Harcèlement sexuel : mesures que doit prendre l’employeur

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Le 29 juillet 2010, B.________ (ci-après: la travailleuse, la demanderesse ou l’intimée) a été engagée par A.________ SA (ci-après: la banque, l’employeuse, la défenderesse ou la recourante) en qualité de  » Relationship Manager Assistant  » à compter du 1 er août 2010. Son salaire annuel brut s’élevait à 91’008 fr.  Dès le 1 er juin 2017, la travailleuse a occupé le poste d’  » Investment Counsellor Analyst « . En 2018, son salaire annuel brut était de 127’044 fr. 

 Le 18 juillet 2018, la travailleuse et son responsable hiérarchique direct, C.________ (ci-après: le responsable hiérarchique), ont eu un entretien au cours duquel celui-ci l’a informée qu’elle changerait d’équipe et qu’elle travaillerait notamment avec D.________ (ci-après: l’employé). Ce jour-là, elle n’a pas évoqué de problèmes de harcèlement, mais a paru stressée, voire angoissée.  Le lendemain, le responsable hiérarchique a confirmé à la travailleuse sa décision de la changer d’équipe.

 Du 19 juillet 2018 au 31 mars 2019, la travailleuse a été en incapacité totale de travailler pour cause de maladie. 

 Le 25 juillet 2018, la travailleuse a, à sa demande, rencontré le responsable des ressources humaines, soit E.________, et le responsable hiérarchique dans les locaux de la banque. Elle a alors été confrontée par surprise à l’employé en présence de trois hommes, alors qu’elle était en pleurs. 

Entre le 2 octobre et le 22 novembre 2018, la travailleuse et l’employeuse ont échangé plusieurs correspondances, dont il ressort, en substance, que la travailleuse expliquait subir du harcèlement sexuel de la part de l’employé, ce que l’employeuse a nié.

 Par certificat médical du 5 novembre 2018, la Dresse F.________, psychiatre et psychothérapeute, a notamment indiqué que la travailleuse, qu’elle suivait depuis le 18 septembre 2018, avait besoin d’un suivi psychothérapeutique hebdomadaire et d’un traitement médicamenteux au vu de son état psychique fragilisé et qu’elle était en incapacité totale de travailler en raison du comportement que lui faisait subir l’employé depuis une bonne année avant le mois de juillet 2018. 

 Le 15 janvier 2019, l’employeuse a résilié le contrat de travail la liant à la travailleuse avec effet au 31 mars 2019. Elle a précisé que la travailleuse était libérée de son obligation de travailler et que 10,5 jours de vacances seraient considérés comme pris durant le délai de congé, le solde de son droit aux vacances lui étant versé avec son dernier salaire. 

Le 25 février 2019, la travailleuse s’est opposée à son licenciement, indiquant qu’il constituait un congé-représailles faisant suite à sa dénonciation du harcèlement sexuel qu’elle subissait (…).

Par jugement du 12 mars 2021, le tribunal [des prud’hommes du canton de Genève] a condamné l’employeuse à verser à la travailleuse notamment  divers montants, dont une indemnité à titre de harcèlement sexuel équivalant à un mois de salaire moyen suisse, (…)  En substance, le tribunal a notamment retenu que la travailleuse avait prouvé le harcèlement sexuel dont elle avait été victime et que divers témoignages avaient permis de corroborer ses dires.

Par arrêt du 9 mai 2022, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l’appel formé par l’employeuse.

Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 24 mai 2022, l’employeuse a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 21 juin 2022.

L’art. 328 al. 1 CO impose à l’employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Il doit en particulier veiller à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. 

L’art. 3 al. 1 LEg interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe. L’art. 4 LEg définit le harcèlement sexuel comme un comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle.

