
E.________ est un médecin psychologue pratiquant dans un cabinet de groupe à… (VD).
3.1 L’Employé est engagé, sous la responsabilité directe de l’Employeur, en qualité de psychologue-psychothérapeute en psychothérapie déléguée, en charge de tous les patients qui lui auront été confiés par l’Employeur.
4. TAUX D’ACTIVITÉ ET DURÉE HEBDOMADAIRE DU TRAVAIL
4.1 Le taux d’activité de l’Employé est variable selon les besoins du cabinet.
4.2 La durée hebdomadaire du Travail est variable selon les besoins du cabinet.
(…)
7. SALAIRE DE BASE
7.1 (…) Le salaire horaire brut [est] fixé à 80 CHF/heure.
(…)
7.3 Le salaire est versé au Prorata du paiement des factures effectives. »
A réception du premier relevé de facturation au début du mois d’octobre 2017, l’employée a interpellé son employeur; elle considérait que la répartition des montants ne correspondait pas à ce qui avait été convenu. (…)
Le 13 février 2018, l’intéressé a accordé un entretien à l’employée et trois autres collaborateurs qui dénonçaient aussi des irrégularités dans le système de rémunération. (…)
Le 21 février 2018, il [l’employeur] a demandé à l’organisme d’encaissement d’opérer une modification de la répartition sous son compte et celui de T.________, à raison de 50 % chacun.
Le même jour, il a proposé à la prénommée un nouveau contrat de travail qui prévoirait une entrée en fonction au 1er janvier 2018 et instituerait un nouveau temps d’essai, ainsi qu’une indexation du salaire selon les modifications du point TarMed.
Le 24 février 2018, l’employée a dit préférer un avenant et ne pas vouloir modifier son salaire; ou du moins attendait-elle des simulations qui lui permettraient de réaliser la portée de l’indexation. Elle a aussi proposé au médecin qu’il explique à son père [juge suppléant au Tribunal fédéral] la manière dont il envisageait de fixer le salaire; les deux hommes pourraient ainsi rechercher une manière claire de formuler le contrat.
L’employée avait déjà mentionné [les qualités de son père] dans un échange de correspondances (…). En effet, dans un courriel du 25 janvier 2018, elle s’était réservé le droit de dénoncer d’éventuelles erreurs relatives à son décompte salarial 2017 et avait précisé adresser une copie à » Monsieur X.________, juge fédéral suppléant « .
Dès février 2018, l’employeur a cessé d’attribuer de nouveaux patients à la travailleuse.
Le 13 juin 2018, il lui a remis en mains propres un courrier lui signifiant son congé pour le 30 septembre 2018. Il l’a libérée sur-le-champ de son obligation de travailler.
Dans l’attestation fournie à la Caisse de chômage le 18 septembre 2018, il a justifié le licenciement par le fait que le profil de l’employée ne correspondait plus au poste.
L’employée s’est opposée au congé par courrier du 27 septembre 2018 et a offert ses services. Elle a émis des doutes quant au véritable motif du licenciement, qu’elle estimait lié aux prétentions élevées en lien avec son contrat.
Le 5 octobre 2018, l’employeur a justifié sa décision par le fait que leur collaboration était « compliquée, peu constructive et ne pouvait s’inscrire dans la durée »; l’employée avait créé une ambiance de méfiance et de franche hostilité qui était devenue insupportable. La situation n’avait fait qu’empirer et le lien de confiance s’était définitivement rompu, au point qu’il s’était vu obligé de se séparer d’elle. Le motif indiqué à la Caisse de chômage devait être compris dans le sens suivant: le « profil psychologique » de l’employée , « c’est-à-dire [sa] personnalité (menaçante, méfiante) […] ne correspond (ait) pas aux conditions pour une bonne collaboration dans l’activité de psychothérapie déléguée, laquelle se bas[ait] sur un lien de confiance indéfectible ».
