
Le litige porte sur la question de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a, d’une part, retenu que l’indemnité forfaitaire annuelle de 18’000 fr. perçue par l’intimé 1 durant les années fiscales 2015 à 2016 à titre de remboursement des frais d’utilisation de son véhicule privé pour des courses professionnelles n’était pas un revenu imposable et, d’autre part, a admis que les frais de transport entre le domicile et le lieu de travail de l’intéressé, à hauteur de 17’954 km annuels, pouvaient être déduits de son revenu imposable pour les années fiscales précitées à titre de frais de déplacement déductibles, la déduction étant toutefois limitée à concurrence de 3’000 fr. pour la période fiscale 2016 s’agissant de l’IFD.
Sur le fond, l’autorité recourante ( = ACI VD) se plaint d’abord de la violation des art. 16 al. 1 et 17 al. 1 LIFD.
Elle reproche en substance au Tribunal cantonal d’avoir considéré qu’elle était liée par le règlement des frais de l’employeur de l’intimé 1 (= le contribuable marié), tel qu’agréé par le fisc genevois, de sorte qu’elle ne pouvait pas vérifier l’adéquation de l’indemnité forfaitaire allouée à l’intéressé en remboursement de ses frais de déplacement professionnels avec les dépenses effectivement encourues par celui-ci. Selon la recourante, le règlement des frais agréé devrait être traité comme un ruling fiscal, en ce que ce dernier ne lie l’autorité fiscale que si l’état de fait qui y est anticipé correspond à celui qui, par la suite, fait l’objet de la taxation.
Selon l’art. 16 al. 1 LIFD, l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. A teneur de l’art. 17 al. 1 LIFD, sont notamment imposables tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (qu’elle soit régie par le droit privé ou par le droit public), y compris les revenus accessoires constituant des avantages appréciables en argent.
En vertu du droit du travail, l’employeur est tenu de rembourser au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail (cf. art. 327a al. 1 CO [RS 220], qui s’applique par analogie aux rapports de travail de droit public). Tel est le cas lorsque l’employé effectue, au nom et sur ordre de son employeur, des trajets avec son véhicule privé entre son lieu de travail et le lieu d’exécution de la mission (trajet d’intervention ou Einsatzweg), mais non pas lorsqu’il effectue des trajets avec son véhicule privé entre son domicile et son lieu de travail (trajet professionnel ou Berufsweg).
Le droit fiscal ne connaît pas de notion autonome de frais. Selon le principe de l’unité de l’ordre juridique, qui revêt une certaine importance en droit fiscal, il faut se référer au droit du travail, qui s’avère être le droit le plus spécifique à cet égard. En droit fiscal également, seuls sont donc considérés comme des frais remboursables ceux qui sont liés à une intervention concrète de l’employé au nom et sur ordre de l’employeur dans le cadre de son activité professionnelle. Il en va ainsi des frais d’utilisation du véhicule pour un « déplacement professionnel » au sens des ch. 49 du Guide du certificat de salaire et 2.4 de la circulaire n° 25 de la Conférence suisse des impôts « Modèle de règlement des remboursements de frais pour les entreprises et les organisations à but non lucratif » du 18 janvier 2008 (ci-après: circulaire n° 25 [remplacée le 13 décembre 2021 par le Règlement-Modèle de règlement des remboursements de frais pour les entreprises et les organisations à but non lucratif), déplacement qui doit être compris comme celui d’un « trajet d’intervention » au sens du droit du travail.
Le remboursement des frais d’intervention par l’employeur ne constitue pas un revenu d’une activité lucrative dépendante, dans la mesure où il indemnise les dépenses effectivement engagées par l’employé dans l’intérêt de son employeur. Il n’est donc pas imposable au sens de l’art. 17 LIFD, car il n’y a pas d’accroissement de fortune nette. Si le remboursement des frais dépasse toutefois les dépenses effectives de l’employé, ce qui peut en particulier se produire lorsqu’il est effectué de manière forfaitaire, alors la partie excédentaire du remboursement doit être considérée comme un revenu accessoire imposable au sens de l’art. 17 al. 1 LIFD.
Tel n’est cependant pas le cas lorsque le remboursement forfaitaire des frais intervient en application d’un règlement des frais agréé par l’autorité fiscale. Dans un tel cas, comme le souligne à juste titre la doctrine, la question de l’adéquation entre les frais forfaitaires perçus et les frais effectivement engagés par l’employé ne se pose pas, car celle-ci a été réglée à l’avance entre l’employeur pour tous ses collaborateurs d’une part et l’autorité fiscale d’autre part. Lors de la taxation de l’employé, l’autorité fiscale ne peut donc pas examiner l’adéquation précitée, mais peut uniquement vérifier si le montant des frais versés correspond au montant des frais forfaitaires prévu par le règlement des frais et indiqué comme tel dans le certificat de salaire de l’intéressé. En d’autres termes, les frais payés sur la base d’un règlement des remboursements de frais agréé, en particulier les frais forfaitaires, doivent être acceptés sans réserve par l’autorité fiscale lors de la taxation individuelle de chaque employé.
