
La recourante (= l’Employée ) reproche à la cour cantonale d’avoir retenu que l’office de poste de U.________ était un établissement au sens de l’art. 335d CO. Selon elle, c’est au contraire l’unité » RéseauPostal » s’étendant à toute la Suisse qui constitue un tel établissement, de sorte que le seuil prévu par cette disposition est potentiellement atteint et que la procédure en matière de licenciement collectif pourrait être applicable. Dans la mesure où dite procédure n’a pas été respectée, elle considère que son licenciement pourrait être abusif conformément à l’art. 336 al. 2 let. c CO. Elle fait par ailleurs grief à la cour cantonale d’avoir pris en compte la jurisprudence européenne en interprétant l’art. 335d CO.
Selon l’art. 336 al. 2 let. c CO, est abusif le congé donné par l’employeur sans respecter la procédure de consultation prévue par l’art. 335f CO pour les licenciements collectifs. L’art. 336a al. 3 CO dispose qu’en cas de congé abusif au sens de l’art. 336 al. 2 let. c CO, l’indemnité ne peut s’élever au maximum qu’au montant correspondant à deux mois de salaire du travailleur. L’art. 2.30.6.3 al. 2 de la Convention collective de travail Poste CH SA (ci-après: la CCT) prévoit toutefois qu’en cas de licenciement abusif, l’indemnité maximale correspond à douze salaires mensuels.
Seule peut et doit être examinée ici la question de savoir si l’office de poste de U.________, filiale de l’intimée, est un établissement au sens de l’art. 335d CO.
Aux termes de l’art. 335d CO, on entend par licenciement collectif les congés donnés dans une entreprise par l’employeur dans un délai de 30 jours pour des motifs non inhérents à la personne du travailleur et dont le nombre est au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs (ch. 1), de 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs (ch. 2) ou égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs (ch. 3).
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte se prête à plusieurs interprétations, s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’il ne correspond pas à la volonté du législateur, il convient de rechercher sa véritable portée au regard notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité.
L’unité déterminante pour établir si les seuils prévus à l’art. 335d CO sont atteints est celle de l' » établissement » ( » Betrieb « , » stabilimento « ), mentionnée aux ch. 1 à 3 de cette disposition, et ce bien que l’art. 335d i.i. CO se réfère à la notion d' » entreprise » ( » Betrieb « , » azienda « ).
Selon la doctrine, il faut entendre par établissement une structure organisée, dotée en personnel, en moyens matériels et immatériels qui permettent d’accomplir les objectifs de travail. Lorsqu’un employeur possède plusieurs établissements qui font partie de la même entreprise, l’existence d’un éventuel licenciement collectif se détermine dans chaque établissement, et non pas au niveau de l’entreprise (ATF 137 III 27 consid. 3.2 et les références citées).
De nombreux auteurs s’accordent sur le fait qu’un établissement doit disposer d’une certaine autonomie mais que celle-ci n’a pas besoin d’être financière, économique, administrative ou juridique et sur le fait qu’il n’est pas nécessaire que l’établissement ait la compétence de décider seul d’un licenciement collectif (…).
Dans le contexte de l’interprétation de l’art. 335d CO, il convient d’examiner les buts ayant présidé à l’adoption de cette norme.
D’une part, comme le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de le mentionner, la réglementation relative aux licenciements collectifs a été introduite afin de rapprocher le droit suisse de l’acquis communautaire en général et, en particulier, de la Directive 75/129/CEE du 17 février 1975 (ATF 137 III 27 consid. 3.2; 132 III 406 consid. 2.4).
Cette directive prévoyait, comme critère objectif permettant de définir le licenciement collectif, qu’un nombre minimum de congés fussent donnés pendant une période déterminée. Les États membres avaient le choix entre deux options. La première correspond à l’art. 335d CO adopté par le législateur suisse; elle contient un critère relatif. Selon la seconde possibilité, il y a licenciement collectif lorsque, indépendamment du nombre de travailleurs habituellement employés dans l’établissement concerné, au moins 20 congés sont signifiés dans une période de 90 jours; le critère retenu est donc absolu.
S’agissant de ce choix, le Message du Conseil fédéral précise que, » si un employeur est propriétaire de plusieurs entreprises, il faudra prendre en considération le nombre de congés prononcés dans chacune d’entre elles et non pas tenir compte de ceux qui interviennent dans l’ensemble de ses entreprises. Ainsi, 10 congés étalés sur une période de 90 jours dans chacune des trois usines appartenant au même employeur ne constituent pas un licenciement collectif au sens du projet. Cette solution accorde à l’employeur titulaire de plusieurs entreprises une plus grande souplesse dans la gestion de son personnel. » (Message I du 27 mai 1992 sur l’adaptation du droit fédéral au droit de l’EEE [Message complémentaire I au message relatif à l’Accord EEE], FF 1992 I 403 ch. 4.3.2 ad art. 335d).
