Selon l’art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier.
Le droit de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO. L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère des cas dans lesquels la résiliation est abusive ; cette liste n’est cependant pas exhaustive. Elle concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit et en aménage les conséquences juridiques pour le contrat de travail. D’autres situations constitutives de congé abusif sont donc également admises par la pratique. Elles doivent toutefois comporter une gravité comparable aux cas expressément mentionnés à l’art. 336 CO, l’abus de la résiliation pouvant découler non seulement des motifs du congé, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit. A cet égard, la jurisprudence du Tribunal fédéral a rappelé que le licenciement peut être notamment tenu pour abusif lorsqu’il répond à un motif de simple convenance personnelle de l’employeur (TF 4C.25/2006 du 21 mars 2006 et les références citées).
Le Tribunal fédéral a ainsi admis que l’employeur avait agi de manière abusive en licenciant un travailleur, quelques mois avant sa retraite, après quarante-quatre années de bons et loyaux services, alors que le fonctionnement de l’entreprise ne commandait pas une telle mesure et qu’une solution socialement plus supportable pour l’intéressé n’avait pas été recherchée (ATF 132 III 115). A plusieurs reprises par la suite, le Tribunal fédéral a écarté l’application de cette jurisprudence qualifiée d’exceptionnelle au motif que l’âge de l’employé ne suffisait pas à qualifier le congé d’abusif, notamment si l’employé n’était pas si proche de la retraite légale et/ou plus en mesure de fournir des prestations suffisantes, les circonstances du cas d’espèce étant déterminantes (TF 4A_419/2007 du 28 janvier 2008 consid. 2.5 ; TF 4A_60/2009 du 3 avril 2009 consid. 3.2). On peut ainsi citer les cas suivants : un travailleur de 55 ans, ayant reçu plusieurs admonestations et pas en mesure de fournir des prestations suffisantes à un autre poste de travail où il avait été muté (TF 4A_419/2007 précité consid. 2.6) ; un travailleur âgé de 57 ans, soit à 8 ans de la retraite ordinaire (TF 4A_72/2008 du 2 avril 2008) ; un employé licencié en raison de ses mauvaises prestations de travail, dues notamment à des abus d’alcool au cours des pauses de midi et de la circonstance qu’il n’effectuait pas le nombre d’heures quotidiennes que requéraient les tâches qui lui étaient dévolues au sein de l’entreprise (TF 4A_60/2009 précité consid. 2.3.2 et 3.2). Plus récemment, le Tribunal fédéral a cependant écarté l’arrêt TF 4A_419/2007 précité en faveur de l’ATF 132 III 115, considérant que les faits étaient très similaires, dans la mesure où l’employé était à 14 mois de la retraite légale et, bien que lent, continuait à fournir des prestations satisfaisantes – aucune dégradation sensible des prestations n’ayant été constatée entre l’évaluation effectuée deux mois auparavant et le licenciement – et avait été licencié sans mise en demeure, ni recherche d’une solution moins incisive par la personne responsable. Il a souligné à cet égard qu’il était dans le cours ordinaire de la vie qu’un travailleur se trouvant à une année de la retraite puisse être moins motivé qu’un jeune, mais que cela ne dispensait pas l’employeur d’avoir des égards envers une personne depuis longtemps à son service, tant que celle-ci accomplissait ses tâches de manière objectivement satisfaisante (TF 4A_558/2012 du 18 février 2012 consid. 2).
En préambule, avec les premiers juges, il y a lieu de retenir que la durée exacte des rapports de travail ayant lié les parties n’est pas en soi déterminante, l’ancienneté de l’appelante (= l’employée) au sein de l’entreprise intimée (= l’employeuse) étant indéniable, qu’elle soit de plus de vingt ans comme le soutient la première ou de quatorze ans selon la seconde.
Les premiers juges ont considéré que l’ATF 132 III 115 constituait un cas exceptionnel qui ne saurait empêcher le licenciement d’un collaborateur ayant œuvré longtemps au service du même employeur lorsque l’intéressé n’est plus en mesure d’exécuter à satisfaction les tâches qui lui sont confiées. Le Tribunal fédéral a effectivement renoncé à l’application de cette jurisprudence à plusieurs reprises lorsque le collaborateur, certes âgé, n’était soit pas proche de l’âge légal de la retraite, soit ne donnait plus satisfaction, un simple manque de motivation n’étant pas suffisant à cet égard. Au contraire, dans un arrêt 4A_558/2012 (cf. consid. 4.2.1.1), en présence d’un cas « très similaire » à celui de l’ATF 132 III 115, le Tribunal fédéral a admis un licenciement abusif.
