Plan social: qualification et égalité de traitement

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Rangé parmi les mesures destinées à protéger les travailleurs dans le cadre d’un licenciement collectif (art. 335d ss CO), le plan social est défini à l’art. 335h al. 1 CO, entré en vigueur le 1er janvier 2014, comme une convention par laquelle l’employeur et les travailleurs fixent les moyens d’éviter les licenciements, d’en limiter le nombre ou d’en atténuer les conséquences. Volontairement brève et générale, cette description correspond à la notion dégagée précédemment par la jurisprudence, laquelle reste applicable pour déterminer les formes possibles, la teneur et les limites d’un plan social. 

Le plan social peut prendre diverses formes juridiques. Lorsqu’il est conclu entre l’employeur et un syndicat, il est considéré comme une forme particulière de convention collective de travail; les travailleurs peuvent se prévaloir directement des droits conférés par le plan social, qui revêt ainsi un caractère normatif. Lorsqu’il est passé avec la représentation des travailleurs, le plan social a également un effet normatif. Tel n’est pas le cas du plan social négocié et conclu directement avec les travailleurs, lequel se présente comme un accord bilatéral avec chaque travailleur, devenant partie intégrante du contrat individuel de travail. Lorsque le plan social ne résulte pas d’une négociation, mais d’une décision unilatérale de l’employeur, il s’agit également d’une offre qui, si elle est acceptée par le travailleur, est incorporée au contrat individuel de travail; si le plan social prévoit des prestations en faveur du travailleur sans contre-partie, l’acceptation pourra intervenir tacitement (art. 6 CO).

 En l’espèce, aucun élément ne laisse supposer que le plan social en jeu revêt une valeur normative. Il n’a pas été conclu avec un syndicat ni avec une représentation du personnel. Selon l’état de fait arrêté par la cour cantonale, l’employeuse a établi de son propre chef en 2016 un plan social pour les employés dont le poste était supprimé en raison de la délocalisation de la gestion des licences du site de Genève à celui de Singapour. Les prestations prévues pour les collaborateurs sans reclassement possible consistaient en une indemnité de départ en fonction de l’ancienneté d’un maximum de 36 mois, à laquelle s’ajoutait un pont AVS pour les employés de plus de 58 ans. 

Début septembre 2016, l’employeuse a communiqué les prestations prévues par le plan social aux trois subordonnés du recourant pour lesquels aucun autre poste n’était envisageable et qui allaient être licenciés. La volonté de s’obliger de l’employeuse n’est pas mise en doute. C’est dire qu’en acceptant tacitement l’offre de l’employeuse, les trois intéressés ont conclu un contrat, les clauses relatives aux indemnités susmentionnées étant incorporées à leur contrat de travail.

L’intimée n’a pas adressé la même offre au recourant, qui n’a pas été dans la situation de l’accepter fût-ce tacitement. L’employé ne peut donc pas fonder sa prétention à l’indemnité de départ directement sur le plan social, qui ne lie pas les parties à la présente procédure.

Parallèlement à la communication du plan social aux subordonnés genevois du recourant, l’intimée a soumis une offre différente à l’employé, alors âgé de plus de 58 ans: la promesse d’un pont AVS moyennant un départ en retraite anticipée au plus tard le 31 décembre 2016.

La question est de savoir si le recourant peut se prévaloir d’une inégalité de traitement discriminatoire pour ne pas s’être vu proposer, en sus du pont AVS, une indemnité de départ calculée selon l’ancienneté.

 De manière générale, le principe de la liberté contractuelle prévaut sur le principe de l’égalité de traitement dans le contrat de travail. Il n’est toutefois pas exclu que certaines formes de discrimination puissent constituer une violation par l’employeur de son obligation de respecter la personnalité du travailleur. Ainsi, un plan social ne doit pas établir de différences sur la base de critères inacceptables lorsqu’il fixe les catégories de travailleurs ayant droit aux prestations offertes/convenues ou à certaines de ces prestations; l’égalité de traitement trouve ses limites dans l’interdiction de l’arbitraire et l’interdiction de la discrimination. 

 En l’espèce, le recourant a quitté l’entreprise dans des circonstances différentes de celles qui ont entouré le départ de ses trois subordonnés. 

Ces derniers ont été licenciés parce que leur poste était supprimé et qu’un reclassement à l’interne n’était pas possible.

A la même période, le recourant, qui partageait alors son temps de travail entre Genève et Paris, a pris une retraite anticipée. A cet égard, il ne ressort pas des constatations de la cour cantonale que le poste même de l’employé était supprimé à la suite de la restructuration.

La thèse du licenciement, plus précisément du congé-modification, ne résiste pas à l’examen. Contrairement à ce que l’employé soutient, la cour cantonale a retenu sans arbitraire qu’il n’avait reçu aucune proposition ferme de nouvelle affectation à plein temps à Paris. Les deux témoignages indirects invoqués par le recourant ne permettent pas de conclure que l’intimée aurait fait plus qu’évoquer la possibilité pour l’employé de poursuivre ses activités à Paris.

En réalité, la question de la poursuite des rapports de travail à Paris ne s’est jamais sérieusement posée. En effet, le recourant, avant de chercher à obtenir en plus une indemnité de départ en été 2016, a négocié d’emblée un pont AVS, ce qui suppose qu’il entendait arrêter de travailler. Il n’est pas contesté au surplus que ce pont AVS a été présenté comme une sorte de « stay on bonus « , le recourant acceptant de rester jusqu’au 31 décembre 2016 afin d’accompagner les collaborateurs dans la première phase de la restructuration. Cet élément confirme la volonté du recourant de partir en pré-retraite en 2016. 

Dans sa lettre du 26 septembre 2016, l’employeuse offre de verser le pont AVS au recourant à condition que celui-ci parte en retraite anticipée au plus tard le 31 décembre 2016. L’employé a accepté cette offre en la contresignant; le même jour, il a confirmé par écrit à l’employeuse la fin du contrat au 31 décembre 2016, ce qui ne peut se comprendre que comme une démission à cette date.

Comme la cour cantonale l’a jugé à bon droit, les parties ont négocié les conditions de départ en pré-retraite du recourant. En définitive, celui-ci n’a pas obtenu l’indemnité de départ qu’il avait réclamée dans un second temps et que l’employeuse avait accordée à ses subordonnés. Ces derniers ont perdu leur emploi contre leur volonté, en raison de la restructuration, alors que le recourant – qui se préparait à la retraite anticipée par des rachats depuis 2010 et était lassé de partager son temps de travail entre Paris et Genève – a choisi de prendre une retraite anticipée, à l’occasion de la restructuration. Que l’employeuse ait traité différemment ces deux situations ne consacre manifestement aucune inégalité discriminatoire.

En conclusion, la prétention du recourant à une indemnité de départ calculée selon le plan social est dépourvue de fondement. Aucune violation du droit fédéral ne peut être imputée à la cour cantonale. Le recours doit être rejeté.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_101/2020 du 14 avril 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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