D’autre part, l’adoption de ces règles en matière de licenciement collectif vise notamment à empêcher la survenance d’événements inattendus pour le marché du travail en évitant qu’un nombre important de travailleurs au profil similaire ne perdent leur emploi dans un court laps de temps et dans la même région et que, par conséquent, la recherche d’emploi ne s’en trouve compliquée et la durée de la période de chômage n’en soit prolongée. La procédure de licenciement collectif n’intervenant que lorsqu’un nombre important de travailleurs est visé, elle ne concerne pas les petites structures (cf. art. 335d ch. 1 CO).
Le Tribunal fédéral a jusqu’ici laissé ouverte la question de savoir si, comme certains auteurs le suggèrent, la notion d’établissement doit être étendue lorsque des établissements sont proches au point de constituer un seul lieu d’exploitation (ATF 137 III 27 consid. 3.2).
La doctrine est divisée sur cette question.
Une partie des auteurs plaide en faveur d’une comptabilisation commune des congés donnés dans des établissements distincts mais proches géographiquement; selon ces auteurs, les établissements font, en effet, partie du même marché du travail et les congés donnés produisent les mêmes conséquences économiques et sociales que des congés donnés dans un seul établissement (….).
Une partie importante de la doctrine conteste toutefois cette interprétation, qui n’est selon elle couverte ni par la lettre de la loi ni par l’intention du législateur telle qu’explicitée dans le Message du Conseil fédéral ; selon elle, des établissements faisant partie de la même personne morale sont distincts, même s’ils sont proches d’un point de vue géographique ou de par l’activité concernée (…). [Un auteur] souligne qu’une telle comptabilisation commune de plusieurs établissements peut conduire à un changement de seuil et, donc, à une augmentation du nombre de licenciements nécessaires afin que la procédure de licenciement collectif soit applicable (…).
Il ressort de cette interprétation historique et téléologique que chaque office de poste – qui est une filiale – est un » établissement » au sens de l’art. 335d CO, à savoir une structure organisée, qui est dotée en personnel, en moyens matériels et immatériels qui permettent d’accomplir les objectifs de travail et qui bénéficie d’une certaine autonomie, sans que cette autonomie ne doive être financière, économique, administrative, juridique ou ne nécessite la compétence de décider seule d’un licenciement collectif.
Les licenciements prononcés dans des établissements proches d’un point de vue géographique doivent donc être comptabilisés séparément. Cette interprétation correspond notamment à la volonté du législateur de protéger le marché du travail en cas de licenciement collectif tout en accordant à l’employeur une grande souplesse dans la gestion de son personnel. Une interprétation littérale de l’art. 335d CO ne fait que confirmer ce résultat, dans la mesure où la loi ne prévoit pas que les licenciements prononcés dans des établissements distincts mais proches devraient être comptabilisés ensemble.
Les griefs de la recourante doivent dès lors être rejetés.
D’une part, contrairement à ce que la recourante soutient, des établissements proches d’un point de vue géographique ne sauraient être comptabilisés ensemble. Par ailleurs, l’art. 335d CO n’exige pas qu’une entité dispose d’une pleine autonomie et d’une totale indépendance structurelle et qu’elle ait la compétence de décider seule d’un licenciement collectif pour pouvoir être qualifiée d’établissement au sens de cette disposition. Le principe d’égalité n’est par ailleurs pas violé par le fait que certaines filiales atteignent le seuil fixé à l’art. 335d CO et d’autres non; il est dans la nature de règles générales et abstraites de fixer des seuils qui conduisent à traiter différemment des situations différentes.
Selon les constatations de l’arrêt attaqué, l’office litigieux dispose d’un ensemble de travailleurs, d’une structure organisationnelle et de compétences propres et peut gérer seul, en vue d’exécuter ses tâches, la majeure partie de ses affaires, comme la gestion courante de ses employés, les commandes en matériel, la comptabilité de l’office et la sécurité. Certes, le responsable de cet office ne dispose pas du pouvoir décisionnel quant au nombre de postes nécessaires pour son office, au choix des travailleurs et à la gestion de leurs horaires et de leurs vacances puisque ces éléments sont mis en place par lui en collaboration avec le responsable d’exploitation et/ou le responsable de secteur, de façon à allouer efficacement les ressources humaines. Il n’en demeure pas moins que l’office litigieux bénéficie d’une relative autonomie et ce bien qu’il fasse partie d’un groupe de filiales entre lesquelles il existe un rapport de collaboration.
Partant, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que la filiale de U.________ constitue un établissement et qu’elle a refusé d’admettre que les éventuels licenciements prononcés dans d’autres filiales au sein de l’unité » RéseauPostal » de l’intimée dussent être ici pris en compte.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_531/2021 du 18 juillet 2022, destiné à la publication, consid. 4 et 5)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)