En l’espèce, au moment de son licenciement, l’appelante était à dix mois de l’âge légal de la retraite et travaillait depuis au moins quatorze ans pour l’entreprise intimée. A plusieurs reprises au long de la collaboration, il a été fait part que l’appelante donnait entière satisfaction, était fiable et entretenait des relations cordiales avec ses collègues et sa hiérarchie. Il n’est pas établi qu’elle aurait manqué d’efficacité ou de motivation, au contraire, ni qu’elle n’aurait plus donné satisfaction à son employeur de quelque manière que ce soit. Le fait que l’appelante soit en incapacité de travail ne saurait lui être reproché ni justifier son licenciement. L’intimée n’a en particulier pas établi que la réorganisation à l’interne pour remplacer l’appelante durant son absence commandait la résiliation des rapports de travail. L’intimée a certes pris des nouvelles de son employée à deux reprises par téléphone. L’intimée n’a cependant pas recherché une solution moins incisive pour l’appelante, notamment en vue d’une reprise de l’activité progressive dans un poste adapté pour le temps courant jusqu’à l’entrée en retraite.
Pour tous ces motifs, la cour de céans considère que le cas d’espèce – très similaire à ceux des ATF 132 III 115 et TF 4A_558/2012 – constitue un cas de licenciement abusif, de sorte que l’appel doit être admis.
Aux termes de l’art. 336a al. 2 CO, l’indemnité pour licenciement abusif est fixée par le juge, compte tenu de toutes les circonstances.
Pour fixer l’indemnité au sens de l’art. 336a CO, le juge jouit d’un large pouvoir d’appréciation (cf. art. 4 CC) qui n’est limité que dans la mesure où il ne peut allouer au maximum qu’un montant correspondant à six mois de salaire. Selon la jurisprudence, il faut notamment prendre en considération dans ce cadre la gravité de la faute commise par l’employeur, une éventuelle faute concomitante du travailleur, la gravité de l’atteinte à sa personnalité, son âge, la durée et l’intensité de la relation de travail, les effets du licenciement et les difficultés de réinsertion dans sa vie économique (ATF 123 III 391 consid. 3, JdT 1998 1126 ; ATF 123 III 246 consid. 6a, JdT 1998 I 300 ; TF 4A_31/2017 du 17 janvier 2018 consid. 3).
Dans le cas d’espèce, il y a lieu de tenir compte de la longue durée du rapport de travail ayant lié les parties – au moins quatorze ans –, du fait que le licenciement est intervenu dix mois avant la retraite de l’employée, ainsi que de l’impact moral du licenciement. Le Dr […] a confirmé que les décisions et communications de l’employeur avaient particulièrement ébranlé sa patiente et qu’ils avaient joué un rôle dans la prolongation de son incapacité de travail jusqu’à la fin du mois d’août 2016 ; le témoin a certes précisé qu’il n’était pas en mesure de se prononcer sur le lien de causalité dès lors que son travail consistait à soigner sa patiente et non à effectuer une expertise judiciaire. On comprend de ces déclarations que le médecin s’est contenté de répondre en termes médicaux et pas en termes juridiques, ce qui n’enlève rien à la teneur exacte de son témoignage à défaut d’éléments permettant de douter de sa force probante.
Une fois le licenciement intervenu (le 25 janvier 2016 pour le 31 mars 2016), l’incapacité de travail totale de l’appelante a duré encore environ quatre mois (jusqu’au 2 juin 2016), avant de passer à 80 % du 3 juin 2016 au 6 juillet 2016, à 50 % du 7 juillet 2016 au 31 juillet 2016, puis à 20 % du 1er août 2016 jusqu’au 1er septembre 2016, date à partir de laquelle l’appelante a recouvré sa pleine capacité de travail puis s’est inscrite au chômage. On peut donc considérer que l’impact moral du licenciement a été de moyenne portée, puisque l’incapacité n’a pas perduré sur le long terme. Néanmoins, au mois de septembre 2016, l’appelante se trouvait être à quatre mois de la retraite et ses possibilités de réinsertion professionnelle étaient nulles ; elle a alors bénéficié pour les mois restants des prestations de l’assurance-chômage. Au niveau de la perte financière sur la rente annuelle du deuxième pilier, un expert s’est prononcé sur les allégués 136 et 137 pour constater une différence de la rente annuelle au titre du deuxième pilier de 4’892 fr. 40, ce qui représente un préjudice capitalisé de 100’000 fr. 65. Ce préjudice, dûment établi par expertise judiciaire, justifie l’octroi d’une large indemnité, au regard de l’absence de toute faute pouvant être mise à la charge de l’appelante.
Compte tenu de l’importante perte de rente du deuxième pilier, de la marge de manœuvre très faible à disposition de l’appelante pour rebondir vu les circonstances du licenciement – au seuil de la retraite, après de nombreuses années de service et sans baisse de motivation ni satisfaction) – et de l’impact moral, il y a lieu d’accorder à l’appelante une pleine indemnité, correspondant à six mois de salaire (6 x [6’515 fr. x 13 / 12]. En définitive, l’appelante a droit à une indemnité de 42’345 francs.
(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal [VD] HC/2021/474 du 5 juillet 2021)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)