Révocation d’un enseignant : motif fondé, procédure de reclassement

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Le recourant conteste l’existence de motifs fondés justifiant son licenciement.

La loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP – C 1 10) s’applique aux membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire B de l’instruction publique (art. 1 al. 4 LIP). À teneur de l’art. 123 LIP, les membres du personnel enseignant doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux missions, notamment d’éducation et d’instruction qui leur incombent (al. 1) ; ils sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (al. 2). Cette règle est reprise à l’art. 20 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles du 12 juin 2002 (RStCE – B 5 10.04), qui prévoit qu’ils doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant, tandis que l’art. 21 RStCE rappelle qu’ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (al. 1).

En tant que membre du corps enseignant, l’enseignant est chargé d’une mission d’éducation dont les objectifs sont énoncés à l’art. 10 LIP. Son rôle est ainsi de contribuer au développement intellectuel, manuel et artistique des élèves, à leur éducation physique mais aussi à leur formation morale à une période sensible où les élèves passent de l’adolescence à l’état de jeune adulte. Dans ce cadre, l’enseignant constitue, à l’égard des élèves, à la fois une référence et une image qui doivent être préservées. Il lui appartient donc d’adopter en tout temps un comportement auquel ceux-ci puissent s’identifier. À défaut, il détruirait la confiance que la collectivité, et en particulier les parents et les élèves, ont placée en lui.

Le maître participe à l’instruction et à l’action éducative des élèves. Il est responsable de l’enseignement qui lui est confié dans le respect des programmes d’études et des instructions pédagogiques et administratives qu’il reçoit de la direction de l’école (art. 13 al. 1 du règlement de l’enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 – REST – C 1 10.31).

Selon l’art. 141 LIP, intitulé « Résiliation des rapports de service pour motif fondé – Corps enseignant nommé », le Conseil d’État peut, pour motif fondé, résilier les rapports de service d’un membre du corps enseignant. Il peut déléguer cette compétence au conseiller d’État chargé du département agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État. La décision est motivée (al. 1). L’autorité compétente est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l’administration cantonale correspond aux capacités de l’intéressé. Les modalités sont définies par règlement (al. 2). Il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration scolaire, soit notamment en raison de l’inaptitude à remplir les exigences du poste (al. 3 let. b) ou la disparition durable d’un motif d’engagement (al. 3 let. c). Le délai de résiliation est de trois mois pour la fin d’un mois (al. 4).

Cet article a la même teneur que les art. 64 RStCE et 22 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC – B 5 05).

À teneur de l’art. 64A RStCE, lorsque les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d’entretiens de service, un reclassement selon l’art. 141 al. 2 LIP est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d’une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (al. 1) ; des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (al. 2) ; en cas de refus, d’échec ou d’absence du reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (al. 6).

Le principe du reclassement, applicable aux seuls fonctionnaires, est une expression du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Il impose à l’État de s’assurer, avant qu’un licenciement ne soit prononcé, qu’aucune mesure moins préjudiciable pour l’administré ne puisse être prise. L’État a l’obligation préalable d’aider l’intéressé et de tenter un reclassement, avant de prononcer la résiliation des rapports de service d’un agent public au bénéfice d’une nomination.

Les rapports de service étant soumis au droit public, la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité, de l’égalité de traitement, de la proportionnalité et de l’interdiction de l’arbitraire.

En l’espèce,

il ressort du dossier que plusieurs parents se sont plaints de l’attitude du recourant depuis 2017, évoquant une incompréhension de la politique de sanction à l’encontre de leur enfant et suscitant parfois chez l’élève un sentiment d’acharnement à son encontre. […] Les plaintes s’avèrent ainsi nombreuses, sur deux années scolaires et concernent les mêmes griefs. […] […], la proportion de renvois dans le cours concerné est plus importante que dans les autres matières.

Le problème d’interaction avec les élèves avait été soulevé au moment de la nomination. Le procès-verbal de la commission de nomination du 5 mars 2012 relevait tant des points positifs, à savoir un fort attachement à une présentation parfaite, mais fermée avec une bonne maîtrise des contenus, que des points négatifs, principalement la nécessité de s’ouvrir aux élèves. […]

[…], la doyenne avait relevé, par écrit, que la surenchère de sanctions était contreproductive et entraînait sa banalisation qui pouvait, dans certains cas, se transformer en jeu pour les élèves.

