
Le canton de Genève a institué une juridiction spécialisée – le Tribunal des prud’hommes – pour juger « [d]es litiges découlant d’un contrat de travail, au sens du titre dixième du Code des obligations » (art. 1 al. 1 let. a LTPH).
Il s’ensuit que l’existence d’un contrat de travail est un fait doublement pertinent, soit un fait déterminant pour la compétence du tribunal comme pour le bien-fondé de l’action.
En présence de tels faits, la jurisprudence prescrit de procéder de la façon suivante:
Lors de l’examen de la compétence, que le juge effectue d’office in limine litis, les faits doublement pertinents sont réputés vrais et n’ont pas à être prouvés. En s’appuyant sur les allégués, moyens et conclusions du seul demandeur, le juge doit rechercher si ces faits sont concluants, i.e. permettent de déduire juridiquement la qualification de contrat de travail, et partant le for invoqué.
Si, à ce stade déjà, il aboutit à la conclusion qu’un tel contrat ne peut être retenu, le juge doit déclarer la demande irrecevable. Dans le cas contraire, le procès se poursuit normalement et le juge procède à l’administration des preuves.
Si, en examinant le fond de la cause, le juge réalise finalement qu’il n’y a pas de contrat de travail, il ne peut rendre un nouveau jugement sur la compétence mais doit rejeter la demande par une décision de fond, revêtue de l’autorité de chose jugée. Le cas échéant, il doit aussi examiner si la prétention repose sur un autre fondement; en effet, en vertu du principe jura novit curia (cf. art. 57 CPC), un seul et même juge doit pouvoir examiner la même prétention sous toutes ses « coutures juridiques.
En l’occurrence, B.________ a saisi le Tribunal des prud’hommes genevois d’une demande en paiement fondée sur un prétendu contrat de travail qui l’aurait lié à la défenderesse. Dans son jugement du 20 août 2019, cette autorité a rappelé que les art. 59 al. 2 let. b et 60 CPC lui enjoignaient d’examiner d’office sa compétence. Elle a recherché si les éléments constitutifs d’un contrat de travail étaient réalisés et a répondu par la négative. Elle en a déduit son incompétence ratione materiae et a déclaré la demande irrecevable.
Le tribunal prud’homal a cru pouvoir rendre une décision finale sur la compétence. En réalité, le déroulement de la procédure montre que tel ne saurait être le cas. Après l’échange d’écritures, le tribunal a tenu une audience d’instruction au terme de laquelle il a rendu une ordonnance de preuves invitant le demandeur à prouver l’existence d’un contrat de travail et autorisant la partie adverse à en apporter la contre-preuve. Une audience de débats principaux s’est tenue; des témoins ont été entendus. A l’issue de l’audience, les parties ont plaidé et la cause a été gardée à juger.
Les juges prud’homaux ont ainsi d’emblée procédé à l’instruction et à l’administration des preuves, notamment sur les faits doublement pertinents, sans avoir rendu au préalable une décision séparée sur la compétence, que la partie défenderesse n’avait au demeurant pas non plus sollicitée et ont ensuite examiné la cause au fond en commençant par élucider la question du contrat de travail. En niant à ce stade l’existence d’un tel contrat, le tribunal des prud’hommes ne pouvait plus rendre une décision sur la compétence, mais devait bel et bien statuer sur le fond, avec autorité de la chose jugée (le cas échéant, après avoir examiné si la prétention reposait sur un autre fondement juridique).
(Tiré d’un arrêt du Tribunal fédéral 4A_429/2020 du 5 mai 2021)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)