Le harcèlement sexuel peut prendre différentes formes: remarques sexistes, commentaires grossiers ou embarrassants, usage de matériel pornographique, attouchements, invitations gênantes, avances accompagnées de promesses de récompense ou de menaces de représailles (Message du 24 février 1993 concernant la LEg, FF 1993 I 1219 ch. 31 ad art. 7). Bien que l’art. 4 LEg ne se réfère qu’à des cas d’abus d’autorité, la définition englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées (ATF 126 III 395 consid. 7b/bb; arrêts 4A_544/2018 du 29 août 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités; 4A_18/2018 du 21 novembre 2018 consid. 3.1).

La recourante (=l’employeuse)  considère [notamment] que la cour cantonale a, à tort, retenu qu’elle n’avait pas pris les mesures que l’expérience commandait et ainsi violé l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et l’art. 5 al. 3 LEg.

 Lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin. L’indemnité est fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire moyen suisse (art. 5 al. 3 LEg). Elle n’excédera pas le montant correspondant à six mois de salaire (art. 5 al. 4 LEg). Si l’employeur prouve qu’il a rempli son devoir de diligence, il ne peut être condamné au versement de ladite indemnité.

 La cour cantonale a confirmé sur ce point aussi le jugement du Tribunal des prud’hommes, qui avait retenu que la banque avait échoué à apporter la preuve libératoire prévue par l’art. 5 al. 3 LEg. Elle a considéré que, bien que la banque eût mis en place trois outils pour dénoncer des cas de harcèlement sexuel, leur mode d’utilisation, voire même leur existence, étaient méconnus du personnel et leur diffusion et leur publicité auprès des employés étaient manifestement défaillantes. Elle a jugé que la banque avait manifestement manqué à ses devoirs de diligence et de protection de la personnalité de la travailleuse en ne respectant pas la procédure interne prévue par la directive « … « , en particulier en omettant de désigner une personne de confiance de même sexe que la travailleuse pour l’accompagner durant tout le processus suivant sa plainte, et en lui imposant une confrontation, séance tenante, face à son agresseur alors qu’elle se trouvait dans un état de détresse manifeste. 

Relevant, à l’instar des premiers juges, que l’atteinte subie par la travailleuse était d’une certaine gravité et que l’employeuse en était la responsable, dans la mesure où elle n’avait pas pris les mesures appropriées, commandées par les circonstances, pour préserver sa personnalité, et considérant que l’employeuse avait mis en place des outils pour dénoncer des cas de harcèlement et que la travailleuse aurait pu se montrer plus proactive, elle a confirmé le montant de l’indemnité, équivalant à un mois de salaire moyen suisse, octroyée à la travailleuse.

S’agissant des moyens mis en place pour dénoncer un cas de harcèlement, la cour cantonale a notamment retenu que l’employeuse avait mis en place trois outils permettant à ses employés de dénoncer des cas de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et dans le cadre de l’activité professionnelle pour la banque. En substance, il s’agissait (1) de la directive « … « , qui n’avait été consultée que six fois, qui n’était que difficilement accessible sur le site intranet de la banque et dont le formulaire de plainte, en petits caractères, n’apparaissait qu’à l’avant-dernière page de la directive et pas de manière explicite, (2) d’un programme d’assistance externe  » X.________  » au sujet duquel des affiches étaient placardées notamment dans les cafétérias de la banque, dites affiches ne faisant toutefois pas référence au harcèlement sexuel et (3) d’un outil de dénonciation  » Y.________  » qui ne mentionnait toutefois pas la problématique du harcèlement sexuel. 

La cour cantonale a constaté que l’employeuse disposait certes de ces outils mais que leur mode d’utilisation n’était pas maîtrisé, voire même était méconnu du personnel, la présentation aux employés n’étant que très superficielle. Elle a relevé que les responsables hiérarchiques de la banque méconnaissaient manifestement la procédure interne à suivre dans le cas d’une dénonciation pour harcèlement sexuel, ce qui dénotait d’un important défaut de diligence.

