Faire signer un certificat de travail par un collègue (et non par sa hiérarchie)

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Les premiers juges ont en substance considéré que le licenciement avec effet immédiat signifié par Y.________ Sàrl à D.________ le 18 mars 2020 ne reposait pas sur de justes motifs, faute pour l’employeuse – qui reprochait à la travailleuse d’avoir voulu la tromper et d’avoir violé son devoir de fidélité en rédigeant elle-même un certificat de travail intermédiaire qu’elle avait fait signer à un autre employé – d’avoir préalablement donné l’occasion à l’intéressée de se déterminer. Y.________ Sàrl (ci-après : l’appelante) interjette appel

L’appelante a pour but l’exploitation d’un commerce en particulier dans l’événementiel et les foires, la commercialisation, la fabrication, l’importation et l’exportation de cuisines et de tous types de matériaux de construction, la réalisation d’installations thermiques, sanitaires, installations de chauffages, de ventilation et de climatisation ainsi que la mise en place de projets et d’études nécessaires dans ces domaines. X.________ en est l’unique associé gérant avec signature individuelle.

Par contrat de travail du 20 décembre 2018, l’intimée (= l’employée) a été engagée par l’appelante en qualité de « secrétaire/support vente », pour une durée indéterminée, à un taux de 80% à compter du 1er janvier 2019.  Dans le cadre de ce contrat, le lieu de travail de l’intimée 1 était à B.________. Son bureau se situait dans le showroom du magasin, dont le responsable était R.________. X.________ disposait quant à lui d’un bureau fermé dans les locaux du magasin de B.________, mais n’y travaillait pas tous les jours de la semaine, voire ne s’y présentait que peu selon les périodes.

Au cours de discussions ayant eu lieu les 5 et 6 janvier 2020, X.________ a annoncé à l’intimée et à R.________ que le contrat de bail portant sur les locaux de B.________ arrivait à échéance et que l’activité se poursuivrait dans les locaux de Q.________. L’intimée, n’envisageant pas de travailler à Q.________, a demandé lors de la discussion du 6 janvier 2020 qu’un certificat de travail intermédiaire lui soit délivré. Il a alors été convenu que la rédaction dudit certificat serait confiée à l’intimée et que le document devait être relu par X.________.

Dans les jours qui ont suivi, l’intimée a rédigé son certificat de travail intermédiaire.

L’intimée a précisé avoir rédigé le certificat de travail intermédiaire, l’avoir fait lire à R.________, puis en avoir déposé une version non signée dans la case – ou le « tas » – qui se trouvait sur son propre bureau à l’attention d’X.________ comprenant ses documents à traiter. De l’avis de l’intimée toujours, X.________ examinait régulièrement ce qui se trouvait sur cette pile, de sorte qu’il était clair pour elle qu’il avait pris connaissance du certificat de travail qu’elle avait rédigé, d’autant qu’il était passé au bureau après qu’elle avait rédigé et déposé le certificat de travail sur la pile de documents en question.

La version de X.________ diverge. S’il ne conteste pas l’existence d’une pile au coin du bureau de l’intimée à son attention, comprenant des factures et du courrier à traiter par ses soins, il conteste y avoir vu le certificat de travail intermédiaire.

R.________ a indiqué que le certificat avait été déposé sur la pile qui se trouvait sur le bord du bureau de l’intimée, qu’X.________ la consultait régulièrement, sans toutefois pouvoir affirmer que ce dernier avait vu le certificat de travail de l’intimée.

Pour une raison qui n’a pas pu être déterminée, X.________ n’a pas signé le certificat de travail.

L’intimée, souhaitant entreprendre rapidement des démarches afin d’obtenir un nouvel emploi, a requis d’R.________ qu’il signe son certificat de travail intermédiaire en sa qualité de responsable du magasin. R.________ a ainsi signé le certificat de travail, considérant que cela entrait dans ses tâches en tant que responsable du magasin.

Le certificat de travail avait également été enregistré par l’intimée sur son poste informatique professionnel, mais non sur le serveur informatique de l’entreprise.

R.________ ne disposait pas du pouvoir de représenter la société. Néanmoins, de l’aveu de l’appelante, il était habilité à signer, au nom de l’entreprise, des documents commerciaux tels que des offres aux clients, des bons de commandes et des bons de livraison.

