
Depuis le 20 décembre 2021, une enquête pénale est ouverte pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP), pour rixe (art. 133 CP) – éventuellement pour émeute (art. 260 CP) -, pour empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP), pour contravention au sens de l’art. 86 de la loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer (LCdF; RS 742.101) et pour infractions au sens des art. 15 (conduite inconvenante) et 17a (refus d’obtempérer) de la loi jurassienne du 9 novembre 1978 sur l’introduction du Code pénal (LiCP; RS/JU 311) en raison des faits survenus le 19 décembre 2021 aux alentours de la gare CFF de X.________ en marge du match de hockey opposant le HC F.________ et le HC G.________.
Les images vidéos des caméras de surveillance à l’intérieur de la patinoire, des CFF et de différentes caméras présentes sur les lieux des événements ont notamment permis de démontrer la présence ce jour-là de A.________ sur le chemin menant à la gare – respectivement […] -, puis à la place V.________, ainsi qu’à […].
Ce 11 janvier 2022, A.________ a été mis en prévention pour les chefs d’infraction énumérés ci-dessus par le Ministère public. Ce dernier a également ordonné la perquisition de documents et d’enregistrements du ou des téléphone (s) portable (s) du prévenu, ainsi que leur analyse. Le 11 janvier 2022 toujours, le Ministère public a ordonné la saisie des données signalétiques de A.________, ainsi qu’un frottis de muqueuse jugale pour l’établissement d’un profil ADN, au motif que le prévenu était mis en cause pour un crime ou un délit et qu’il avait été identifié comme l’un des auteurs des faits survenus le 19 décembre 2021 à X.________.
Le casier judiciaire de A.________ fait état d’une enquête pénale des autorités neuchâteloises pour émeute, violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires en lien avec des événements survenus le 20 août 2020 [recte 21 février 2020] (cause MP/NE_2020).
S’agissant de l’établissement d’un profil ADN et de la saisie des données signalétiques, ces deux mesures n’ont pas été ordonnées pour les besoins exclusifs de la procédure jurassienne en cours à l’encontre du recourant, mais également en vue d’élucider d’autres crimes ou délits, anciens ou futurs, sans lien avec celle-ci. Il s’agit donc d’une décision finale au sens de l’art. 90 LTF.
Se référant en particulier à l’art. 255 CPP, le recourant reproche à l’autorité précédente une violation du principe de proportionnalité. Il soutient en substance que rien ne laisserait apparaître qu’il pourrait être impliqué dans d’autres procédures passées ou futures. Selon le recourant, une telle démonstration ne serait en particulier pas apportée par l’ordonnance pénale du 23 mars 2022 rendue à son encontre par les autorités neuchâteloises; il s’agirait en outre d’un cas bagatelle.
Les mesures de reconnaissance et la conservation des données peuvent porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l’emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH). Elles doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.).
Selon l’art. 197 al. 1 CPP, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l’infraction (let. d).
A teneur de l’art. 255 al. 1 let. a CPP, pour élucider un crime ou un délit, le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil d’ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu.
Cette possibilité n’est pas uniquement limitée à l’élucidation du crime ou du délit pour lequel le prévenu est poursuivi; ces mesures peuvent également être ordonnées afin d’élucider des infractions passées ou futures qui sont encore inconnues des autorités de poursuites pénales (cf. art. 259 CPP et art. 1 al. 2 let. a de la loi fédérale du 20 juin 2003 sur l’utilisation de profils d’ADN dans les procédures pénales et sur l’identification de personnes inconnues ou disparues [RS 363]). Le profil ADN a notamment pour but d’éviter de se tromper sur l’identification d’une personne ou de jeter le soupçon sur des innocents; il peut aussi avoir des effets préventifs et contribuer à la protection de tiers. Malgré ces indéniables avantages, l’art. 255 CPP n’autorise pas le prélèvement d’échantillons d’ADN et leur analyse de manière systématique.
Selon la jurisprudence, l’établissement d’un profil ADN, qui ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s’il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d’autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s’agir d’infractions d’une certaine gravité. Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l’absence d’antécédents n’empêche pas encore de prélever un échantillon et d’établir le profil ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d’intérêts à réalise. Lorsque la mesure vise à élucider des infractions passées ou futures, elle n’est pas soumise à la condition de l’existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction au sens de l’art. 197 al. 1 CPP : des indices au sens susmentionné suffisent. Des soupçons suffisants doivent cependant exister en ce qui concerne l’acte qui a fondé le prélèvement ou l’établissement du profil d’ADN.
