Les litiges de nature fiscale opposant les banques suisses à des autorités étrangères concernant des ressortissants « non-fiscalisés » de celles-ci entraînent tôt ou tard la transmission de données d’employés à ces mêmes autorités.
Les conséquences d’une telle transmission peuvent être graves pour les travailleurs concernés. Les autorités américaines ont, par exemple, toujours affirmé que les éventuels processus de régularisation des banques en tant que tels n’impliquaient pas l’impunité des employés concernés. Et, de fait, il y a eu, et il y aura, des arrestations, des procès et des condamnations aux Etats-Unis en rapport avec la gestion passée de clients non déclarés.
La tendance ne concerne pas que les Etats-Unis, et dépasse le monde bancaire.
La France, l’Allemagne, d’autres pays encore, entendent égaler l’activisme américain dans ce domaine, et d’autres activités économiques semblent sur le point de rejoindre ou ont rejoint les banques sous le feu des projecteurs.
On peut dès lors se poser la question des prétentions que pourrait former l’employé ou l’ex-employé qui aurait été condamné pénalement ensuite de la transmission de données par son employeur à une autorité étrangère.
C’est le sens d’un intéressant article de Berger/Muskens, Prétentions civiles à la suite d’une condamnation pénale, PJA 2015 pp. 896-906, dont ces lignes s’inspirent. Nous nous concentrerons toutefois sur les éléments de portée générale, i.e. sur ceux qui dépassent le simple cadre bancaire et le litige avec les USA, pour s’appliquer potentiellement à tous les cas de transmission de données d’employés suivis de condamnations pénales de ceux-ci.
De manière générale, l’employé dont les données ont été transmises par l’employeur encourt plusieurs dommages résultant de cet acte.
On peut les résumer de la manière suivante : (i) s’il participe à la procédure étrangère, il subira un manque à gagner du fait de cette participation, il pourra perdre son emploi en Suisse, il devra payer des amendes et/ou subir une peine de prison, il acquittera d’importants frais de justice et d’avocats, etc. ; il y aura donc des coûts liés à la procédure, ceux liés à la sanction et d’autres connexes/indirects ; (ii) s’il ne participe pas à la procédure, cela revient à lui interdire de quitter la Suisse au minimum, sans parler encore de l’exécution des sanctions étrangères.
Or les éventuelles infractions commises au droit étranger l’auront été par l’employé probablement sur instruction et/ou dans l’intérêt de l’employeur, qui se « défausse » ensuite en concluant des accords avec les autorités étrangères qui impliquent de livrer leurs employés au feu d’une justice pénale étrangère. Que peut faire alors l’employé, qui se retrouvera comme le dindon de la farce ?
L’employé peut mettre en jeu la responsabilité délictuelle (art. 41 et ss CO) ou la responsabilité contractuelle (art. 97 et ss ; 319 et ss CO) de l’employeur. La 1ère sanctionne l’atteinte à un droit absolu ou à une norme protectrice, la 2e une violation du contrat qui lie les parties.
La responsabilité contractuelle présente certains avantages pour l’employé: devoirs étendus de protection dans le cadre du contrat de travail, faute de l’employeur présumée, prescription plus étendue.
Lorsque les faits qui fondent les prétentions de l’employé peuvent à la fois constituer un acte illicite ou une violation du contrat, celui-ci peut d’ailleurs choisir entre l’action délictuelle ou l’action contractuelle.
Nous examinerons uniquement les conditions de la responsabilité contractuelle dans l’hypothèse d’un employé qui participe à la procédure étrangère et qui est condamné. Elles sont les suivantes : dommage, violation du contrat, faute, lien de causalité
L’employé devra alléguer et prouver qu’il subit un dommage.
