Résiliation immédiate : « je vais te péter la g… ! »

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Selon l’art. 337 al. 1 1ère phrase CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).

En règle générale, seule une violation particulièrement grave des obligations contractuelles peut justifier une telle résiliation; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement.

La résiliation immédiate pour justes motifs, qui constitue une mesure exceptionnelle, doit être admise de manière restrictive. Elle n’est pas destinée à sanctionner un comportement isolé et à procurer à l’employeur une satisfaction.

La jurisprudence a souligné que, lorsqu’un employé porte sérieusement atteinte aux droits de la personnalité de l’un de ses collègues, il viole gravement une des obligations découlant du contrat de travail (art. 321a CO), de sorte qu’une résiliation immédiate au sens de l’art. 337 CO peut s’imposer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_60/2014 du 22 juillet 2014 consid. 3.1; ATF 127 III 351 consid. 4b/dd et les références citées).

La gravité de l’infraction ne saurait ainsi entraîner à elle seule l’application de l’art. 337 al. 1 CO. Ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail.

Un acte agressif, une menace, voire des insultes, peut, selon les circonstances, justifier ou non un licenciement immédiat.

Il a été jugé que le licenciement immédiat était justifié concernant un employé ayant menacé un collègue de lui  » faire la peau « , cette menace étant formulée alors que, depuis longtemps, l’employé avait une attitude qualifiée d’inadmissible à l’égard de ce collègue, consistant en des disputes quotidiennes, des injures et même en une agression physique. Dans les circonstances examinées, les propos proférés ont été considérés comme ayant un caractère particulièrement inquiétant (ATF 127 III 351 consid. 4/b/dd).

Le rapport de confiance a également été considéré comme rompu lorsque le comportement de l’employé à l’origine de la résiliation immédiate a eu pour conséquence une perte d’autorité de l’employeur. Cela peut être le cas, selon les circonstances, lorsque l’employé injurie son employeur devant tout le personnel d’une petite entreprise réuni (arrêt 4C.435/2004 du 2 février 2005 consid. 4.4).

A également été jugé qu’un avertissement aurait été nécessaire (et le licenciement immédiat justifié uniquement à cette condition) dans le cas d’une altercation, sur un chantier de construction, entre un employé et son collègue, le premier ayant tiré violemment les cheveux du second, avant de l’extirper hors de l’habitacle du véhicule automobile qu’il conduisait, la main empoignant toujours sa chevelure. L’attitude de l’employé, certes hostile au sein de son groupe de travail, ne revêtait pas un caractère particulièrement inquiétant et son comportement, bien que peu respectueux de son collègue, n’était pas de nature, dans les circonstances d’espèce, à porter gravement atteinte à la personnalité de celui-ci (arrêt 4C.331/2005 du 16 décembre 2005 consid. 2.2.1).

Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’au vu du large pouvoir d’appréciation laissé au juge, la comparaison entre le cas de l’examen et d’autres décisions judiciaires doit être effectuée avec circonspection.

En l’espèce, le licenciement intervenu le 4 juin 2013 a été donné à la suite d’une altercation survenue quelques jours auparavant entre l’intimé et le contremaître du chantier. Alors que le premier considérait être autorisé à rentrer chez lui, le second lui reprochait d’avoir quitté son lieu de travail sans permission. S’en est suivi une vive discussion dans le cadre de laquelle le ton est monté de part et d’autre. D’après les témoins ayant assisté à la scène, l’intimé a rapidement adopté un langage particulièrement injurieux et aurait menacé le contremaître, sans toutefois en venir aux mains. Il n’est en revanche pas établi que le contremaître, bien qu’il ait également haussé le ton, ait proféré des insultes en retour. Dans ce contexte, l’attitude adoptée par l’intimé à l’égard du contremaître s’explique davantage par un état d’énervement créé par le malentendu de la veille et une perte de maîtrise que par une intention malveillante de nuire à son chef, respectivement à son employeur. Les insultes et la menace de se faire « péter la gueule », qui sont au demeurant courantes lors d’une dispute, ne dénotent pas d’une gravité inquiétante dans la mesure où elles ont été proférées sous le coup de la colère sans être suivies d’actes déplacés. La dispute n’a duré que quelques instants et a finalement cessé sans qu’aucune intervention externe ne soit nécessaire. Les parties, ainsi que l’ensemble des ouvriers, ont aussitôt repris le travail. Pris isolément, ce comportement n’atteint pas un seuil de gravité suffisant pour revêtir un caractère particulièrement inquiétant, ce d’autant plus que l’intimé ne faisait généralement pas preuve d’une attitude hostile particulière.

En outre, il ne ressort pas des faits de la cause que l’altercation litigieuse ait produit un grave impact sur la personnalité du contremaître lequel a pu reprendre son travail normalement sans émettre de doléances particulières. Le fait qu’il subisse un sentiment désagréable du fait que la dispute se soit produite en présence de tiers n’est pas suffisant à engendrer une grave atteinte à sa personnalité. Par ailleurs, qualifiée de « discussion un peu forte », voire de « discussion méchante » par les témoins directs, l’altercation ne saurait à elle seule entraîner une perte de l’autorité du contremaître vis-à-vis de ses ouvriers ou de tiers, étant rappelé que le litige s’inscrit dans le cadre bien particulier d’un chantier de construction, où, comme relevé par les premiers juges, une certaine rudesse a cours. La dispute ne semble d’ailleurs pas avoir marqué les ouvriers présents, l’un d’entre eux ne se souvenant même plus du litige, mise à part la survenance d’une discussion un peu forte.

Par conséquent, force est de constater que le comportement de l’intimé, bien que peu respectueux envers le contremaîtren’était pas de nature, dans les circonstances d’espèce, à porter gravement atteinte à la personnalité de celui-ci ni à son autorité.

Au demeurant, aucun élément du dossier ne permet de retenir, contrairement à ce que soutient l’appelante, que celle-ci ait dûment averti son employé du caractère répréhensible de son comportement au sein de l’entreprise. En conséquence, il n’est pas établi que le manquement de l’intimé a été répété en dépit d’un avertissement suffisant donné par l’employeur, dûment notifié et comportant la menace claire d’un licenciement immédiat. Par ailleurs, l’appelante n’a pas non plus établi, ni même rendu vraisemblable que l’intimé était susceptible de lui causer d’autres dommages jusqu’à la fin de leurs relations contractuelles.

Au vu de ce qui précède, les propos injurieux et menaçants tenus le 31 mai 2013 par l’intimé ne constituent pas un manquement si grave à ses devoirs qu’ils justifiaient un licenciement immédiat. Il s’ensuit que le licenciement notifié le 4 juin 2013 à l’intimé n’était pas justifié, comme les premiers juges l’ont retenu.

(Tiré de CAPH/200/2014)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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