[Dans la mesure où nous recevons beaucoup de questions de clients sur l’état de fait exceptionnel entraîné par la présente épidémie de Covid-19, il nous a paru utile de partager quelques éléments de réponse. Il va sans dire que ces considérations ne remplacent pas une analyse au cas par cas, et ne sauraient constituer un avis de droit susceptible d’engager la responsabilité de leur auteur.]
Le travailleur a-t-il un droit au travail à domicile ?
Jusqu’à aujourd’hui, la réponse était plutôt non, une jurisprudence isolée du TAF à ce propos étant difficilement généralisable (https://droitdutravailensuisse.com/2018/04/20/open-space-un-droit-au-teletravail/). La situation semble toutefois avoir changé depuis ce jour en application des mesures urgentes prises par le Conseil fédéral pour lutter contre le coronavirus.
En effet, selon l’art. 7 de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (Loi sur les épidémies, LEp ; RS 818.101), si une situation extraordinaire l’exige, le Conseil fédéral peut ordonner les mesures nécessaires pour tout ou partie du pays.
Hier, 16 mars 2020, le Conseil fédéral a, sur cette base, encore renforcé les mesures de protection de la population au cours d’une séance extraordinaire. Il a qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de la loi sur les épidémies. Tous les magasins, restaurants, bars et établissements de divertissements et de loisirs ont été fermés jusqu’au 19 avril 2020, à l’exception notamment des magasins d’alimentation et des établissements de santé. Il a introduit par ailleurs dès minuit des contrôles aux frontières avec l’Allemagne, la France et l’Autriche. Enfin, il a approuvé le recours à l’armée (jusqu’à 8000 militaires) afin d’appuyer les cantons au niveau des hôpitaux, de la logistique et de la sécurité.
Le Conseil fédéral a en conséquence modifié l’Ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) (Ordonnance 2 COVID-19; 818.101.24), modification du 16 mars 2020 (RO 2020 783) qui prend effet le 17 mars 2020 à 0 h 00.
L’ordonnance 2 COVID-19 modifiée comprend notamment deux articles nouveaux 10b et 10c dont la teneur est la suivante :
Art. 10b Principe
1 Les personnes particulièrement à risque doivent rester chez elles et éviter les regroupements de personnes.
2 Par personnes particulièrement à risque, on entend les personnes de 65 ans et plus et les personnes qui souffrent notamment des pathologies suivantes: hypertension artérielle, diabète, maladies cardiovasculaires, faiblesse immunitaire due à une maladie ou à une thérapie, cancer.
Art. 10c Obligation de l’employeur
1 Les employés particulièrement à risque accomplissent leur travail à domicile. Si cela n’est pas possible, l’employeur leur accorde un congé en continuant à leur verser leur salaire.
2 Les employés font valoir leur situation de personnes particulièrement à risque par une déclaration personnelle. L’employeur peut demander un certificat médical.
Ces deux dispositions semblent dès lors accorder un véritable droit au travail à domicile pour les personnes à risque, à tel point que, s’il devait s’avérer impossible, l’employeur devrait accorder un congé en continuant à payer le salaire.
Ces deux dispositions posent de très nombreux problèmes pratiques et d’interprétation. Parmi beaucoup d’autres, on peut mentionner :
- La base légale : l’art. 7 LEp est-il une base légale suffisante pour introduire par voie d’ordonnance des dispositions d’une telle importance ?
- Comment est-ce que ces deux dispositions s’insèrent dans le système du droit au salaire en cas d’empêchement non fautif de travailler (art. 324-324a CO) et des congés (art. 329 ss CO) ?
- Ce droit au travail à domicile, et sa conséquence en cas d’impossibilité, s’applique-t-il aux personnes concernées par les fermetures de magasins et d’établissements visées par l’ordonnance ?
- Ce droit au travail à domicile s’applique-t-il aussi aux contrats de droit public ?
Qu’on ne s’y trompe pas, l’Ordonnance 2 COVID-19 soulève des questions substantielles liées à l’organisation du travail et au droit au salaire.
Bon courage !
(J’exprime tous mes remerciements à Me Georges Chanson, avocat à Zurich, qui a fait circuler l’information et ses propres réflexions sur ces questions dès hier soir par le biais du Fachgruppe Arbeitsrecht Zürcher Anwaltsverband).
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)