Les plaintes des parents relevaient aussi les conséquences néfastes de la banalisation des renvois, un sentiment d’acharnement pour les élèves particulièrement concernés et beaucoup d’inquiétude pour la poursuite de la scolarité des élèves.

 Par ailleurs, plusieurs collègues se sont plaints de difficultés relationnelles avec le recourant. […]

Ces blocages, graves, au détriment des élèves, de la formation de ceux-ci, du bon fonctionnement de l’institution et de la collaboration entre collègues ne sont pas compatibles avec les attentes que l’État peut avoir d’un enseignant et avec son bon fonctionnement. […]

Ces difficultés relationnelles tant avec ses collègues, qu’avec des élèves témoignent d’une certaine inflexibilité. Le recourant a refusé de modifier ou assouplir sa politique de sanctions, malgré les nombreuses demandes de sa hiérarchie, les plaintes de parents ou de titulaire de classe. Or, la gestion d’une classe dite « difficile » fait partie du parcours de tout enseignant. La solution préconisée par le recourant, avec un recours systématique aux sanctions, n’est ni proportionnelle ni efficace. Il ne démontre d’ailleurs pas que sa solution aurait permis aux élèves concernés de modifier leur comportement. Le reproche du département quant à un mauvais usage des outils pédagogiques à disposition est en conséquence fondé.

Cette attitude est de même contraire au règlement de l’établissement. […]

[…] Les comportements précités se sont étendus sur au minimum trois ans. Ils ont fait l’objet de différentes discussions entre l’intéressé et sa hiérarchie, sans que celui-là ne modifie son comportement ou n’entreprenne des efforts de remise en question.

En conséquence, en considérant que l’utilisation abusive de la répression et de nature à péjorer le lien de confiance devant prévaloir entre un élève et son enseignant devait être qualifiée, dans le cas d’espèce, de prestation insuffisante au regard des exigences du poste, à l’instar de l’absence de prise en compte des remarques de sa hiérarchie et de remise en question, le département n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

C’est dès lors sans abus de son pouvoir d’appréciation que le département a considéré que la poursuite des relations de travail n’était plus souhaitable et que des motifs fondés existaient.

Les conclusions du recourant en lien avec un congé représailles, notamment avec les tensions avec la direction, voire le conseil paritaire, y compris suite à l’intervention de T______ en sa faveur, seront dès lors écartées, des motifs objectifs fondant le licenciement. […]

Le recourant critique la procédure de reclassement.

L’autorité compétente est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l’administration cantonale correspond aux capacités de l’intéressé (art. 21 al. 3 in fine LPAC et 141 al. 2 LIP).

Lorsque les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d’entretiens de service, un reclassement est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d’une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (art. 46A al. 1 RPAC). En cas de refus, d’échec ou d’absence du reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (art. 46A al. 6 RPAC). Le service des ressources humaines du département, agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État, est l’organe responsable (art. 46A al. 7 RPAC).

L’art. 64A du RstCE a la même teneur que l’art. 46A RPAC.

Le principe du reclassement, applicable aux seuls fonctionnaires, est une expression du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Il impose à l’État de s’assurer, avant qu’un licenciement ne soit prononcé, qu’aucune mesure moins préjudiciable pour l’administré ne puisse être prise.

Il s’agit tout d’abord de proposer des mesures dont l’objectif est d’aider l’intéressé à retrouver ou maintenir son « employabilité », soit sa capacité à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau. Avant qu’une résiliation ne puisse intervenir, différentes mesures peuvent être envisagées. Elles peuvent prendre de multiples formes, telles qu’un certificat de travail intermédiaire, un bilan de compétences, un stage d’évaluation, des conseils en orientation, des mesures de formation et d’évolution professionnelles, l’accompagnement personnalisé, voire « l’outplacement ». Il faut ensuite rechercher si une solution alternative de reclassement au sein de la fonction publique cantonale peut être trouvée. En contrepartie, la garantie du niveau salarial atteint en cas de changement d’affectation peut dans ce cas être abrogée.

