
A teneur de l’art. 34 al. 1 CPC, les actions relevant du droit du travail peuvent être portées devant le tribunal du domicile ou du siège du défendeur, ou devant le tribunal du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle.
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 34 al. 1 CPC, le for du lieu habituel de l’activité « professionnelle » du travailleur, c’est-à-dire l’activité convenue entre les parties au contrat de travail, était prévu dans des termes similaires par l’art. 24 al. 1 de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors (LFors; RO 2000 2355 p. 2360). Dans les rapports internationaux, le for du lieu habituel de l’activité convenue était aussi prévu par l’art. 5 par. 1 de la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, conclue le 16 septembre 1988 (CL 1988), et par l’art. 115 al. 1 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP; RS 291). L’art. 5 par. 1 CL 1988 est actuellement remplacé par l’art. 19 par. 2 let. a de la Convention de Lugano sur les mêmes matières conclue le 30 octobre 2007 (CL 2007; RS 0.275.12).
Selon l’intention du législateur fédéral, l’art. 24 al. 1 LFors était harmonisé avec l’art. 5 par. 1 CL 1988 et il différait, en conséquence, de l’art. 343 al. 1 aCO auquel il succédait: celui-ci prévoyait un for au « lieu de l’exploitation ou du ménage pour lequel le travailleur [accomplissait] son travail » (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les fors en matière civile, FF 1999 2591 p. 2624). Au regard de l’art. 34 al. 1 CPC qui correspond à l’art. 24 al. 1 LFors, le for peut donc se trouver dans un lieu où l’employeur n’a aucune sorte d’établissement ni installation fixe, ce qui n’était pas admis sous l’empire de l’art. 343 al. 1 aCO.
L’art. 34 al. 1 CPC correspond actuellement à l’art. 19 par. 2 let. a CL 2007. Celui-ci est une réplique de l’art. 19 par. 2 let. a du règlement de l’Union européenne n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, du 22 décembre 2000. Il s’ensuit que les critères déterminants dans l’application de ces dispositions de droit international peuvent être pris en considération aussi dans l’interprétation de l’art. 34 al. 1 CPC.
Selon la jurisprudence topique de la Cour de justice de l’Union européenne, le lieu où un travailleur accomplit habituellement son travail est celui dans lequel, ou à partir duquel ce travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur, cela parce que c’est à cet endroit que le travailleur peut à moindres frais intenter une action judiciaire à son employeur et que le juge de ce lieu est le plus apte à trancher la contestation relative au contrat de travail (CJUE, arrêt C-168/16 du 14 septembre 2017, § 58). Lorsque l’activité fournie est dispersée ou répartie entre plusieurs lieux, le for se trouve en principe dans celui où le travailleur est occupé pendant la majeure partie de son temps de travail (CJUE, arrêt C-37/00 du 27 février 2002, § 50), à moins qu’un autre de ces lieux ne présente un rapport suffisamment stable et intense avec l’objet du litige pour qu’il doive être considéré comme un lieu d’attache prépondérant (même arrêt, § 55). Lorsque plusieurs lieux d’occupation revêtent une importance égale, il n’existe pas de compétence concurrente entre eux et aucun ne fonde la compétence d’un tribunal (§§ 55 et 57). Une part du temps de travail globalement majoritaire dans le lieu envisagé, voire supérieure à soixante pour cent du temps de travail total, est nécessaire; à défaut, il n’existe pas de lieu habituel de l’activité convenue et pas de for correspondant. Une durée d’occupation minoritaire mais comparativement plus importante dans le lieu envisagé, par rapport aux durées d’occupation dans d’autres lieux, n’est concluante que si ce lieu revêt une importance particulière dans la relation de travail.
Il est ainsi admis que le critère quantitatif de la durée d’occupation n’est pas seul décisif et qu’un critère fondé sur l’importance qualitative du lieu envisagé, du point de vue de l’activité fournie, peut aussi entrer en considération. Dans le cas d’un travailleur qui se consacrait à la promotion des produits de son employeuse dans plusieurs Etats européens, la Cour de justice a relevé parmi les éléments pertinents que ce travailleur exécutait sa tâche depuis un bureau établi à son domicile, où il revenait après chaque déplacement professionnel (CJUE, arrêt C-125/92 du 13 juillet 1993, § 25). La Cour n’a fait aucune allusion à la durée du travail accompli au bureau en comparaison avec la durée globale du travail ou avec celle du travail accompli en déplacement, et le dispositif de l’arrêt désigne comme topique le lieu « où, ou à partir duquel le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations ».
