Secret professionnel de l’avocat et recouvrement d’honoraires

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Aux termes de l’art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0), les avocats, défenseurs en justice, notamment, ainsi que leurs auxiliaires, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l’exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (ch. 1 al. 1). La révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l’intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l’autorité supérieure ou l’autorité de surveillance l’a autorisée par écrit (ch. 2).

Selon l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA – RS 935.61), l’avocat est soumis au secret professionnel –également prévu par l’art. 321 CP précité – pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers. Le fait d’être délié du secret professionnel n’oblige pas l’avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés.

En droit genevois, l’art. 12 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv – E 6 10) prévoit que l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession ou dont il a connaissance dans l’exercice de celle-ci, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers (al. 1). Sans en avoir l’obligation, l’avocat peut toutefois révéler un secret si l’intéressé y consent (al. 2). Il en est de même si l’avocat obtient l’autorisation écrite de la commission (al. 3). L’autorisation n’est délivrée que si la révélation est indispensable à la protection d’intérêts supérieurs publics ou privés (al. 4).

Le secret professionnel de l’avocat assure l’indépendance de l’avocat face aux tiers et protège l’exercice de la profession, ce qui est dans l’intérêt de l’administration de la justice. Il préserve cependant également les droits du justiciable, qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire, et est ainsi essentiel à la consécration effective des droits matériels de celui-ci. L’institution du secret professionnel sert tant les intérêts de l’avocat et de son client que ceux de la justice, dont il est l’auxiliaire.

En application de l’art. 13 al. 1 LLCA, les avocats sont les titulaires de leur secret et ils en restent maîtres en toutes circonstances. L’avocat doit toutefois obtenir le consentement de son client, bénéficiaire du secret, pour pouvoir révéler des faits couverts par ce dernier. Lorsque l’accord du client ne peut pas être obtenu, l’avocat peut s’adresser à l’autorité compétente en vue d’obtenir la levée du secret professionnel. Une procédure de levée du secret professionnel de l’avocat ne saurait avoir lieu que dans la mesure où le client s’oppose à la levée de ce secret ou n’est plus en mesure de donner son consentement.

Sur le plan du droit privé, la levée du secret professionnel de l’avocat concerne la sphère privée du mandant et touche ses droits strictement personnels. Par conséquent, au regard de l’art. 89 al. 1 let. c de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) – et donc aussi de l’art. 60 al. 1 let. b LPA –, les clients d’un avocat ont un intérêt juridique digne de protection à se prémunir contre toute levée du secret professionnel de leur mandataire. Ils sont donc directement affectés dans des intérêts que l’art. 13 LLCA a pour but de protéger. Dès lors que le client s’oppose à la levée du secret professionnel, il bénéficie dans tous les cas de la qualité de partie dans la procédure concernant cet objet.

Pour agir en recouvrement d’honoraires impayés, l’avocat doit obtenir la levée de son secret professionnel. L’autorité de surveillance doit procéder à une pesée de l’ensemble des intérêts en présence pour déterminer si elle doit accorder la levée du secret. Au regard de l’importance du secret professionnel du double point de vue de l’institution et des droits individuels, la levée du secret ne peut être accordée qu’en présence d’un intérêt public ou privé nettement prépondérant.

Lors de la pesée des intérêts, il faut prendre en considération le fait qu’un avocat a ordinairement un intérêt digne de protection à la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires. Cet intérêt s’oppose en principe à l’intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et à l’intérêt individuel du client à tenir secrets le mandat et les informations qui s’y rattachent. La justification de l’intérêt au secret ne doit pas être soumise à des exigences excessivement élevées, faute de quoi la protection du secret professionnel consacrée à l’art. 321 ch. 1 CP serait compromise.

Dans la pesée des intérêts, il faut également prendre en compte le fait que l’avocat peut en principe se faire verser une provision par le client. Il incombe ainsi à l’avocat qui sollicite la levée du secret de démontrer pourquoi il ne lui était pas possible de faire couvrir les coûts par le versement d’une provision. La procédure de levée du secret professionnel ne préjuge en rien des procédures civiles ultérieures relatives au recouvrement des honoraires. Les questions juridiques de fond n’ont pas à être examinées dans une procédure de levée du secret professionnel de l’avocat, le client étant libre de soulever des objections dans le litige de droit civil au sujet des honoraires.

Les plaideurs peuvent exclure la procédure de mainlevée provisoire de l’opposition au profit de la seule procédure arbitrale. À défaut d’une telle clause expresse, on ne peut cependant interpréter la convention d’arbitrage comme emportant renonciation à en appeler au juge de la mainlevée provisoire. On ne saurait d’autant moins l’admettre que le poursuivant perdrait alors le droit de requérir une saisie provisoire ou un inventaire des biens du poursuivi (art. 83 al. 1 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 – LP – RS 281.1) que l’arbitre n’est pas compétent pour ordonner. Il n’est donc pas indifférent pour le poursuivant de pouvoir obtenir la mainlevée provisoire de l’opposition.

En l’espèce, le recourant s’est opposé à la levée du secret professionnel des avocats de E______ au motif que des informations relatives à une procédure sensible d’arbitrage qui l’oppose à un État étranger pourraient y être révélées et parvenir à la connaissance de celui-ci. Il soutient aussi qu’une clause de confidentialité le lie à E______ et qu’une autre consacrée à l’arbitrage figure dans la convention passée entre les parties et que celle-ci doit être privilégiée.

En 2015, le recourant a confié la défense de ses intérêts à E______. Certes, le montant des honoraires convenus à ce moment-là ne ressort pas du dossier. Il ne ressort pas non plus du dossier si des provisions ont été demandées au recourant. Toutefois, la convention signée entre les parties a fixé la dette des honoraires impayés à CHF 600’000.- et le recourant a, en exécution de celle-ci, versé deux acomptes de CHF 8’500.- chacun. En raison de l’interruption de ses paiements, les avocats étaient ainsi en droit de demander au recourant de lever leur obligation du secret professionnel à son égard. Celui-ci n’ayant pas donné suite à cette demande, ils pouvaient s’adresser à leur autorité de surveillance pour requérir une décision de levée de leur secret professionnel à l’égard de l’intéressé. Ils ont, selon ce qui précède, un intérêt digne de protection à obtenir la levée du secret en vue du recouvrement des honoraires impayés qui s’oppose à celui institutionnel au maintien de la confidentialité d’une part, et à celui individuel du recourant à garder le mandat secret d’autre part.

Le recourant ne conteste pas que les avocats ont déployé une activité dans le cadre du mandat confié. La négligence qu’il leur reproche désormais relève d’une question de fond et non de la procédure de levée du secret professionnel. Il en est de même de la question relative à la clause sur la confidentialité et celle sur l’arbitrage, contenues dans la convention signée, qui peuvent être invoquées dans le cadre d’un procès au fond concernant les honoraires.

En conséquence, l’intérêt des avocats concernés à voir lever leur secret professionnel et à pouvoir engager une procédure en exécution forcée prime l’intérêt du recourant au refus de la levée de ce secret. Pour le surplus, la décision contestée rappelle que le secret professionnel est levé dans le strict respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité exigeant de révéler uniquement des informations nécessaires à la démonstration du bienfondé de leurs prétentions ou à la condamnation au paiement et de préserver le secret sur les faits confidentiels qui ne sont pas en relation directe avec le recouvrement des honoraires.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice ATA/1282/2021 du 23.11.2021)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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