Le 25 mars 2019, T.________ a assigné en conciliation son ex-employeur devant le Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois. Elle a ensuite déposé une demande en paiement de 29’999 fr. nets, exigeant d’une part un complément de salaire pour le manque à gagner subi au cours des relations contractuelles, d’autre part une indemnité pour licenciement abusif.
Statuant le 3 mai 2021, le tribunal prud’homal a alloué à la demanderesse un solde salarial de 24’941 fr. 20, sous déduction des charges sociales, cumulé avec une indemnité de 5’057 fr. 80 nets pour le licenciement abusif. Il a rejeté la demande reconventionnelle.
Le Tribunal cantonal vaudois, plus précisément sa Cour d’appel civile, a confirmé cette décision. L’employeur interjette un recours en matière civile. Il demande au Tribunal fédéral de débouter l’employée de toutes ses prétentions.
Il est admis qu’un contrat de travail a lié les parties, avant que l’employeur le résilie le 13 juin 2018 pour le 30 septembre suivant. Le litige porte, d’une part, sur le différentiel de salaire réclamé par l’employée et, d’autre part, sur le caractère abusif du congé.
L’employeur conteste d’abord devoir un solde salarial de 24’941 fr. 20. Il dénonce une violation des art. 324 et 326 CO.
L’employée s’est plainte de ne pas avoir reçu du travail en suffisance. Elle a établi le salaire moyen (7’914 fr. 30) touché durant les mois où l’entente était encore bonne (septembre à décembre 2017) et a conclu qu’elle aurait dû percevoir 110’800 fr. 20 sur toute la durée du contrat (7’914 fr. 30 x 14 mois). N’ayant recueilli que 85’859 fr. bruts, elle a réclamé le différentiel (24’941 fr. 20).
L’autorité précédente a lu dans les clauses 3.1, 4.1 et 4.2 du contrat (let. A.a supra) la marque claire d’un [contrat de travail] sur appel, aménagé dans le seul intérêt de l’employeur. Un tel système, où l’employeur pouvait déterminer unilatéralement, en fonction de ses propres besoins, la durée du travail et la rétribution de l’employée, était proscrit par les art. 324 al. 1 et 326 CO. L’employeur ne pouvait pas refuser subitement les services du travailleur et le priver de toute rémunération. Il restait débiteur du salaire lorsqu’il ne procurait plus au travailleur, qui était disposé à en prendre, du travail en suffisance. Le motif du refus – économique ou non – importait peu.
En l’occurrence, le motif invoqué n’était pas même vraisemblable; il ne méritait de toute façon aucune protection. La collaboratrice n’avait soi-disant pas la maturité suffisante pour pratiquer sa fonction, défaut qui se serait révélé au moment où elle avait fait intervenir son père dans leur relation professionnelle. Il était pourtant légitime de demander conseil à un juriste, fût-il son propre père. Au demeurant, s’il jugeait sa collaboratrice trop immature, l’employeur aurait dû non seulement renoncer à lui confier de nouveaux patients, mais aussi lui retirer ceux qu’elle suivait déjà, ce qu’il n’avait pas fait. Il avait bien plutôt appliqué une mesure de rétorsion contre une employée qui tentait de faire valoir ses droits. Aussi avait-elle droit à un salaire calculé d’après la moyenne des rémunérations perçues pendant la période où elle recevait du travail en quantité suffisante.
La Cour d’appel a souverainement constaté en fait que l’employeur avait cessé d’attribuer de nouveaux patients à l’employée dès février 2018, ce qu’il ne remet pas en cause, à tout le moins pas de manière conforme aux réquisits légaux. (…) L’analyse juridique développée dans l’arrêt attaqué ne prête pas le flanc à la critique.
L’autorité précédente a dûment exposé la jurisprudence topique concernant le travail sur appel (ATF 125 III 65 consid. 3b; 124 III 249 consid. 2a; arrêt 4A_534/2017 du 27 août 2018 consid. 4.1 et 4.3) et l’a correctement appliquée au cas d’espèce.
