
Le litige porte sur une demande de consultation d’un document faisant partie d’un dossier, aujourd’hui archivé, dans le cadre duquel une ordonnance pénale a été rendue; le recourant s’oppose à ce que le Ministère public transmette à B.________ le rapport de police concernant l’accident de circulation survenu le 3 juin 2020 au ******** et dans lequel il était impliqué comme conducteur.
En procédure pénale, la consultation des dossiers pendants est prévue aux art. 101 et 102 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP; RS 312.0). L’art. 101 CPP règle ainsi le droit des parties de consulter le dossier (al. 1 ) ainsi que celui d’autres autorités (al. 2). Quant à l’art. 101 al. 3 CPP, il prévoit que des tiers peuvent consulter le dossier s’ils font valoir à cet effet un intérêt scientifique ou un autre intérêt digne de protection et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose. L’art. 102 CPP traite pour sa part des modalités applicables en cas de demande de consultation des dossiers (consultation au siège de l’autorité pénale concernée, copie contre versement d’un émolument, etc.).
Pour ce qui concerne la consultation par des tiers, selon la jurisprudence et la doctrine, les tiers doivent faire valoir un intérêt personnel digne de protection auquel aucun intérêt privé ou public prépondérant ne doit s’opposer; l’intérêt du tiers doit l’emporter sur les intérêts contraires à la préservation du secret. Si tel n’est pas le cas, le tiers n’a aucun droit à avoir accès au dossier pénal. De plus, le tiers n’étant pas partie à la procédure, son intérêt à obtenir l’accès au dossier est de moindre importance par rapport à celui notamment du prévenu et/ou des parties plaignantes, qui en ont besoin pour la défense de leurs droits. Un intérêt digne de protection d’un tiers au sens de l’art. 101 al. 3 CPP ne doit ainsi être admis qu’exceptionnellement et dans des cas où cela se justifie, sauf à prendre autrement le risque de retard ou d’abus. Un droit d’accès, respectivement un intérêt digne de protection, peut entrer en considération s’agissant, par exemple, de sociétés d’assurance – en lien notamment avec d’éventuelles prétentions à faire valoir sur le plan civil – ou de chroniqueurs judiciaires.
L‘art. 101 CPP ne régit que la consultation de dossiers dans le cadre de procédures pendantes.
Pour les procédure pénales closes, l’art. 99 al. 1 CPP prévoit qu’après la clôture de la procédure, le traitement des données, la procédure et les voies de droit sont régies par les dispositions fédérales et cantonales sur la protection des données.
Ainsi, entre l’ouverture formelle de la procédure pénale et sa clôture définitive, la consultation du dossier est régie par le CPP. En revanche, s’agissant d’une procédure pénale clôturée, la question de sa consultation est régie par le droit de la protection des données.
En droit cantonal, la loi du 19 mai 2009 d’introduction du CPP (LVCPP; BLV 312.01) et la loi du 19 mai 2009 sur le Ministère public (LMPu; BLV 173.21) ne contiennent aucune règle applicable à la consultation de dossiers pénaux clos. Le règlement de l’ordre judiciaire du 13 juin 2006 sur l’information (ROJI; BLV 170.21.2) n’est pas non plus applicable puisque le Ministère public ne fait pas partie de l’Ordre judiciaire vaudois (art. 2 ROJI a contrario).
Il convient par conséquent de se référer à la Directive n° 4.1 du Procureur général relative à la Consultation par un tiers des ordonnances pénales, des ordonnances de classement et des dossiers archivés, dans son état au 1er juillet 2021 (consultable par l’intermédiaire du lien suivant: https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/ministere-public/bases-legales/), qui prévoit notamment ce qui suit:
« 3 Les ordonnances de classement entrées en force et les dossiers archivés
3.1 Généralités
Ce sont en principe les dispositions du droit cantonal qui déterminent la compétence pour statuer sur une demande relative à un dossier clos (art. 99 CPP), à savoir la Loi sur la protection des données personnelles (LPrD, BLV 172.65).
[…]
Nonobstant le fait que les articles 101 et 102 CPP ne s’appliquent qu’aux dossiers d’une procédure pendante, il y a lieu de prendre en considération, au moment de statuer sur une requête de consultation d’une décision de classement entrée en force ou d’un dossier archivé, les critères qui auraient été applicables si la cause était encore pendante.
La qualité du requérant est dès lors un élément essentiel. Il y a lieu de distinguer à cet égard quatre catégories:
– les autorités judiciaires et administratives, ou entités chargées de tâches publiques;
– les tiers concernés;
– les autres tiers;
– les médias.
