art. 328 al. 1 let. c CPC).

Une précision ou un changement de jurisprudence postérieur à la conclusion d’une transaction judiciaire ne constitue pas un motif de révision de ladite transaction (art. 328 al. 1 let. a CPC a contrario

Une transaction judiciaire a pour objet et pour but, moyennant des concessions réciproques, de mettre définitivement fin au litige et aux incertitudes existantes. Les règles sur les vices du consentement sont applicables aux transactions judiciaires, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à leur nature particulière. Une invalidation pour cause d’erreur essentielle est exclue lorsque l’erreur porte sur un point incertain qui a fait l’objet de la transaction et que les parties ont souhaité définitivement régler (caput controversum). Par une transaction, les parties peuvent en principe renoncer à leurs prétentions de droit impératif (en droit du travail, cf. ATF 136 III 467 consid. 4.5). 

 La cour cantonale a considéré que les locataires ne pouvaient pas se prévaloir d’une erreur de droit, car l’ignorance d’une règle de droit ou d’une loi ne peut en principe pas donner lieu à une invalidation pour erreur, ce d’autant plus qu’ils étaient assistés d’un avocat. En outre, elle a jugé qu’en transigeant, les locataires avaient renoncé à ce que le tribunal instruisît la validité de la hausse de loyer et la question d’un éventuel rendement excessif. Elle a ajouté que le cas d’espèce différait de celui de l’arrêt 4A_530/2019 précité. Partant, elle a jugé que c’était à bon droit que le tribunal avait considéré que les conditions d’une révision n’étaient pas réalisées et qu’il avait déclaré la requête irrecevable. 

 En substance, les recourants invoquent que l’autorité précédente aurait dû relever que la transaction judiciaire litigieuse était nulle et qu’elle a erré en retenant qu’ils avaient renoncé à leurs droits absolument impératifs découlant des art. 269 ss CO. 

Ils se fondent par ailleurs sur l’arrêt 4A_530/2019 précité pour invoquer la nullité de l’avis de majoration du 7 mai 2018 qui, selon eux, emporterait également nullité de l’augmentation du loyer et révision de la transaction judiciaire litigieuse.

Enfin, ils allèguent que leur loyer aurait subi une augmentation de 48 %, que l’intimée alignerait les prix de ses logements sur les prix du marché des loyers libres du canton de Genève, qu’ils auraient accepté de conclure la transaction judiciaire litigieuse par peur de perdre leur logement dans un contexte de pénurie de logements et que l’intimée aurait exercé des pressions sur eux jusque devant la Commission de conciliation, en arguant qu’il aurait été inutile de contester l’augmentation du loyer.

Le raisonnement des recourants ne saurait être suivi. 

Les recourants ne sauraient déduire d’une prétendue nullité de l’avis de majoration du 7 mai 2018 la nullité de la transaction judiciaire du 3 septembre 2018, qui porte précisément sur ledit avis de majoration; retenir un tel procédé conduirait à une grande incertitude juridique et serait contraire au principe même de la transaction judiciaire, qui a pour but de mettre définitivement fin à un litige. De jurisprudence constante, une transaction judiciaire ne peut être remise en cause que par la voie de la révision, de sorte que la nullité de l’avis de majoration ne saurait être ici examinée. 

Lorsqu’ils prétendent que la transaction judiciaire serait nulle parce qu’ils auraient renoncé à des droits absolument impératifs garantis par les art. 269 ss CO, les recourants méconnaissent que, s’il ne leur est pas possible de renoncer d’avance à des droits impératifs, ils sont libres de le faire et de transiger au cours d’une procédure, dans laquelle ils étaient d’ailleurs assistés de leur avocat.

Seule reste donc litigieuse l’existence d’un motif de révision à l’encontre de la transaction judiciaire litigieuse. Les recourants invoquent en substance une erreur essentielle et se fondent sur un arrêt ultérieur du Tribunal fédéral opposant d’autres parties et dont ils déduisent que l’avis de majoration du 7 mai 2018 serait nul. Les recourants perdent toutefois de vue que la transaction judiciaire litigieuse portait précisément sur la validité de l’avis de majoration dont ils affirment maintenant la nullité, de sorte qu’ils ne sauraient invoquer l’existence d’une erreur essentielle sur ce point; en concluant une transaction judiciaire, les locataires recourants, assistés d’un avocat, ont délibérément choisi de renoncer à contester ledit avis de majoration en contrepartie d’un loyer moins élevé que celui indiqué dans cet avis. Le fait qu’ils pensent avoir fait une mauvaise affaire au vu d’éléments postérieurs, soit en l’espèce un arrêt du Tribunal fédéral, ne suffit donc pas à fonder un motif d’erreur susceptible de constituer un motif de révision de la transaction judiciaire litigieuse.

Les recourants indiquent par ailleurs que l’intimée aurait exercé des pressions sur eux et qu’ils auraient accepté la transaction judiciaire par crainte de perdre leur logement. Dans la mesure où ils se fondent sur des faits qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont ils ne sollicitent pas valablement le complètement, leur grief tombe à faux. En tout état de cause, leur argument ne satisfait pas aux exigences de motivation de l’art. 42 al. 2 LTF et est irrecevable.

C’est dès lors à bon droit que la cour cantonale a nié l’existence d’un motif de révision de la transaction judiciaire litigieuse. Les griefs doivent être rejetés, dans la mesure de leur recevabilité.

Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_631/2021 du 6 mars 2023, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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