Ce qui précède vaut également lorsque l’autorité de taxation n’est pas celle qui a accepté le règlement des frais de l’employeur. L’agrément par l’autorité fiscale du canton du siège de l’employeur est en effet en principe reconnu par tous les cantons et lie ceux-ci; il s’agit là d’un cas d’application du principe de la bonne foi. (…) Il ressort de ce qui précède que l’agrément du règlement des frais par le canton du siège a pour conséquence que tous les autres cantons s’y conforment.
En l’occurrence, il ressort des constatations cantonales dénuées d’arbitraire que le règlement des frais de l’employeur de l’intimé 1 a été agréé par le fisc genevois. Ce dernier, en tant qu’autorité fiscale du canton du siège de l’employeur, était compétent pour délivrer un tel agrément, ce que l’autorité recourante ne remet pas en cause. Dans ces circonstances, cette dernière est, comme on l’a vu, liée par le règlement et ne pouvait, lors de la taxation de l’intéressé, que vérifier la conformité de l’allocation forfaitaire versée avec celle prévue par le règlement. Un contrôle de l’adéquation entre les frais remboursés et les frais effectivement engagés par l’intéressé ne lui était dès lors pas possible. Il s’imposait au demeurant d’autant moins que les règlements des remboursement de frais ont pour but d’uniformiser et de faciliter la déclaration, par l’employeur, des allocations pour frais des employés qui exercent une activité pour son compte. Admettre, dans ces circonstances, que l’autorité de taxation puisse, a posteriori et au cas par cas, vérifier l’adéquation d’un remboursement forfaitaire des frais agréé au préalable par l’autorité fiscale compétente et visant justement à éviter à l’employé d’avoir à démontrer l’effectivité de frais qu’il a engagés dans l’intérêt de son employeur, reviendrait à faire perdre toute utilité audit agrément.
Pour le reste, en ce que l’autorité recourant considère que les règlements de frais agréés ne devraient, à l’instar des rulings fiscaux, avoir des conséquences fiscales que si l’état de fait qui a été envisagé correspond à celui qui est par la suite soumis à taxation, on se limitera à observer que, dès l’instant où il a été constaté, d’une manière qui lie le Tribunal fédéral, que le règlement des frais de l’employeur prévoyait une allocation forfaitaire pour frais de déplacement professionnels de 18’000 fr. et qu’une telle somme a été versée à l’intimé lors des périodes fiscales litigieuses, l’état de fait soumis à taxation correspond à celui décrit dans ledit règlement. Comme indiqué ci-avant, un tel règlement exclut par nature une approche individualisée.
En définitive, dans la mesure où l’indemnité forfaitaire litigieuse a été versée à l’intimé 1 en application d’un règlement des frais agréé par l’autorité fiscale compétente pour ce faire, c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a retenu que celle-ci devait être considérée comme un remboursement des frais d’intervention ne constituant pas un revenu imposable de l’intéressé selon l’art. 17 al. 1 LIFD, quand bien même ce forfait dépasserait-il les frais effectifs de l’intéressé.
Le grief de violation des art. 16 et 17 LIFD doit partant être rejeté.
L’autorité recourante conteste également le bien-fondé, sous l’angle de la LIFD, de la déduction des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail de l’intimé 1 au moyen de son véhicule privé.
Contrairement aux frais d’intervention qui doivent être remboursés par l’employeur, l’employé supporte lui-même ses frais professionnels (Berufskosten), qu’il peut néanmoins ensuite déduire fiscalement de son revenu, pour autant que ceux-ci soient considérés comme nécessaires à l’acquisition du revenu.
Le contribuable ne peut toutefois pas faire valoir la déduction de ses frais professionnels au sens de l’art. 26 LIFD si son employeur prend en charge ceux-ci; dans ce cas de figure, la déduction ne sera admise que si le montant de la prise en charge est inférieur aux frais effectivement encourus.
L’art. 26 al. 1 let. a LIFD régit spécifiquement les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail. Il prévoit que ceux-ci sont déductibles du produit de l’activité lucrative dépendante jusqu’à concurrence de 3’000 fr. Le plafonnement à 3’000 fr. de cette déduction n’existe que depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de l’art. 26 al. 1 let. a LIFD dans sa nouvelle teneur. Cette limitation s’applique ainsi à partir de la période fiscale 2016 s’agissant de l’IFD. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les périodes fiscales antérieures.
