Credit Suisse : abolir les bonus ?!

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L’art de la politique, c’est aussi de ne pas répondre aux questions qui se posent, ou de trouver les moyens de parler d’autre chose que de ce que l’on a sous les yeux.

La débâcle du Credit Suisse aurait pu inciter le législateur à réfléchir sérieusement à la surveillance des banques ou aux mesures destinées à traiter les établissements « too big to fail ». Mais non, l’urgence est apparemment d’élaborer des règles ad hoc sur les bonus dans la précipitation….

Ainsi de la motion Birrer-Heimo, qui a été adoptée par le Conseil national lors de sa session du 3 mai 2023. Vous trouverez ci-après, pour le bonheur du lecteur francophone, une traduction libre des échanges entre la motionnaire et la Conseillère fédérale Keller-Sutter :

21.3909. Motion Birrer-Heimo Prisca. Pas de versement de bonus pour les banques d’importance systémique.

Birrer-Heimo Prisca (S, LU) :

Nous arrivons maintenant à deux interventions que j’ai déposées il y a un peu plus de deux ans, après – une fois de plus – de graves incidents au sein de la grande banque Credit Suisse. Il s’agissait à l’époque des milliards de pertes dues à Archegos et Greensill. Ce n’étaient pas les premières d’une longue série de pertes. Aujourd’hui, vous pouvez montrer ici si vous êtes prêt à joindre le geste à la parole ces dernières semaines et à mettre en pratique ce que certains d’entre vous ont déclaré ici et là dans les médias.

Dans ma première motion, qui est à l’ordre du jour, je demande qu’aucun bonus ne soit versé aux banques d’importance systémique. Il s’agit ici de versements à l’organe suprême et à la direction, opérationnelle et/ou stratégique. Il s’agit avant tout du CEO, de la présidence du conseil d’administration, mais aussi de la gestion des risques. Ces récents incidents ne sont pas les seuls à montrer que les systèmes d’incitation basés sur les bonus sont erronés, qu’ils favorisent une culture du risque agressive et qu’ils font complètement fi des systèmes de gestion des risques et de la conformité.

Un dirigeant d’une banque a récemment déclaré : « Voulez-vous des bonus ou de bons managers ? » Je veux dire que nous voulons de bons dirigeants. Les bons dirigeants veulent travailler parce qu’ils aiment le faire, parce qu’ils le font pour l’entreprise et parce qu’ils le font en équipe, et pas simplement parce qu’on leur a promis : Si tu en fais encore un peu plus ici et là, tu auras droit à un énorme pot de bonus. Ils prennent ainsi des risques qui sont irresponsables.

En fin de compte, ce sont nous, les contribuables, qui payons ce risque, comme cela se vérifie malheureusement à nouveau aujourd’hui. Il y a des banques qui s’en sortent sans verser de bonus. Elles ont modifié leur système de rémunération, par exemple la banque Migros – bon, elle n’est pas aussi grande que le Credit Suisse, je le sais aussi. Mais la banque Raiffeisen, par exemple, a également supprimé les bonus. Ils disent : la performance collective de l’équipe est au premier plan, et c’est une incitation pour nos collaborateurs.

La culture du bonus, qui vient en fait davantage des pays anglo-saxons et qui nous a longtemps été étrangère, a introduit du poison dans ces systèmes. Vous pouvez maintenant argumenter : Il n’y a pas que les banques. C’est vrai, il n’y a pas qu’elles. Mais nous parlons ici de garanties d’État explicites ou implicites, et personne ne doit plus dire que nos grandes banques n’ont pas de garantie d’État implicite. On l’a vu de manière impressionnante au plus tard le 19 mars. C’est pourquoi il est temps de mettre fin au versement de bonus à l’étage des tapis, du moins dans le domaine où il existe des garanties d’État explicites ou implicites.

Je peux vous dire que je sais, grâce aux nombreuses réactions, non seulement des médias, mais aussi de la population, que c’est ce que l’on attend de nous ici après le sauvetage, que j’espère pas trop coûteux, du Crédit Suisse.

Keller-Sutter Karin, conseillère fédérale :

Vous l’avez entendu : la motion demande que les banques d’importance systémique ne puissent plus verser de bonus à l’organe suprême et aux personnes responsables de la gestion. Vous avez également lu que le Conseil fédéral a recommandé le rejet de cette motion en août 2021.

La motion a pour ainsi dire été dépassée par les événements. Entre-temps, le Parlement a adopté plusieurs postulats lors de la session extraordinaire, notamment sur la thématique complexe des rémunérations variables. Entre autres, le Conseil fédéral examinera, sur la base des postulats 23.3442 de la CdF-N et 23.3441 de la CdF-E, la question de la limitation légale des composantes variables du salaire des membres du conseil d’administration, de la direction et des organes de contrôle. Mais le postulat 23.3443 de la CER-N demande également d’examiner si une nouvelle réglementation des systèmes de rémunération, notamment en ce qui concerne les bonus, peut être envisagée pour les banques d’importance systémique et d’en évaluer l’impact. Le Conseil fédéral estime qu’il ne faut pas préjuger de cet examen approfondi. Je vous demande d’attendre ces rapports.

Le Conseil fédéral continue donc à vous recommander de rejeter la motion.

Président (Candinas Martin, président) : Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

Vote – Vote par appel nominal – nominatif :

Pour l’acceptation de la motion … 101 voix

Contre … 70 voix

Source : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=60515 ; concernant la motion en droit suisse : https://www.parlament.ch/fr/%C3%BCber-das-parlament/portrait-du-parlement/objets-soumis-deliberation-et-procedure-parlementaire/initiative-parlementaires-initiatives-deposees-par-des-cantons-et-interventions/motion

Appréciation :

Faut-il rappeler ici que les « bonus » en droit suisse sont basées sur divers instruments juridiques qui permettent une très grande souplesse tant dans les conditions d’octroi que dans la détermination des montants ? Le problème ne vient donc pas du bonus en lui-même, mais bien de sa définition, de la pratique des rémunérations et des décisions des conseils d’administrations et des assemblées générales.

Prétendre vouloir régler cela « par le haut » est donc parfaitement démagogique, en plus d’être d’une utilité pratique que l’on devine déjà toute relative….

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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