Le 18 mars 2020, X.________ a découvert par hasard l’existence du certificat de travail signé par R.________. Le même jour l’appelante a été résiliée avec effet immédiat, en raison du « (…) certificat qui a été établi par vos soins et sans en avoir informé au préalable votre employeur et pire vous avez falsifié la signature valable de votre employeur. »

Tout au long de son emploi au sein de l’appelante, le travail de l’intimée n’a jamais fait l’objet d’une contestation ou d’un avertissement.

R.________ a été lui-même licencié avec effet immédiat pour faute grave.

L’appelante (= l’employeuse) invoque une violation de l’art. 337 CO. Elle reproche aux premiers juges d’avoir considéré que le licenciement immédiat de l’intimée (l’employée) ne reposait pas sur de justes motifs, dès lors que cette dernière aurait cru, de bonne foi, qu’X.________ avait visé son projet de certificat intermédiaire de travail et qu’R.________ était compétent pour signer un tel document. Selon l’appelante, l’intimée aurait au contraire manœuvré dans le dos de son employeur afin de se faire délivrer un certificat de travail contraire au principe de véracité, ce qui constituerait une violation grave de son devoir de loyauté, propre à détruire irrémédiablement les rapports de confiance. Elle relève à cet égard que le certificat de travail contient des indications erronées quant à l’identité de l’employeur, la durée des rapports de travail ainsi que les tâches assumées par l’employée, dans le but pour l’intimée de favoriser sa position sur le marché du travail.

Selon l’art. 337 CO (loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil [livre cinquième : Droit des obligations] ; RS 220), l’employeur comme le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1) ; constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Elle n’est pas destinée à sanctionner un comportement isolé et à procurer à l’employeur une satisfaction. Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur ou l’abandon abrupt du poste par ce dernier. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement, on entend en règle générale la violation d’une obligation imposée par le contrat mais d’autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate.

La gravité du manquement ne saurait cependant entraîner à elle seule l’application de l’art. 337 al. 1 CO ; ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail.

Conformément à l’art. 8 CC, il appartient à celui qui invoque l’existence de justes motifs de prouver les faits qui les fondent. Le juge applique à cet égard les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). À cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et les responsabilités du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des manquements reprochés au travailleur, de même que son attitude face aux injonctions, avertissements ou menaces formulés par l’employeur.

La résiliation immédiate prononcée sur la base de soupçons qui se révèlent mal fondés est injustifiée. Si malgré l’absence de preuves d’un juste motif, l’employeur résilie avec effet immédiat, il le fait à ses risques et périls ; lorsque les faits dont le travailleur était soupçonné ne sont établis ni par la procédure civile, ni par une éventuelle procédure pénale, le licenciement immédiat est injustifié. D’autres auteurs sont favorables à la recevabilité de principe d’une résiliation pour soupçon. Confronté à ces divergences doctrinales, le Tribunal fédéral n’exclut pas que le soupçon d’infraction grave ou manquement grave puisse justifier un licenciement immédiat, quand bien même l’accusation portée contre l’employé se révèle ensuite infondée ou ne peut pas être prouvée ; en effet, selon les circonstances, de tels soupçons peuvent rendre impossible la continuation des rapports de travail. Toutefois, d’autres éléments excluent généralement le bien-fondé d’un congé soupçon, soit parce que le manquement reproché, même s’il était avéré, ne serait pas suffisamment important pour justifier un congé immédiat sans avertissement, soit parce que l’employeur n’a pas fait tout ce qu’on pouvait attendre de lui pour vérifier les soupçons. Le Tribunal fédéral a admis que l’employeur devait donner l’occasion à l’employé de se prononcer sur les allégations de son collègue avant qu’il prenne la décision de le licencier avec effet immédiat, et non pas après comme il l’avait fait : le simple fait de l’avoir mis devant le fait accompli sans l’entendre suffit à priver de toute légitimité un congé immédiat fondé sur un simple soupçon. Le Tribunal fédéral a également considéré qu’il n’est guère discutable au regard du devoir de protéger la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO) que ce dernier doit pouvoir équitablement défendre sa position lorsque son honneur est compromis.

