
Les manifestations du fait religieux au travail peuvent être très variées : port de certains vêtements, fêtes, congés particuliers, régimes alimentaires, locaux dédiés à la prière, refus de certaines interactions sociales, prosélytisme, etc.
L’Institut Montaigne, reprenant les publications régulières faites auparavant par l’Institut Ranstad, vient de publier le Baromètre du fait religieux en entreprise 2020-2021 ensuite de son enquête annuelle (https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021).
Sous la direction de Lionel Honoré, le Baromètre du Fait religieux en entreprise s’appuie en effet à la fois sur une enquête quantitative et sur un important travail de terrain. L’enquête d’opinion a été réalisée, de septembre à décembre 2020, auprès d’un échantillon représentatif de plus de 25 000 cadres et managers exerçant leur activité en France.
Les chiffres sont évidemment valables pour la France, et on ne peut évidemment que regretter qu’un tel outil ne soit pas disponible pour la Suisse, ou au moins pour la Suisse romande.
Mais on peut remarquer, derrière des formulations parfois émollientes, deux choses ; une augmentation de ces manifestations, d’une part, et une augmentation de leur « conflictualité » d’autre part, i.e. des situations qui ont requis une intervention de l’employeur, entraîné des litiges, etc.
L’employeur doit, autant qu’il est possible, anticiper ces évolutions – et ces litiges – en utilisant les outils à sa disposition, dont le premier est le règlement du personnel.
Certains comportements peuvent ainsi faire l’objet de dispositions ad hoc dans le Règlement du personnel (le « Règlement »), lequel est l’expression du droit de l’employeur de donner des directives (art. 321d CO). Cela permet à l’employeur de préciser le comportement attendu des travailleurs, et de prendre si nécessaire des sanctions.
Prenons la question des relations que doivent entretenir entre eux les collaborateurs, et particulièrement ceux de sexes différents. L’employeur est en droit d’exiger, par des dispositions du Règlement, que les employés manifestent les uns envers les autres la courtoisie et les égards qui ont dus, et il doit aussi insister sur le respect de l’égalité entre les sexes. La mention de ces exigences permet évidemment de sanctionner les éventuels contrevenants, et de favoriser l’exécution des prestations de travail dans un climat serein et respectueux.
Le prosélytisme religieux (et politique) est aussi à bannir absolument dans le cadre du Règlement pour garantir des bonnes relations de travail. Toute autre est la question du port de symboles religieux sur le lieu de travail, qui devrait être toléré comme une expression légitime de la liberté de croyance. Ce port n’a toutefois pas à être mentionné dans le Règlement, sauf à dresser une longue et inutile liste de ce qui est admissible et de ce qui ne le serait pas.
Ne devrait pas être visée dans le Règlement la question du port du voile sur le lieu de travail. Une interdiction générale de porter le voile au travail apparaîtrait en effet, en droit suisse, comme disproportionnée dans la mesure où elle ne porterait pas sur un élément indispensable à l’exécution des prestations de travail (les questions d’hygiène et de sécurité sont bien évidemment réservées). Le droit suisse ne permet pas, contrairement au droit européen (à des conditions très restrictives il est vrai) la création d’un environnement « neutre » confessionnelle ment (les rapports de travail de droit public mis à part bien évidemment).
L’aménagement des horaires de travail pour permettre le respect de fêtes religieuses non reconnues comme jours fériés par le droit suisse et de prières quotidiennes doit recevoir une réponse nuancée. En appliquant avec discernement les critères de la jurisprudence (par exemple CAPH-GE/200/2006), on devrait pouvoir retenir que des aménagements sont possibles au cas par cas, et pour autant que l’exécution des prestations de travail n’en souffre pas. Le critère déterminant devrait être ici l’exécution des prestations contractuelles par l’employé, et le fait que l’aménagement l’entrave ou non. La sécurité devrait également être prise en compte, par exemple en cas de tâches dangereuses pour soi ou pour des tiers. Il n’y a donc pas de solutions générales qui devraient être consignées dans le Règlement.
En règle générale, on préférera donc l’esprit de finesse, la proportionnalité et le dialogue – mais certains principes ne sont pas négociables, et devraient être couchés dans le Règlement du personnel. On pensera notamment à l’établissement et au maintien de rapports courtois entre les travailleurs, à la bonne exécution des prestations de travail, à l’égalité des sexes, à la protection de la personnalité et à la préservation de la sécurité.
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)