
Depuis 2014, 878 notes ont été (à ce jour) publiées sur ce site. Il s’agissait de se faire l’écho de la pratique des tribunaux et des administrations en matière de droit du travail et de la protection des données, de montrer ce qui se faisait.
Avec les années, il nous est venu l’envie de montrer aussi ce qui ne devrait pas se faire, les motifs d’énervements, les bévues, les couacs, les cuirs, bref tout ce qui pouvait aussi instruire (et amuser), mais sous la forme de contre-exemples (y compris au détriment du rédacteur de ce site…)
Le certificat de travail est un document crucial sur le marché du travail en Suisse.
Que l’on s’en félicite ou qu’on le regrette, c’est souvent lui qui va aider les recruteurs (humains – les bots n’y arrivent pas encore tout à fait) à faire un premier tri entre la pile des « retours à l’envoyeur » et celle des « premiers entretiens ( ?) ».
[Concernant les principes légaux applicables au certificat de travail en droit suisse :
& choix de notes et de jurisprudences sur le certificat de travail :
https://droitdutravailensuisse.com/category/certificat-de-travail/%5D
Mais il y a le droit, et il y a la pratique.
Je me souviens ainsi d’une expérience de dissociation.
On croit que l’exercice est réservé aux chamans, mais pas du tout.
J’étais au téléphone, il y a quelques années, en train de m’écharper avec une responsable des ressources humaines sur les termes d’un certificat de travail qui devait être destiné à mon client.
L’entretien était long, et difficile, mon interlocutrice renâclant sur chaque terme, sur toutes les virgules, d’un ton aigre et condescendant.
Après un Xe échange de vues sur le félidé à quatre pattes pourvues de moustache que l’on n’osait appeler un chat, il me fut opposé que le contenu du certificat de travail n’allait pas être modifié selon mes vœux car il « engageait la responsabilité de l’employeur ». Le chat n’était ainsi pas un chat, mais quelque chose qui ressemblait plus à un sur-mulot de grande taille.
Et c’est là que, frappé de stupeur, mon double est sorti de mon corps physique pour s’installer en surplomb, dans un des coins du plafond. Assis confortablement en position du lotus, il se mit à penser à la réponse qui pourrait être faite à cette peu aimable « responsable ».
Le certificat engageait la responsabilité de l’employeur ? Sans blague ! Après plus de vingt ans de pratique, dont de nombreuses formations destinées aux semblables de mon interlocutrice (avec un succès relatif apparemment), je le savais pertinemment.
Mais en pratiques ?
Les cas venus à ma connaissance de mise en œuvre de cette responsabilité se comptaient sur les doigts d’une main, et concernaient tous des cas crasses d’abus flagrants : on attestait de la plus parfaite probité de délinquants avérés, de la moralité de diables cornus… En d’autres termes, la balance entre le caractère bienveillant du certificat, qui devait favoriser la réinsertion du travailleur, et la réalité de ce qu’il décrivait, n’aurait dû avoir que marginalement à souffrir d’une responsabilité très théorique, et qui s’appliquait surtout dans des cas particulièrement « gratinés ».
En vérité, il n’y a pas de bonne raison de ne pas délivrer rapidement un certificat de travail, certes conforme à la vérité, mais aussi favorable et bienveillant à un employé licencié. C’est d’ailleurs ce que retiennent maints juges, qui comprennent de plus en plus mal que cette question ne soit pas réglée quand s’ouvre une procédure devant eux.
L’excuse de l’utilisation potentiellement dommageable d’un tel certificat dans une procédure contentieuse ne tient pas non plus. Il en effet possible de passer une convention de procédure entre les parties, à teneur de laquelle le certificat, par hypothèse favorable, ne serait pas produit en la procédure, sous peine de s’en voir écarté en application de l’art. 152 al. 2 CPC.
Passer donc un temps considérable sur des nuances picrocholines de ternes et de syntaxe, comme le faisait mon interlocutrice, était une perte de temps et de ressources pour tout le monde.
J’étais bien tenté, sur mon nuage, d’envoyer un email au supérieur de cette « responsable » où j’aurais intégré son coût horaire, les cotisations patronales en rapport avec son salaire, le coût du nombre de mètres carrés que son bureau occupait, et ce en rapport avec le caractère parfaitement inutile (pour l’employeur), mesquin et vexatoire (pour l’employé) de ses atermoiements.
Je ne l’ai pas fait.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)