3.2 Règles appliquées par le Ministère public du canton de Vaud
a) Toute demande de consultation d’une ordonnance de classement entrée en force ou d’un dossier archivé doit faire l’objet d’une demande écrite et motivée.
b) […]
c) Si la demande d’accès à la décision ou au dossier provient d’un «tiers concerné», par exemple une assurance dont l’intérêt et les droits résultent de la loi (art. 32 LPGA par exemple) ou d’un contrat (assurance RC d’un véhicule, assurance perte de gain d’un lésé, etc.), ou d’une personne ayant un lien particulier avec celle dont le décès a fait l’objet de l’enquête (frère ou sœur d’un suicidé), elle est traitée par le procureur qui a statué.
Si le droit à l’accès est reconnu, le requérant est informé qu’il peut venir consulter le dossier au greffe durant une période dont le début et la fin sont indiqués.
En ce qui concerne les demandes émanant des assurances, si, explicitement ou implicitement, le procureur constate que seules certaines pièces du dossier contiennent des éléments en relation avec les questions juridiques fondant leur droit à être renseigné, des copies des pièces leur sont envoyées. Dans les cas simples et limpides (par exemple accident de circulation « bagatelle » traité en affaire de masse), le procureur peut présumer que l’envoi d’une copie complète du dossier est justifié.
Dans les autres cas, le tiers concerné – dont l’identité doit être formellement vérifiée – auquel l’accès est donné peut obtenir des copies dans la mesure où, en tant que personne intéressé, il aurait eu accès au dossier lorsque la procédure était en cours.
Pour les autorités administratives et judiciaires et les tiers concernés, le droit d’accès est présumé lorsque l’accès aurait été accordé alors que la procédure était pendante.
d) Si la demande émane d’un autre tiers, elle est transmise sans tarder, avec une copie de la décision en cause et un bref préavis du procureur qui a statué, au Procureur général. Celui-ci, ou le procureur général adjoint qu’il désigne, décide après avoir interpellé les parties en cause. »
La loi sur la protection des données personnelles du 11 septembre 2007 (LPrD; BLV 172.65) vise à protéger les personnes contre l’utilisation abusive des données personnelles les concernant (art. 1). Elle s’applique à tout traitement de données des personnes physiques ou morales (art. 3 al. 1 LPrD). La LPrD ne s’applique en revanche pas aux procédure civiles, pénales ou administratives (art. 3 al. 3 let. b LPrD). Cette exception correspond à ce que prévoit l’art. 2 al. 2 let. c de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1), qui dispose que la loi ne s’applique pas sur le plan fédéral « aux procédures pendantes civiles, pénales, d’entraide judiciaire internationale ainsi que de droit public et de droit administratif, à l’exception des procédures administratives de première instance ». Le moment auquel une procédure est ouverte et celui auquel celle-ci se termine marquent le début et la fin de l’application de la loi spéciale de procédure en lieu et place de la LPrD. L’art. 3 al. 2 LPrD dispose que sont soumis à la LPrD le Grand Conseil, le Conseil d’Etat et son administration, l’Ordre judiciaire et son administration, la Cour des comptes, les communes ainsi que les ententes, associations, fédérations, fractions et agglomérations de communes et les personnes physiques ou morales auxquelles le canton ou une commune confie des tâches publiques, dans l’exécution desdites tâches. Le Ministère public n’est pas expressément nommé parmi les entités cantonales auxquelles s’appliquent la LPrD, mais il ne fait aucun doute qu’il y est soumis compte tenu de la ratio legis de cette loi. Dans l’Exposé des motifs et projet de loi (EMPL) sur la protection des données personnelles, il est précisé que la LPrD s’applique à tous les services de l’Etat, aux communes ainsi qu’aux corporations et établissements de droit public, seules étant soustraites du champ d’application de la loi les procédures civiles, pénales et administratives, la LPrD ne s’appliquant qu’avant et après les procédures en question.
Constitue une donnée personnelle toute information qui se rapporte à une personne identifiée ou identifiable (art. 4 al. 1 ch. 1 LPrD); constitue une donnée sensible, toute donnée personnelle se rapportant notamment à la sphère intime de la personne, en particulier à son état psychique, mental ou physique et aux poursuites ou sanctions pénales et administratives (art. 4 al. 1 ch. 2 LPrD). Par traitement de données personnelles, on entend toute opération ou ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliqués à des données personnelles, notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction (art. 4 al. 1 ch. 5 LPrD). Et par communication, on entend le fait de rendre des données accessibles, notamment de les transmettre, les publier, autoriser leur consultation ou fournir des renseignements (art. 4 al. 1 ch. 6 LPrD).