Les considérations émises en lien avec le prélèvement et l’établissement d’un profil ADN valent également pour la saisie de données signalétiques au sens de l’art. 260 CPP, à la différence que cette mesure peut également être ordonnée en cas de contravention.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le prélèvement et l’établissement d’un profil ADN ordonné, respectivement la saisie des données signalétiques, ne tendaient pas à identifier le recourant eu égard à la procédure pénale jurassienne en cours à son encontre : il avait été en effet identifié par le biais des images de vidéo- surveillance et il n’apparaît pas établi que des prélèvements ADN aient été effectués, par exemple sur le mobilier du restaurant où se sont rendus les supporters de F.________, afin de pouvoir les confronter avec l’ADN du recourant, de manière à établir son rôle lors des événements du 19 décembre 2021.
Il sied donc d’examiner si la mesure se justifie eu égard à d’éventuelles infractions passées en lien avec d’autres procédures ou futures.
Dans le cadre de l’examen du séquestre du téléphone portable du recourant ordonné dans la procédure jurassienne en cours, la cour cantonale a confirmé l’existence de soupçons suffisants de la commission d’infractions en lien avec les faits du 19 décembre 2021, dont celle d’émeute (art. 260 CP). Elle s’est référée à cet égard aux constatations du rapport de police (attroupement compact, uni et menaçant, refus d’obtempérer aux injonctions de la police) et aux images issues des caméras de surveillance attestant de la présence du recourant sur les lieux à plusieurs moments; en particulier, elle a rappelé, à juste titre, que le comportement délictueux consistait à participer volontairement à l’attroupement et que la participation active aux actes de violence n’était pas une condition de punissabilité.
Le seul fait que le recourant conteste avoir commis des infractions – notamment sous l’angle de la condition subjective – ne suffit pas pour remettre en cause à ce stade de la procédure le raisonnement de l’autorité précédente. Cela vaut d’autant plus que le recourant reconnaît avoir été sur les lieux – au demeurant aux endroits correspondant à ceux relevés dans le rapport de police – en compagnie des supporters de F.________. Devant le Tribunal fédéral, il ne prétend en particulier pas avoir ignoré que les supporters des deux équipes se trouvaient à la gare et qu’il existait donc un risque concret de confrontation. Ce dernier élément et les circonstances d’espèce (groupes d’ « ultras ») permettent également à ce stade d’écarter l’hypothèse d’une manifestation à vocation pacifique, ce que ne prétend d’ailleurs pas le recourant. Il peut aussi être constaté que ce dernier ne soutient pas que les faits sous enquête, à la suite desquels deux agents de police ont été blessés, ne présenteraient pas la gravité nécessaire permettant, le cas échéant, d’ordonner un prélèvement et l’établissement d’un profil ADN. Il en découle l’existence de soupçons suffisants de la commission d’infractions en lien avec les événements du 19 décembre 2021, soit les faits à la suite desquels le prélèvement contesté a été ordonné.
Les motifs précédents permettent d’ailleurs de rejeter le recours – dans la mesure de sa recevabilité – en ce qui concerne le séquestre du téléphone portable du recourant. Cette appréciation s’impose d’autant plus que ce dernier ne développe aucune argumentation visant à démontrer que l’analyse du contenu de son appareil téléphonique ne permettrait pas de faire avancer l’enquête.
Il existe ensuite en l’espèce un risque sérieux et concret que le recourant puisse être impliqué dans d’autre (s) infraction (s), notamment future (s), et la mesure ordonnée est donc propre à prévenir et/ou à élucider la commission de celle (s) -ci.
En effet, en date du 19 décembre 2021, le recourant, supporter du HC F.________ était alors interdit de stade et faisait l’objet d’une enquête pénale neuchâteloise pour dommages à la propriété (art. 144 CP), émeute (art. 260 CP), violence ou menace contre les autorités et les fonctions (art. 285 CP), ainsi que désobéissance à la police en application du droit cantonal neuchâtelois en raison de faits manifestement similaires réalisés le 21 février 2020 à l’issue d’un match de hockey. Ces circonstances ne l’ont pourtant pas empêché de se rendre, le 19 décembre 2021, sur des lieux où il semblait savoir que pouvaient se trouver les supporters d’une équipe adverse, respectivement de se joindre aux « ultras » de son club. On ne saurait donc écarter toute probabilité que le recourant se retrouve dans une configuration similaire à l’avenir et la mesure ordonnée pourrait permettre, le cas échéant, de l’identifier.
Partant, la Chambre pénale des recours pouvait, sans violer le droit fédéral, confirmer, notamment sous l’angle de la proportionnalité, le prélèvement et l’établissement d’un profil ADN, ainsi que la saisie des données signalétiques du recourant.
Il s’ensuit que le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
(Arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)