La preuve à futur prévue à l’art. 158 CPC est une procédure probatoire spéciale de procédure civile, qui peut avoir lieu avant l’ouverture de l’action. L’art. 158 al. 1 CPC prévoit ainsi que le tribunal administre les preuves en tout temps (i) lorsque la loi confère le droit d’en faire la demande (let. a) ou (ii) lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant. Les dispositions sur les mesures provisionnelles sont applicables.
L’art. 158 al. 1 let. b CPC prévoit ainsi deux cas de preuve à futur. Dans le premier cas, elle a pour but d’assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Une partie peut donc requérir une expertise ou une autre preuve sur des faits qu’elle entend invoquer dans un procès éventuel, en vue de prévenir la perte de ce moyen de preuve. Dans le second cas, la preuve à futur hors procès est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d’un éventuel procès au fond. Le requérant doit établir qu’il a un intérêt digne de protection à l’administration de la preuve. Il ne lui suffit pas d’alléguer avoir besoin d’éclaircir des circonstances de fait; il doit rendre vraisemblable l’existence d’une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l’administration de la preuve à futur.
Tous les moyens de preuve prévus par les art. 168 ss CPC peuvent être administrés en preuve à futur hors procès, et ce conformément aux règles qui leur sont applicables. Lorsqu’il s’agit d’une expertise, les règles des art. 183 à 188 CPC s’appliquent. En particulier, le tribunal nomme un expert, préside au déroulement des opérations, instruit l’expert et lui soumet les questions soumises à expertise (art. 185 al. 1 CPC). Il donne aux parties l’occasion de s’exprimer sur ces questions et de proposer qu’elles soient modifiées ou complétées (art. 185 al. 2 CPC) et fixe à l’expert un délai pour déposer son rapport (art. 185 al. 3 CPC). Il communique ensuite celui-ci aux parties et leur offre la possibilité de demander des explications ou de poser des questions complémentaires à l’expert (art. 187 al. 4 CPC).
La procédure de preuve à futur n’a pas pour objet d’obtenir qu’il soit statué matériellement sur les droits ou obligations des parties, mais seulement de faire constater ou apprécier un certain état de fait. Une fois les opérations d’administration de la preuve terminées, le juge clôt la procédure et statue sur les frais et dépens (ATF 142 III 40 consid. 3.1.3).
Sur ce dernier point, le Tribunal fédéral a jugé que la partie requérante doit prendre en charge l’émolument judiciaire en cas d’admission de sa requête de preuve à futur, même si la partie intimée a conclu au rejet de la requête. Faute de décision sur une prétention de droit matériel à l’issue de la procédure de preuve à futur, il n’y a en effet ni partie qui obtient gain de cause ni partie qui succombe, de sorte que la règle générale de répartition de l’art. 106 al. 1 CPC ne saurait s’appliquer. La répartition des frais en équité (cf. art. 107 al. 1 let. f CPC) commande de les faire supporter par la partie qui a intérêt à la preuve à futur, soit au requérant. Grâce à l’administration de la preuve requise, celui-ci a en effet la possibilité de sauvegarder un moyen de preuve en péril ou de clarifier ses chances dans un éventuel procès au fond; s’il choisit d’introduire un tel procès et qu’il obtient finalement gain de cause, il pourra en outre reporter sur la partie succombante les coûts de la procédure de preuve à futur. Les mêmes considérations valent pour les dépens de la partie intimée, qui doivent être pris en charge par la partie requérante, sous réserve d’un éventuel remboursement à l’issue du procès principal. En effet, l’intimé est attrait contre son gré à la procédure de preuve à futur et doit dans tous les cas participer à l’administration de la preuve, ce qui, s’il est représenté par un avocat, lui occasionne des coûts.
Dans l’arrêt publié aux ATF 139 III 33, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer plus spécifiquement sur la question de la répartition des frais d’administration des preuves (art. 95 al. 2 let. c CPC), singulièrement des frais d’expertise, au terme d’une procédure de preuve à futur hors procès. En principe, les frais d’administration des preuves sont à la charge de la partie requérant la preuve à futur, sous réserve d’une autre répartition dans le procès principal. Lorsqu’il exerce son droit d’être entendu et pose à l’expert des questions complémentaires qui ne sortent pas du cadre défini par le requérant, l’intimé à la requête ne peut pas se voir imposer la prise en charge d’une partie des frais de la mesure probatoire, quand bien même il ne s’est pas opposé à la requête et que ses questions ont occasionné un travail supplémentaire de la part de l’expert. Il appartient au juge, auquel la décision définitive sur la formulation des questions incombe, de s’assurer que l’objet du procès déterminé par le requérant n’est pas étendu par des questions complémentaires de la partie adverse. Dans le cas ayant donné lieu à la jurisprudence précitée, le juge statuant sur la requête de preuve à futur avait transmis à l’expert les questions des parties après examen et reformulation partielle, en étant conscient que l’étendue de la preuve à futur était déterminée par la partie requérante; il apparaissait ainsi que les questions complémentaires de la partie intimée rentraient dans le cadre défini par la requête de preuve à futur et contribuaient à la force de l’expertise, dans l’intérêt de la partie requérante qui cherchait à éclaircir les responsabilités pour un dommage avant d’engager un procès. De plus, la partie intimée n’avait pas le choix d’introduire elle-même le procès au fond, dans lequel elle aurait pu obtenir une autre répartition des frais. Par conséquent, le fait, pour la partie intimée, de poser des questions complémentaires dans un tel contexte ne pouvait, sous peine de verser dans l’arbitraire, être considéré comme une circonstance particulière au sens de l’art. 107 al. 1 let. f CPC, qui rendrait inéquitable la prise en charge de la totalité des frais d’expertise par la partie requérante et justifierait de les répartir entre les parties.
Par ailleurs, s’il remplit l’une des conditions de l’art. 158 al. 1 CPC, l’intimé à la requête peut toujours demander l’extension de la preuve à futur à d’autres faits et/ou à d’autres moyens de preuve; il devra alors prendre à sa charge les frais y relatifs.
(…) Il est par ailleurs incontesté que la partie qui requiert une preuve à futur doit avancer les frais d’administration des preuves, conformément à la règle générale consacrée à l’art. 102 al. 1 CPC. L’art. 102 al. 2 CPC prévoit toutefois que lorsque les parties requièrent les mêmes moyens de preuve, chacune avance la moitié des frais.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_606/2018 du 4 mars 2020)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)