Il faut noter ici que la sanction pénale, amende comprise, n’est pas considérée en droit suisse comme un dommage réparable. On retiendra en effet que le dommage trouve, dans ce genre de circonstances, sa source dans un état de fait illégal que le justiciable avait lui-même créé, sans compter encore que le caractère strictement personnel de l’amende implique qu’elle frappe le patrimoine du condamné. Constituent toutefois des exceptions à ce qui précède les situations où le justiciable n’a pas pu bénéficier d’une peine allégée en raison de l’inaction de son mandataire ou a été condamné en raison d’une faute de son mandataire sans que lui-même en ait commis ; on réserve aussi les condamnations ou les procédures violant l’ordre public. Il s’agit donc d’exceptions très limitées.
Berger/Muskens indiquent, parmi d’autres, une piste intéressante pour contourner cette limitation. C’est en effet l’employeur qui supporte le risque d’entreprise. Or si les actes des employés condamnés ont été autorisés ou tolérés par l’employeur qui y voyait une opportunité de développer ses affaires, on peut retenir que l’amende aurait dû être infligée à l’employeur et non à l’employé. A ma connaissance, l’argument n’a pas encore testé devant les tribunaux, mais elle mériterait de l’être.
Pour ce qui est des coûts liés au procès (frais de justice et de défense, manque à gagner), ceux-ci suivent la condamnation, i.e. le condamné supporte les frais. Cela étant dit, l’art. 327a al. 1 CO impose à l’employeur de rembourser au travailleur les frais causés par l’exécution du contrat de travail. Si la disposition ne s’applique pas aux procédures pénales relatives à des activités en Suisse contraires au droit suisse, elle pourrait être invoquée pour des procédures à l’étranger en vertu du même raisonnement fondé sur le risque économique.
Il n’est d’ailleurs pas anodin, dans ce contexte, qu’une des grandes banques impliquée dans le contentieux US ait pris grand soin de démontrer (même contre l’évidence) qu’elle n’était pas au courant des actes des employés concernés, qu’il s’agissait de gestionnaires félons, etc.
La question de la réparation des conséquences indirecte d’une condamnation est moins claire. On peut penser à l’impossibilité de retrouver un emploi comparable, du manque à gagner consécutif à l’exécution d’une peine privative de liberté, etc. Cela étant dit, ces dommages doivent être examinés à l’aune des devoirs de l’employeur résultant du contrat de travail. On peut penser aux art. 328 et 328b CO notamment.
Pour ce qui est de la violation du contrat, on se reportera aux art. 319 et ss CO, notamment les art. 328 (protection de la personnalité) et 328b (traitement des données). L’employé argumentera avoir été mal instruit et informé quant aux activités qu’il devait accomplir ; il soulèvera que les données ont été transmises à une autorité étrangère en violation du droit – et il soulignera que le risque économique appartient à l’employeur. L’examen de la licéité de la transmission des données se fera d’abord sous l’angle de l’art. 6 LPD.
Cela implique notamment que l’employé devra s’opposer à la transmission des données à l’étranger et devra avoir agi en justice à cette fin, pour autant bien sûr qu’il en ait été informé. A défaut, on pourra lui reprocher de demande la réparation d’un dommage auquel il aura lui-même contribué.
Concernant la faute, celle de l’employeur est présumée si l’employé établit une violation du contrat. La question d’une éventuelle faute concomitante de l’employé est réservée, que ce soit pour la fixation de l’indemnité ou pour l’interruption du lien de causalité.
Enfin la violation du contrat par l’employeur doit être en lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l’employé. Il s’agit de prouver que sans la violation du contrat le dommage ne serait pas survenu, et que selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une telle violation est susceptible de causer un tel dommage. Dans les faits, l’employeur tentera d’établir une rupture de ce lien en raison de la faute concomitante de l’employé.
En conclusion, les écueils principaux d’une réparation civile en Suisse d’un dommage consécutif à une condamnation pénale à l’étranger résultant de la transmission de données par l’employeur reposent essentiellement dans la question du périmètre du dommage réparable. La voie d’une argumentation basée sur la répartition du risque économique dans le contrat de travail paraît prometteuse, pour autant que les actes de l’employé ait été autorisés ou tolérés par l’employeur et qu’ils aient lieu à son profit.
Pour en savoir plus sur la protection des données dans les rapports de travail, on regardera aussi: ici