Clause de non concurrence: conditions de licéité de la peine conventionnelle

La pratique connaît cette « figure imposée » du contrat de travail, une clause prévoyant une « peine conventionnelle » en cas de violation, par le travailleur, d’une obligation lui incombant, le plus souvent en rapport avec une clause de non concurrence.

Nous ne reviendrons pas ici sur les conditions de forme et de fond pour qu’uneclause de non concurrence soit valide (cf. https://droitdutravailensuisse.com/2017/12/06/clause-de-non-concurrence-en-droit-suisse-du-travail/). Nous traiterons ici exclusivement de la peine conventionnelle, qui vient de faire l’objet d’un arrêt important (ATF 144 III 327 = SJ 2019 I 121) :

A teneur de l’art. 362 al. 1 CO, il ne peut être dérogé à l’art. 321e CO, qui règle la responsabilité du travailleur, au détriment de celui-ci (sur l’art. 321e CO : https://droitdutravailensuisse.com/2015/03/18/faq-no-40-le-travailleur-doit-il-reparer-le-dommage-quil-cause-a-lemployeur/). L’art. 321e CO n’exclut toutefois pas les sanctions disciplinaires : à certaines conditions, les dispositions du contrat de travail peuvent contenir de telles sanctions, qui constituent alors des peines conventionnelles (art. 160 et ss CO).

La clause pénale au sens des art. 160 et ss CO a diverses fonctions : (i) assurer la bonne exécution des obligations contractuelle (fonction de sauvegarde), (ii) compenser le préjudice patrimonial (fonction indemnitaire) et (iii) sanctionner le débiteur de la prestation suite à une violation contractuelle (fonction répressive).

Concernant la compatibilité d’une clause pénale avec l’art. 321e CO, il faut distinguer selon que la clause pénale présente un caractère répressif et/ou un caractère indemnitaire. Une clause de type indemnitaire, qui vise la compensation des préjudices patrimoniaux et est centrée sur l’intérêt économique des parties à la bonne exécution des obligations, est compatible avec l’art. 321e CO. Mais une telle clause ne doit pas aggraver de manière illicite la responsabilité du travailleur. Il n’est ainsi pas possible de prévoir une responsabilité du travailleur indépendamment de toute faute ou de tout dommage, de renverser le fardeau de la preuve au détriment du travailleur ou de prévoir une peine supérieure au dommage réellement causé.

Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, l’obligation de s’acquitter de la peine conventionnelle naissait d’une violation contractuelle, sans qu’une faute soit nécessaire (« en cas de violation du présent contrat »). La clause pénale était aussi indépendante de la survenance d’un dommage. [Le texte intégral de la clause : « En cas de violation du contrat, en particulier de l’interdiction de concurrence ou de l’obligation de garder le secret, l’employée est débitrice d’une peine conventionnelle de Frs. 50’000.—par infraction. Le paiement de la peine conventionnelle ne libère par l’employée de l’obligation de supprimer l’état de fait contraire au droit et de réparer le dommage supplémentaire. »] Une telle clause est donc nulle (art. 362 al. 2 CO). Cela exclut en conséquence que la clause indemnitaire soit réduite en application de l’art. 163 al. 3 CO, qui traite d’une clause pénale valide, mais excessive ou exagérée.

Une clause pénale peut aussi avoir un caractère disciplinaire ; les sanctions disciplinaires ne sont toutefois licites qu’au cas et dans la mesure où le règlement d’entreprise le prévoit d’une manière convenable (art. 38 al. 1 LTr). Si la LTr n’est pas applicable (en cas de fonction dirigeante élevée par exemple), le contrat de travail peut prévoir des sanctions disciplinaires pour autant que les faits sujets à sanction soient clairement définis et que le montant des peines soit déterminé et proportionné. Chaque infraction passible de sanction et la sanction elle-même doivent être définies de manière suffisamment claire. Dans le cas d’espèce, toute violation du contrat de travail est censée être sanctionnée par une peine conventionnelle, indépendamment de sa nature et de sa gravité. La clause pénale visée dans le cas d’espèce ne saurait donc être licite sous l’angle disciplinaire non plus.

NB: cet arrêt semble restreindre substantiellement la portée des clauses pénales insérées dans le contrat en lien avec les clauses de non concurrence.

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon-les-Bains

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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