Lorsque la loi prescrit à l’État de ne pas licencier une personne qu’il est possible de reclasser ailleurs, elle ne lui impose pas une obligation de résultat, mais celle de mettre en œuvre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui. En outre, l’obligation de l’État de rechercher un autre emploi correspondant aux capacités du membre du personnel dont le poste est supprimé se double, corrélativement, d’une obligation de l’employé, non seulement de ne pas faire obstacle aux démarches entreprises par l’administration, mais de participer activement à son reclassement.

La jurisprudence fédérale a admis que lorsqu’un reclassement revenait en fin de compte à reporter dans un autre service des problèmes de comportement reprochés au recourant, il paraissait illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_839/2014 du 5 mai 2015 consid. 7.1). L’employeur se doit non seulement de protéger ses intérêts financiers, mais principalement ceux des patients qu’il accueille et auxquels il doit offrir toutes les garanties quant au personnel soignant (ATA/1143/2018 du 30 octobre 2018 consid. 9b). L’absence de procédure de reclassement a été admise dans le cas d’une gérante sociale d’un immeuble avec encadrement pour personnes âgées, au vu de ses très importants problèmes de communication et de comportement, durant une période de sept ans, avec l’ensemble des catégories d’interlocuteurs, tant internes qu’externes à son institution, qu’elle avait pu côtoyer dans le cadre de son activité professionnelle (ATA/1576/2019 du 29 octobre 2019 consid. 14). Elle l’a également été compte tenu de l’attitude générale inappropriée de l’intéressé sur son lieu de travail, insuffisamment respectueuse de la sphère personnelle d’autrui, et de comportements inappropriés à l’égard de certaines collaboratrices, ayant conduit à un avertissement et la fixation d’objectifs visant à l’améliorer, en vain, la continuation des rapports de service n’étant plus compatible avec le bon fonctionnement du département intimé (ATA/674/2017 du 20 juin 2017consid. 19). Toutefois, seules les circonstances particulières, dûment établies à satisfaction de droit, peuvent justifier une exception au principe légal du reclassement et faire primer l’intérêt public et l’intérêt privé de nombreux employés de l’État sur l’intérêt privé, pourtant important, de la personne licenciée (ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020 consid. 9c ; ATA/1579/2019 du 29 octobre 2019 consid. 12h).

Le recourant se plaint que l’autorité n’ait jamais cherché sérieusement à le reclasser en son sein. Certes, celui-ci dispose d’une maîtrise universitaire en droit et d’une licence ès sciences commerciales et industrielles, mention gestion d’entreprise, ainsi que d’une expérience professionnelle. Il oublie toutefois que la procédure de reclassement ne pose pas une obligation de résultat. Contrairement à ce qu’il soutient, le DIP ne pouvait ni exiger qu’il soit reçu lors des entretiens, ni contester une réévaluation d’une fonction ni l’imposer dans un poste. Il appartient en effet au service concerné de déterminer si la candidature correspond au poste ouvert. L’autorité intimée a transmis au recourant des annonces de postes mis au concours, notamment celles relatives aux postes d’adjoint scientifique 2 au SPMi, adjoint scientifique FO 18 et adjoint scientifique statistiques à l’ESII. Par ailleurs, le département a procédé à une recherche auprès des autres départements et services étatiques, y compris le Pouvoir judiciaire. Il se plaint de ne pas s’être vu proposer un bilan de compétences, un stage d’évaluation, une formation ou de bénéficier d’un accompagnement personnalisé, voire d’un outplacement. Il oublie que ces mesures sont coûteuses et ne peuvent être systématiquement proposées. En particulier, elles ne s’imposent pas lorsque d’autres mesures, telles que celles prises en l’espèce, consistant à soumettre son dossier aux postes correspondants à son profil, sont disponibles et suffisantes. Il a certes été extrêmement actif de son côté, mais n’a sollicité à l’époque ni une telle mesure ni un certificat de travail intermédiaire. Enfin, l’autorité intimée a prolongé la période de recherche d’emploi.

Dans ces conditions, la procédure de reclassement a été respectée. Le grief sera écarté.

La résiliation des rapports de service étant conforme au droit, les conclusions en réintégration et en indemnisation seront écartées.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice ATA/398/2021 du 13.04.2021)

Voir aussi, toujours à Genève : https://droitdutravailensuisse.com/2021/04/21/revocation-disciplinaire-dun-enseignant/)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. avocat, Genève et Onnens (VD)

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A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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