L’art. 5 de l’ordonnance sur les frais professionnels complète l’art. 26 al. 1 let. a LIFD et prévoit (dans sa teneur applicable à l’année fiscale 2015; RO 1993 1363) qu’en cas d’utilisation d’un véhicule privé, le contribuable peut déduire, au titre des frais nécessaires à l’acquisition du revenu, les dépenses qu’il aurait eues en utilisant les transports publics (al. 2). S’il n’existe pas de transports publics ou si l’on ne peut raisonnablement exiger du contribuable qu’il les utilise, ce dernier peut déduire les frais d’utilisation d’un véhicule privé d’après les forfaits publiés dans l’appendice de l’ordonnance, la justification de frais professionnels plus élevés étant toutefois réservée, le contribuable devant alors justifier la totalité des dépenses effectives ainsi que leur nécessité sur le plan professionnel (al. 3 en lien avec l’art. 4 de l’ordonnance sur les frais professionnels). Le caractère subsidiaire de la déduction des frais nécessaires d’utilisation d’un véhicule privé a été maintenu lors des modifications à compter du 1er janvier 2016 liées à la limitation à 3’000 fr. de la déduction (RO 2015 861). Pour les années 2015 et 2016, la déduction forfaitaire pour les frais de déplacement avec une voiture privée s’élevait à 0 fr. 70 par kilomètre parcouru (chap. 2 Appendice ordonnance sur les frais professionnels).
En l’espèce, il ressort des faits de l’arrêt attaqué, établis sans arbitraire, que, dans sa décision sur réclamation du 6 janvier 2021, l’autorité recourante a admis comme établi par l’intimé 1 que ce dernier avait effectivement parcouru un nombre de 17’954 km annuels pour des déplacements nécessaires entre son domicile et son lieu de travail au moyen de son véhicule privé, ce qu’elle ne conteste au demeurant pas devant la Cour de céans.
L’autorité recourante soutient toutefois que, dans la mesure où l’intimé 1 n’avait pas démontré avoir effectivement parcouru avec son véhicule privé les kilomètres correspondants à l’allocation forfaitaire de 18’000 fr. qui lui avait été versée en couverture de ses trajets d’intervention, à savoir 25’714 km par an (soit 18’000 : 0.70), il faudrait considérer que l’allocation forfaitaire litigieuse aurait en réalité servi à rembourser les frais de déplacement nécessaires de l’intimé 1 entre son domicile et son lieu de travail. Il s’agirait ainsi de retenir, pour l’année 2015, un remboursement par l’employeur des frais de trajets entre le domicile et son lieu de travail pour un montant arrondi à 12’600 fr. (soit 17’954 x 0.70), respectivement en 2016 pour un montant de 3’000 fr. Les frais précités auraient ainsi été totalement pris en charge par l’employeur, de sorte qu’ils ne seraient pas déductibles selon l’art. 26 al. 1 let. a LIFD, et le solde non utilisé de l’allocation forfaitaire devrait en outre être imposé au titre du revenu.
Une telle argumentation ne saurait être suivie.
Comme on l’a déjà vu, une fois qu’un règlement des frais est agréé, les frais alloués sur la base de celui-ci sont reconnus comme des remboursements de frais imposés par l’exécution du travail, et l’autorité de taxation ne peut que vérifier qu’ils soient conformes audit règlement, une approche individualisée pour chaque contribuable étant exclue. En l’espèce, on est en présence d’un tel règlement, qui se fonde sur une approche forfaitaire de remboursement des frais de déplacement professionnels agréée par l’autorité fiscale compétente. L’autorité recourante ne saurait dès lors « détourner » l’allocation litigieuse pour l’attribuer ensuite à la couverture des frais engagés par l’employé en dehors de ses heures de travail effectif. Dans ces conditions, il n’est pas plus question d’imposer la part « non utilisée » de l’indemnité forfaitaire litigieuse n’ayant, selon la recourante, pas servi à couvrir les frais professionnels de l’intéressé.
Pour le reste, comme on l’a vu, l’autorité recourante ne remet pas en cause que l’intimé 1 a démontré avoir effectué avec son véhicule privé des trajets entre le domicile et son lieu de travail de 17’954 km par an et que ceux-ci pouvaient être tenus pour nécessaires à l’acquisition du revenu au sens de l’art. 26 al. 1 LIFD. Savoir si, au vu de l’ensemble des circonstances, l’intéressé a effectivement et en sus effectué des trajets d’intervention avec son véhicule privé n’a pas à être examiné, compte tenu du système forfaitaire convenu. Ce qui importe est que les trajets entre son domicile et son lieu de travail au moyen de son véhicule privé ont été tenus pour établis par l’autorité recourante, point sur lequel le Tribunal cantonal a justement considéré qu’il ne lui appartenait pas de revenir. Dans ces conditions, c’est à bon droit que les juges précédents ont retenu que ces trajets de l’intimé 1 étaient totalement déductibles de son revenu selon l’art. 26 al. 1 let. a LIFD, respectivement étaient déductibles à concurrence de 3’000 fr. s’agissant de l’IFD pour la période fiscale 2016, compte tenu de la modification de l’art. 26 al. 1 let. a LIFD entrée en vigueur le 1er janvier 2016.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_804/2021 du 14 octobre 2022, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)