N’en déplaise au recourant, elle n’a pas détourné le propos de l’ATF 125 III 65. Il résulte de cet arrêt que l’employeur peut tomber sous le coup de l’art. 324 al. 1 CO (même) lorsque la demeure tient à des motifs économiques (consid. 5 p. 69). Le législateur n’a pas voulu permettre à l’employeur de déterminer unilatéralement, en fonction de ses propres besoins, la durée du travail et la rétribution du travailleur (consid. 5 p. 70). La Cour d’appel n’a pas trahi ces préceptes en concluant que l’employeur devait procurer du travail en quantité suffisante à l’employée ou payer son salaire – que le motif de son refus ait une cause économique ou non. Pour le surplus, l’on se référera à l’arrêt attaqué, qui explique à satisfaction de droit pour quelles raisons les griefs repris dans le cadre du présent recours sont inopérants (cf. art. 109 al. 3 LTF). Concernant la thématique du salaire convenable, le recourant n’explique d’ailleurs pas où résideraient les failles de la motivation proposée par la cour cantonale.
En bref, c’est à tort que l’employeur a cru détenir un pouvoir absolu sur le revenu de l’intimée, en cessant dès février 2018 de lui attribuer de nouveaux patients. Et les juges d’appel n’ont pas outrepassé les limites du droit fédéral en exigeant qu’il verse la différence avec le salaire que l’employée aurait dû toucher en se basant sur la période durant laquelle elle avait reçu suffisamment de patients. La méthode de calcul appliquée n’est pas contestée.
Au chapitre du licenciement abusif, l’employeur dénonce une violation de l’art. 8 CC et de l’art. 336 CO.
La Cour d’appel a retenu un congé abusif pour les raisons suivantes:
Dans un premier temps, l’employeur avait soutenu s’être séparé de sa collaboratrice parce qu’elle ne correspondait plus au poste. Dans son appel, il lui reprochait d’avoir recouru aux conseils de son père, juriste de profession et juge fédéral suppléant, pour faire valoir ses prétentions.
Le fait de prendre conseil dans une matière que l’on ne maîtrise pas – fût-ce auprès de son père – était, au contraire, un signe de maturité. L’employée avait simplement révélé, en toute transparence, qu’elle s’était renseignée sérieusement sur ses droits avant de conclure que la proposition de l’employeur n’était pas conforme et devait être rediscutée. En réalité, le licenciement était un congé-représailles visé par l’art. 336 al. 1 let. d CO.
La règle précitée déclare abusif le congé donné par une partie (ici l’employeur) parce que l’autre partie (en l’occurrence l’employée) fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. On parle à cet égard de congé-représailles.
Pour retenir une telle hypothèse, il faut déterminer le motif réel du congé – opération qui relève du fait. Il importe peu que la prétention existe ou non. Il suffit que celui qui l’invoque puisse de bonne foi penser qu’elle est fondée (ATF 136 III 513 consid. 2.3 et 2.4). La bonne foi est présumée (art. 3 al. 1 CC). Les prétentions émises doivent avoir joué un rôle causal dans la décision de licencier. Déterminer s’il existe un rapport de causalité naturelle est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.6).
Dans le passage résumé ci-dessus, la Cour d’appel a laissé entendre qu’elle voyait dans les prétentions émises par l’employée la cause véritable du congé. S’il devait subsister un léger doute quant au motif retenu, il est définitivement levé à lecture d’un autre chapitre, dans lequel la Cour a clairement interprété le refus de fournir des nouveaux clients comme une « mesure de rétorsion face à une employée qui tent[ait] de faire valoir ses droits ».
[Le congé-représailles est donc confirmé]
Quant au montant de l’indemnité pour licenciement abusif, il n’est pas spécifiquement remis en cause.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_89/2022 du 20 septembre 2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)