En l’espèce, si les parties s’étaient mises d’accord pour que l’intimée rédige elle-même le certificat de travail intermédiaire, on ignore si ce document a été placé sur la pile de documents destinés à X.________ et si ce dernier en a pris connaissance, ni même s’il l’a vu. Il est en revanche établi que le certificat n’a pas été signé par X.________, mais par R.________.

On relèvera à ce stade que l’intimée, si elle était convaincue comme elle le prétend que son employeur avait pris connaissance du certificat, aurait dû éclaircir auprès de lui la raison pour laquelle il n’avait pas signé le document et non le faire signer à son collègue sans en avertir au préalable son employeur. La Cour de céans ne trouve en cela aucune justification au comportement de l’intimée. En particulier, le fait pour l’intimée 1 de vouloir avancer rapidement dans ses démarches pour retrouver un nouvel emploi ne permet pas de justifier le recours aux services du responsable du magasin pour signer le certificat en question sans en informer son patron. Il appartenait à l’intimée de faire preuve de transparence envers X.________ et de l’informer qu’elle projetait de faire signer le certificat de travail intermédiaire par R.________, dans l’hypothèse où le précité n’aurait pas été personnellement en mesure de le faire dans un délai raisonnable, ce d’autant qu’R.________ ne semblait pas avoir, nonobstant l’habilitation à signer certains documents dans le domaine commercial, de compétences particulières dans le domaine des ressources humaines.

Cela étant, il convient d’examiner si la signature du certificat de travail par un tiers sans relecture ou approbation préalable de la part d’X.________, justifie le licenciement immédiat notifié à l’intimée 1 le 18 mars 2020.

Il ressort des faits de la cause, et en particulier du courrier de résiliation du 18 mars 2020, qu’X.________ a soupçonné que le certificat de travail en question soit constitutif d’un faux dans les titres. Il ne figure toutefois aucun élément au dossier qui ferait mention d’un éventuel dépôt de plainte pénale par l’appelante à l’encontre de l’intimée ou d’R.________. On ne peut donc considérer que les soupçons de l’employeur soient établis par une procédure pénale. Quoi qu’il en soit, ce soupçon d’infraction pénale ne dispensait pas l’appelante de procéder à des vérifications auprès de l’intimée. Jusqu’à l’événement litigieux, aucun problème relationnel ou d’autre nature n’avait entaché les relations professionnelles entre les parties, qui étaient demeurées excellentes. En outre, l’intimée a rédigé le certificat de travail depuis son ordinateur professionnel et elle en a gardé une copie qui a pu être retrouvée. Il n’y avait donc pas de volonté de l’employée de dissimuler l’existence de ce document. Le fait que le certificat litigieux n’ait pas été enregistré sur le serveur informatique de l’appelante ne suffit pas à considérer une intention de dissimulation de la part de l’employée. Au vu de ces éléments, on ne peut exclure qu’il y ait eu un malentendu entre les parties, ce qui pourrait expliquer la réaction de l’employeur qui s’est senti manifestement trahi par les manœuvres de ses employés.

On ne perçoit pas non plus d’intention malveillante de la part de l’intimée, dès lors que, mis à part quelques erreurs, le contenu du certificat de travail n’est pas en soi mensonger ni propre à avantager la position de l’intimée au détriment de l’appelante.

Il apparaît que le certificat de travail ne contenait pas d’informations qui devaient être cachées à X.________. Dès lors, le seul reproche qui peut être fait à l’intimée est d’avoir fait signer à un tiers, à la place du prénommé, sans le lui soumettre préalablement, tiers qui était habilité à signer certains types de documents, ce qui pouvait être une source de confusion chez l’employée. Ce comportement, bien qu’il puisse être répréhensible à certains égards, apparaît comme étant de largement moindre portée.

Au regard de l’ensemble de ces circonstances, l’appelante se devait d’éclaircir la situation et d’entendre l’intimée avant de la licencier de manière immédiate.

En définitive, on doit admettre, comme les premiers juges, que les motifs invoqués par l’appelante ne justifiaient pas un licenciement avec effet immédiat.

(Arrêt de la Chambre d’appel civile du Tribunal cantonal (VD) HC / 2023 / 87 du 28.02.2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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