
B______ SA est une société de droit suisse dont le but est notamment les services et entreprise générale d’installations électriques, de télécommunications, d’automatisme et de systèmes informatiques ; son siège est à Genève.
A______ a été engagé par B______ SA, en qualité de monteur électricien chef d’équipe, à partir du 1er octobre 2015, par contrat de travail à durée indéterminée.
Le ______ 2021, a été inscrite au Registre du commerce de la République et canton de Genève l’entreprise individuelle A______ , D______.
Par courrier du 28 janvier 2020, A______ a annoncé à B______ SA qu’il mettait un terme à son contrat de travail avec effet au 31 mars 2020.
Le 6 mars 2020, B______ SA a informé A______ qu’il était licencié avec effet immédiat au motif qu’il avait, durant ses heures de travail, essayé de débaucher des employés en mission temporaire pour le compte de son futur employeur.
Selon l’art. 337 al. 1 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs ; la partie qui résilie immédiatement le contrat doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande. Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).
La résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle et doit être admise de manière restrictive ; les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Un juste motif est un fait propre à détruire la confiance qu’impliquent dans leur essence les rapports de travail ou à les ébranler de telle façon que la poursuite du travail ne peut plus être exigée de celui qui a donné le congé, de sorte qu’il ne peut lui être demandé d’attendre l’expiration du délai de résiliation ordinaire ou l’échéance du contrat. Il doit s’agir de manquements particulièrement graves du travailleur à ses obligations découlant de son contrat de travail, en particulier à son obligation d’exécuter le travail ou à son devoir de fidélité.
Une résiliation immédiate peut intervenir alors que le congé a déjà été signifié de manière ordinaire. Toutefois, il convient de se montrer d’autant plus strict dans l’admission du caractère justifié du licenciement immédiat que la durée du contrat qui reste à courir est faible.
A raison de son obligation de fidélité, l’employé est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO), en se consacrant entièrement à l’exécution de ses tâches et en prenant les mesures adéquates pour prévenir la survenance d’un dommage ou en réduire les conséquences et, par conséquent, de s’abstenir de tout ce qui peut lui nuire. L’obligation de fidélité trouve ses limites dans les intérêts légitimes du travailleur qui comprennent le droit au libre épanouissement de sa personnalité et le droit à la sauvegarde de ses intérêts financiers. La préparation d’une activité future peut, sous certaines conditions, constituer une violation du droit de fidélité. Il y a violation de l’obligation de fidélité si les préparatifs contreviennent à la bonne foi. C’est essentiellement le cas lorsque le travailleur se met à faire concurrence à son employeur avant la fin du délai de congé, par exemple en recrutant des employés ou en débauchant les clients.
En l’espèce, il importe peu de déterminer si A______ (=l’employé) a bel et bien tenté de démarcher débaucher des collègues de travail. En effet, dans l’hypothèse où cela était le cas, il y a néanmoins lieu de considérer que le licenciement avec effet immédiat est injustifié.
Le licenciement avec effet immédiat pour juste motif doit être admis de façon restrictive. Si le fait de débaucher des employés pendant la période de préavis constitue une violation grave du devoir de fidélité envers son employeur (art. 321a al. 1 CO), il est toutefois nécessaire de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce afin d’apprécier le caractère justifié ou non du licenciement avec effet immédiat.
A______ avait, au moment de son licenciement, déjà présenté sa démission et il ne lui restait que quelques jours de travail à accomplir au sein de l’entreprise. Dans cette situation, bien que la débauche [sic ! le débauchage] d’employé soit une faute grave, il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue.
L’employeur estime que le licenciement immédiat était la seule mesure à sa disposition pour éviter que A______ ne débauche d’autres employés. Or, la libération de l’obligation de travailler aurait été une mesure suffisante afin de prévenir le risque que A______ continue à débaucher des employés, d’autant plus qu’il ne restait qu’une dizaine de jours de travail à l’Appelant avant que ses rapports de travail ne prennent fin.
Partant, la Cour de céans arrive donc à la même conclusion que le Tribunal des prud’hommes et confirme que le licenciement avec effet immédiat est injustifié.
L’art. 337c al. 3 CO prévoit qu’en cas de résiliation immédiate injustifiée, le juge peut allouer au travailleur une indemnité dont il fixera librement le montant, en tenant compte de toutes les circonstances, mais sans dépasser l’équivalent de six mois de salaire.
Cette indemnité, qui s’ajoute aux droits découlant de l’art. 337c al. 1 CO, revêt une double finalité, à la fois réparatrice et punitive, quand bien même elle ne consiste pas en des dommages-intérêts au sens classique, car elle est due même si la victime ne subit ou ne prouve aucun dommage ; revêtant un caractère sui generis, elle s’apparente à la peine conventionnelle.
Sauf cas exceptionnel, elle doit être versée pour tout licenciement immédiat dénué de justes motifs. Elle peut être refusée dans des circonstances particulières, par exemple lorsque tout manquement de l’employeur ou tout reproche d’un autre ordre est exclu ou encore lorsque la faute concomitante de l’employé est grave. Une éventuelle faute concomitante du travailleur est prise en considération et peut donner lieu à une réduction, voire à une suppression de l’indemnité lorsque la faute du travailleur est grave, mais insuffisante pour justifier le licenciement avec effet immédiat, ou encore lorsque tout manquement de l’employeur ou tout reproche d’un autre ordre est exclu.
Pour fixer cette indemnité, le juge prend en considération la gravité de la faute de l’employeur et de l’atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur, mais également d’autres éléments tels que la faute concomitante du travailleur, la durée des rapports de travail, l’âge du lésé, sa situation sociale et les effets économiques du licenciement, ce qui présuppose de prendre en considération aussi bien la situation économique de l’employeur que celle de l’employé; aucun de ces facteurs n’est décisif en lui-même.
Le juge du fait possède un large pouvoir d’appréciation tant en ce qui concerne le principe que l’ampleur de l’indemnisation prévue à l’art. 337c al. 3 CO (art. 4 CC).
En l’espèce, le Tribunal n’a pas fait preuve d’arbitraire ni dans l’établissement des faits, ni dans l’appréciation des preuves en retenant que A______ a clairement joué un rôle dans la démission de ses deux collègues, raison de son licenciement, et que cela justifiait le refus d’une indemnité pour licenciement avec effet immédiat injustifié.
(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/125/2022 du 12.08.2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)