
Le Tribunal fédéral n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur le délai de prescription applicable à la prétention en dommages-intérêts pour violation de l’obligation contractuelle découlant du contrat de travail de conclure une assurance de prévoyance surobligatoire en faveur de l’employé. Il le fait aujourd’hui curieusement au détours un arrêt qui n’est pas destiné à la publication (sic !). On restituera donc ci-après ces développements, qui me semblent d’une certaine importance pratique dans les contrats de cadre notamment :
La cour cantonale a considéré que les prétentions du travailleur constituent [notamment] des dommages-intérêts pour inexécution de l’obligation de conclure une assurance surobligatoire, fondée sur l’art. 97 al. 1 CO. Elle a jugé que l’arrêt 4C.175/2004 du 31 août 2004 n’est pas déterminant pour la question ici posée [prescription] [en tant que, dans cet arrêt, la prétention avait un caractère de salaire. Partant, la prescription décennale de l’art. 127 CO est selon elle applicable.
La recourante [l’employeuse] soutient que la prétention du travailleur relative à l’assurance » bel étage » est une composante du salaire, qu’elle se prescrit par cinq ans (art. 128 ch. 3 CO) et non par dix ans (art. 127 CO) et que les prétentions antérieures à 2010 sont donc prescrites. Elle tire argument du fait que l’intimé a indiqué, dans sa demande du 27 mai 2016, que » les assurances LPP sur-obligatoires » spéciales cadres » constituent […] un véritable élément de rémunération qui est offert au travailleur « .
De son côté, le travailleur intimé fait valoir que l’art. 128 ch. 3 CO est une disposition exceptionnelle qui doit être appliquée de manière restrictive et qui ne vise que les créances qui présentent la caractéristique d’être un salaire. Selon lui, tel ne serait pas le cas de sa créance en dommages-intérêts pour non-conclusion de l’assurance de prévoyance surobligatoire, son dommage consistant en la non-augmentation de son avoir de prévoyance en sa faveur; la prévoyance professionnelle ne serait pas une créance de salaire puisqu’elle ne vise pas à rémunérer le travail effectué par le travailleur, mais à lui garantir une prévoyance adéquate pour sa retraite. On ne saurait la comparer à une assurance perte de gain pour cause de maladie qui, elle, remplace le salaire dû en vertu de l’art. 324a CO.
Qu’en est-il ?
Conformément à l’art. 127 CO, toutes les actions se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n’en dispose pas autrement. Tel est notamment le cas de l’art. 128 ch. 3 CO, qui prévoit un délai de prescription de cinq ans pour » les actions des travailleurs pour leurs services « .
Selon la jurisprudence, le texte de l’art. 128 ch. 3 CO relatif aux travailleurs a une formulation large (ATF 147 III 78 consid. 6.5; 136 III 94 consid. 4.1). Cette disposition ne distingue pas les différents types de prétentions que pourrait faire valoir le travailleur sur la base de son contrat de travail et vise, comme dans sa version d’origine, à favoriser la liquidation rapide des créances en rémunération des affaires courantes (ATF 147 III 78 consid. 6.5-6.6 et les références citées).
En tant que l’art. 128 CO constitue une exception à l’art. 127 CO, il doit être appliqué restrictivement (ATF 147 III 78 consid. 6.7 et la référence citée; 123 III 120 consid. 2a et les références citées).
Le Tribunal fédéral n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur le délai de prescription applicable à la prétention en dommages-intérêts pour violation de l’obligation contractuelle du contrat de travail de conclure une assurance de prévoyance surobligatoire. Certes, dans une affaire dans laquelle l’employeuse n’avait pas payé les primes d’une assurance perte de gain pour cause de maladie, la Cour de céans a jugé que la créance en dommages-intérêts du travailleur, bien qu’elle découlait de la violation de l’obligation contractuelle d’assurer le travailleur (art. 97 CO), était soumise au délai de prescription quinquennal de l’art. 128 ch. 3 CO (arrêt 4C.175/2004 consid. 3). Il ne peut toutefois être tiré de conclusion définitive de cette jurisprudence pour le cas présent dès lors que, comme le relève l’intimé, les indemnités journalières remplacent le salaire dû conformément à l’art. 324b al. 1 CO.
La doctrine ne s’est pas non plus prononcée sur cette question.
De manière générale, la doctrine majoritaire distingue, en ce qui concerne les prétentions du travailleur, entre les créances de salaire au sens large ou pécuniaires, soumises au délai de prescription quinquennal de l’art. 128 ch. 3 CO, et les autres prétentions que pourrait faire valoir le travailleur sur la base de son contrat de travail, qui sont en général sujettes au délai de prescription de dix ans prévu à l’art. 127 CO (cf. toutefois l’art. 128a CO) (cf. ATF 147 III 78 consid. 6.5 et les références citées).
Selon cette distinction, sont entre autres visés par l’art. 128 ch. 3 CO le salaire de base, le 13e salaire, la participation au résultat de l’exploitation, la provision, la gratification, le bonus, les congés et vacances, la rétribution des heures supplémentaires et les allocations familiales […].
La doctrine considère en revanche que sont, en principe, soumises à la règle générale de l’art. 127 CO les autres créances découlant du contrat de travail, soit, d’une part, les prétentions de l’employeur et, d’autre part, celles du travailleur qui ne sont pas couvertes par l’art. 128 ch. 3 CO, soit notamment les prétentions en dommages-intérêts fondées sur les art. 49 (tort moral), 328 (protection de la personnalité du travailleur), 336a (indemnité en cas de résiliation abusive), 337b (résiliation immédiate justifiée) ou 337c CO (résiliation immédiate injustifiée) […]
Pour déterminer le délai de prescription applicable à la prétention en dommages-intérêts du travailleur suite à la violation, par l’employeur, de son obligation contractuelle de conclure en sa faveur une assurance de prévoyance surobligatoire, il faut se baser sur la nature de cette prétention.
Le salaire peut être défini comme la » contre-prestation principale de l’employeur à la prestation de services du travailleur « . Dans le contexte de l’art. 128 ch. 3 CO, il s’agit de tenir compte de la notion de salaire dans un sens large. En règle générale, est donc visée par cette disposition toute contre-prestation de l’employeur à la prestation de services du travailleur.
En tant qu’elle vise à améliorer la situation patrimoniale du travailleur en échange de ses services, la convention selon laquelle un employeur s’engage à mettre le travailleur au bénéfice d’une prévoyance surobligatoire doit ainsi être comprise comme une composante du salaire au sens large; elle est dès lors soumise au délai de prescription de cinq ans prévu à l’art. 128 ch. 3 CO. C’est donc à tort que l’autorité précédente a appliqué le délai de prescription décennal de l’art. 127 CO au seul motif que la prétention du travailleur constitue une prétention en dommages-intérêts.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_402/2021 du 14 mars 2022, consid. 4)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)