Dans la mesure où la recourante ne remet pas en question que les instruments qu’elle a mis en place étaient mal maîtrisés par les responsables hiérarchiques de l’intimée et qu’elle a ainsi violé son devoir de diligence et où la cour cantonale a retenu dans la fixation de l’indemnité allouée à la travailleuse que celle-ci aurait pu être plus proactive, le grief, en partie appellatoire, ne s’en prend qu’à des éléments qui ne sont pas déterminants et tombe donc à faux. Il est pour partie irrecevable, en tant que la recourante se réfère à des faits qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont elle ne sollicite pas valablement le complètement.

La cour cantonale a retenu que l’employeuse avait gravement manqué d’égards vis-à-vis de la travailleuse et n’avait pas respecté son devoir de protection en lui imposant une confrontation avec son agresseur, séance tenante, alors qu’il n’y avait pas d’urgence manifeste à ce que l’entretien se déroulât le jour-même et compte tenu de l’état dans lequel se trouvait la travailleuse, qui pleurait et avait dû prendre un moment pour se ressaisir. Alors qu’elle était par ailleurs la seule femme parmi trois hommes dans la salle, le responsable des ressources humaines, qui ne lui avait pas proposé la présence d’une femme, a maintenu cette confrontation, soutenant lors de son audition que  » ce n’était pas non plus une tragédie « . La cour cantonale a déduit de ces éléments un manque manifeste de bienveillance et une violation du devoir de protection de la santé de la travailleuse.

La recourante allègue (1) que la… de la banque serait une femme et que la travailleuse ne se serait jamais adressée à elle, (2) que la travailleuse aurait pris contact avec le responsable des ressources humaines et que celui-ci serait parti du principe qu’elle lui faisait confiance, (3) que la confrontation aurait été acceptée par l’intimée, (4) que la confrontation n’aurait en effet pas été une tragédie et (5) que la travailleuse n’aurait pas dit la vérité sur un élément important, soit la salle dans laquelle cette confrontation aurait eu lieu, ce qui remettrait en cause sa crédibilité. 

Une nouvelle fois, la recourante se réfère à des faits qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont elle ne sollicite pas valablement le complètement, de sorte que la Cour de céans ne saurait en tenir compte. Son argumentation, essentiellement appellatoire, ne remet nullement en cause le fait que le responsable des ressources humaines a maintenu cette confrontation alors que l’état de la travailleuse ne le permettait pas.

C’est par ailleurs sans arbitraire et sans violation de son devoir de motivation que la cour cantonale a retenu qu’il n’était pas déterminant de savoir dans quelle salle la confrontation s’était déroulée: l’employeuse ne conteste pas que cette confrontation se soit produite et un désaccord avec la travailleuse sur l’emplacement et les caractéristiques de la salle ne saurait en l’espèce remettre en cause la crédibilité de l’intimée.

 S’agissant de l’enquête interne effectuée par l’employeuse, la cour cantonale a considéré qu’elle avait été menée avec peu de sérieux, qu’elle s’était déroulée sur seulement 19 jours, que toutes les auditions sauf une avaient été conduites par une seule personne et qu’aucun procès-verbal d’audition n’avait été tenu. Ces éléments constituaient un indice permettant de remettre en cause les conclusions de cette enquête. De plus, l’employeuse n’avait fourni aucune justification quant à l’absence d’audition de H.________, qui s’était avéré être un témoin important lors de l’instruction. 

Dans une démarche appellatoire, la recourante conteste l’appréciation de la cour cantonale sur ces différents points, sans toutefois en établir le caractère arbitraire. Son argumentation est irrecevable.

Dès lors que la recourante n’est pas parvenue à démontrer l’arbitraire des constatations et de l’appréciation de la cour cantonale, son grief de violation de l’art. 5 al. 3 LEg, qui reposait uniquement sur cet argument, tombe à faux. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_283/2022 du 15 mars 2023, consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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