Selon un arrêt du Tribunal fédéral relatif à l’art. 34 al. 1 CPC, le lieu de l’activité habituelle du travailleur est celui où se situe effectivement le centre de l’activité concernée. Un lieu d’activité purement éphémère et temporaire ne suffit pas à créer un for judiciaire. La durée absolue de l’occupation du travailleur dans le lieu envisagé ne joue aucun rôle; la durée relative, comparée à la durée globale des rapports de travail et de l’occupation dans d’autres lieux, est en revanche importante. Lorsque le travailleur est occupé simultanément dans plusieurs lieux, le lieu « principal » est déterminant (arrêt 4A_236/2016 du 23 août 2016, consid. 2).
Tous les auteurs admettent que lorsque le travailleur est occupé simultanément dans plusieurs lieux, celui de ces lieux qui se révèle manifestement central, du point de vue de l’activité fournie, détermine le for à l’exclusion des autres. Selon certaines contributions, il ne peut pas exister simultanément plusieurs fors du lieu de l’activité habituelle, de sorte que si aucun des lieux en concours n’est prééminent, il n’existe aucun for du lieu de l’activité habituelle. Selon d’autres opinions, au contraire, un for est alors disponible dans chacun de ces lieux. Aucun auteur ne subordonne le for du lieu de l’activité habituelle à ce que le travailleur y soit occupé pendant la majeure partie de son temps de travail global.
Certains commentateurs abordent la situation spécifique des voyageurs de commerce et des autres travailleurs affectés au service extérieur d’une entreprise. Si leur activité ne comporte aucun point de rattachement géographique prépondérant, ces travailleurs n’ont pas non plus accès à un for du lieu de l’activité habituelle. Un rattachement prépondérant, propre à fonder la compétence du for correspondant, est toutefois admis au lieu où le travailleur affecté au service extérieur planifie et organise ses déplacements, et accomplit ses tâches administratives; le cas échéant, ce lieu coïncide avec son domicile personnel. Avec la compétence du for correspondant, ce rattachement est aussi consacré par un arrêt de la Cour suprême du canton de Zurich (arrêt LA130023 du 20 novembre 2013, consid. 5). Dans la présente contestation, l’approche adoptée par le Tribunal cantonal est fondée sur le lieu où le demandeur organise son activité et accomplit ses tâches administratives; elle s’harmonise donc avec les critères déjà consacrés par la jurisprudence ou proposés par la doctrine, et elle mérite ainsi d’être approuvée.
Le for du lieu habituel de l’activité convenue répond à un but de protection du travailleur à titre de partie socialement la plus faible; c’est pourquoi celui-ci ne peut pas y renoncer valablement par une convention antérieure à la naissance du différend (art. 21 par. 1 CL 2007; art. 35 al. 1 let. d CPC). Il n’est certes pas garanti au travailleur qu’un lieu d’activité habituel, avec le for correspondant, doive être identifié et reconnu quelles que soient les circonstances particulières de ses propres tâches. On doit néanmoins n’envisager qu’avec retenue la situation singulière où aucun for du lieu habituel de l’activité n’est disponible. A cet égard aussi, l’approche du Tribunal cantonal doit être approuvée. Il ne conviendrait pas de retenir que parce que l’activité administrative d’un collaborateur du service extérieur est globalement secondaire du point de vue quantitatif, ce collaborateur ne puisse pas agir en justice là où il pratique régulièrement cette activité, avec ce résultat qu’il ne puisse agir qu’au siège de l’employeuse alors que son travail n’a aucun lien effectif avec ce lieu-ci. En particulier dans la présente contestation, rien ne justifie que le demandeur soit contraint d’ouvrir action dans le canton de Zurich, ou de renoncer à l’action, alors que son activité se pratiquait exclusivement en Valais.
Nul ne met en doute que lorsque le travailleur n’est plus occupé, en particulier après la fin des rapports de travail, un for subsiste au lieu où l’activité convenue était habituellement pratiquée.
Bien que longuement développée, l’argumentation que la défenderesse soumet au Tribunal fédéral n’apporte aucun élément d’où il résulterait qu’une approche autre que celle du Tribunal cantonal, moins favorable au demandeur, corresponde mieux au sens de l’art. 34 al. 1 CPC. L’arrêt attaqué est au contraire conforme à cette disposition. Ses considérants permettent de comprendre pourquoi le Tribunal cantonal rejette l’exception d’incompétence, de sorte que la demanderesse se plaint aussi à tort d’une motivation prétendument insuffisante.
Le recours se révèle privé de fondement, ce qui conduit à son rejet.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_527/2018 du 14 janvier 2019, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon-les-Bains