Enfin, l’art. 15 al. 1 LPrD prévoit ce qui suit:
« Les données personnelles peuvent être communiquées par les entités soumises à la présente loi lorsque:
a. une disposition légale au sens de l’article 5 le prévoit;
b. le requérant établit qu’il en a besoin pour accomplir ses tâches légales;
c. le requérant privé justifie d’un intérêt prépondérant à la communication primant celui de la personne concernée à ce que les données ne soient pas communiquées;
d. la personne concernée a expressément donné son consentement ou les circonstances permettent de présumer ledit consentement;
e. la personne concernée a rendu les données personnelles accessibles à tout un chacun et ne s’est pas formellement opposée à leur communication; ou
f. le requérant rend vraisemblable que la personne concernée ne refuse son accord que dans le but de l’empêcher de se prévaloir de prétentions juridiques ou de faire valoir d’autres intérêts légitimes; dans ce cas, la personne concernée est invitée, dans la mesure du possible, à se prononcer, préalablement à la communication des données ».
Conformément à l’art. 28 LPrD, toute personne a le droit de s’opposer à ce que les données personnelles la concernant soient communiquées, si elle rend vraisemblable un intérêt digne de protection (al. 1).
Dans le cas d’espèce, les informations figurant dans le rapport de police relatif à l’accident du 3 juin 2020 contiennent à l’évidence des données personnelles, au sens de l’art. 4 LPrD, concernant le recourant ainsi que la personne qui était passagère du véhicule lors de l’accident.
Dans son courrier du 23 mars 2021, B.________ a motivé sa demande de consultation du rapport de police par le fait qu’elle était l’assureur responsabilité civile du véhicule que conduisait le recourant lors de l’accident du 3 juin 2020. B.________ dispose, en cette qualité, d’un intérêt prépondérant à la communication du rapport de police en cause primant celui du recourant à ce que les données le concernant ne soient pas communiquées. Le document en cause est en effet nécessaire à la compagnie d’assurance pour déterminer les éventuelles prestations qu’elle pourrait devoir verser. Il lui est également indispensable pour évaluer si, en fonction des circonstances de l’accident du 3 juin 2020, elle pourrait être amenée à se retourner contre le recourant ou un tiers, voire décider d’apporter des modifications au contrat assurant le véhicule en cause. L’intérêt pécuniaire du tiers intéressé est dès lors manifeste.
Le recourant se contente de son côté de s’opposer à la transmission du rapport de police litigieux à B.________ en n’invoquant qu’un motif de confidentialité. Il ne développe toutefois aucunement en quoi il aurait un tel intérêt à la confidentialité. Il ne rend pas vraisemblable au sens de l’art. 28 al. 1 LPrD l’existence d’un intérêt digne de protection qui lui permettrait de s’opposer à la communication au tiers intéressé du rapport de police en cause, et donc des données personnelles le concernant qui s’y trouvent. Dans son recours, l’intéressé fait valoir qu’avant sa condamnation, le rapport de police était à la disposition de B.________ pendant plusieurs semaines et que celle-ci n’aurait pas fait usage de son droit de le consulter. Cet élément n’est pas déterminant. Conformément à la règlementation applicable (cf. art. 99 CPP et LPrD), le tiers intéressé dispose, même une fois la procédure pénale close, de la possibilité de demander à consulter un tel document contenant des données personnelles, voire sensibles, et de se la voir accorder si les conditions en sont remplies. La Directive n° 4.1 du Procureur général précitée mentionne au surplus expressément que « le droit d’accès est présumé lorsque l’accès aurait été accordé alors que la procédure était pendante ». Le recourant n’a ainsi aucun intérêt digne de protection lui permettant de s’opposer à la communication à B.________ du rapport de police. Il est en revanche manifeste que cette dernière a un intérêt prépondérant à pouvoir accéder au rapport de police pour les motifs précités, dans la mesure en outre où tel aurait également pu être le cas, au sens de l’art. 101 al. 3 CPP, avant que la procédure ne soit close.
En définitive, le recours doit être rejeté et la décision du Ministère public de l’arrondissement de Lausanne du 7 mai 2021 autorisant la communication du rapport de police du 2 juillet 2020 à B.________ confirmée. Il conviendra toutefois que le Ministère public anonymise ledit rapport s’agissant des informations relatives à la passagère du véhicule accidenté, qui ne présentent aucun intérêt pour la compagnie d’assurance.
(Arrêt de la CDAP GE.2021.0091 du 08.12.2021)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)