Football, sponsoring et distribution dissimulée de bénéfices

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La recourante [= la société contribuable] reproche au Tribunal cantonal d’avoir qualifié l’abandon de créance de 3’725’000 fr. de distribution dissimulée de bénéfice imposable. Elle soutient que ce montant est déductible, car il provient de dépenses de sponsoring du FC V.________.

 Selon l’art. 100 al. 1 de la loi cantonale fribourgeoise du 6 juin 2000 sur les impôts cantonaux directs (LICD; RSF 631.1), le bénéfice net imposable comprend le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent (let. a), ainsi que, notamment, tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l’usage commercial, tels que les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfices et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (let. b ch. 5). 

 Cette disposition cantonale, conforme à la LHID (cf. art. 24 al. 1 LHID), est identique à l’art. 58 al. 1 let. a et b 5e tiret de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédérale direct (LIFD; RS 642.11). Lorsque la réglementation cantonale harmonisée est la même que celle qui prévaut en matière d’impôt fédéral direct, il convient d’adopter une interprétation identique pour les deux impôts, dans l’intérêt de l’harmonisation fiscale verticale.

Il y a distribution dissimulée de bénéfice lorsque 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près; 3) elle n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l’avantage qu’ils accordaient. Il s’agit ainsi d’examiner si la prestation faite par la société aurait été accordée dans la même mesure à un tiers étranger à la société, en d’autres termes si la transaction a respecté le principe de pleine concurrence ( « Drittvergleich « ; « dealing at arm’s length « ). 

 Sont imposables au titre de distributions dissimulées de bénéfice les prélèvements qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l’usage commercial. Sont des charges justifiées par l’usage commercial les dépenses qui, du point de vue de l’économie de l’entreprise, sont en relation immédiate et directe avec le revenu acquis. Tout ce qui, d’un point de vue commercial, peut être considéré de bonne foi comme faisant partie des frais généraux doit être reconnu fiscalement comme justifié par l’usage commercial. Peu importe en revanche que la société ait pu se passer des dépenses en question ou que celles-ci aient été conformes à une gestion rationnelle et orientée vers le profit. 

 Les dépenses de sponsoring peuvent représenter des dépenses justifiées par l’usage commercial. Les dépenses engagées à des fins culturelles et sociales ont un caractère publicitaire; elles visent à soigner les relations publiques de la société mécène et à en donner une image humaniste qui contrebalance partiellement l’aspect matériel de son activité commerciale. Si les moyens utilisés pour le sponsoring sont dans un rapport indirect avec l’obtention d’un chiffre d’affaires ou d’un bénéfice plus important, ils visent néanmoins à asseoir la position économique de la société et sont à ce titre justifiés par l’usage commercial. Le sponsoring repose en principe sur un contrat synallagmatique, dans lequel le sponsor assume essentiellement des obligations de paiement sous forme de prestations en espèces ou en nature, alors que le bénéficiaire du sponsoring participe à l’action de publicité ou de relation publique du sponsor, laquelle peut comprendre des prestations diverses, telles que la mise à disposition d’espaces publicitaires pour la marque ou le nom du sponsor, ou la mise en avant de la marque ou du nom du sponsor lors des événements couverts par les médias. Pour être reconnues comme dépenses déductibles du bénéfice, les contributions ne doivent pas dépasser un montant raisonnable, ce qui s’apprécie en fonction de la taille de l’entreprise et du type et de l’étendue du cercle des destinataires. Ne sont en revanche pas déductibles les contributions de sponsoring qui n’ont aucun rapport avec l’activité commerciale de l’entreprise, mais qui servent uniquement les intérêts privés de l’entrepreneur ou, dans le cas d’une personne morale, de la personne impliquée ou d’une personne qui lui est proche.

 En matière fiscale, les règles générales du fardeau de la preuve ancrées à l’art. 8 CC, destinées à déterminer qui doit supporter les conséquences de l’échec de la preuve ou de l’absence de preuve d’un fait, ont pour effet que l’autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l’assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Ainsi, si les preuves recueillies par l’autorité fiscale apportent suffisamment d’indices révélant l’existence d’éléments imposables, il appartient au contribuable d’établir l’exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération. En matière de distributions dissimulées de bénéfice, cela implique que les autorités fiscales doivent apporter la preuve que la société a fourni une prestation et qu’elle n’a pas obtenu de contre-prestation ou une contre-prestation insuffisante. Si les preuves recueillies par l’autorité fiscale fournissent suffisamment d’indices révélant l’existence d’une telle disproportion, il y a alors présomption de l’existence d’une distribution dissimulée de bénéfice et il appartient alors à la société contribuable d’établir l’exactitude de ses allégations contraires. Si elle ne parvient pas à prouver que sa démarche satisfait à une comparaison avec des tiers, elle doit en supporter les conséquences. 

 Dans le cas d’espèce, il ressort des faits constatés que, dans son bilan, un compte « créance postposée D.________ SA », de 5’510’000 fr. au 31 décembre 2017 a été complètement amorti au 31 décembre 2018. Le Tribunal cantonal a également constaté que la recourante avait procédé à un abandon de créance pour un montant de 3’725’000 fr., qui avait été porté en diminution de sa créance postposée, et que la recourante avait ensuite comptabilisé ce montant de 3’725’000 fr. dans son compte de pertes et profits en tant que charge justifiée par l’usage commercial. L’arrêt attaqué constate par ailleurs qu’il ressort de l’extrait des charges commerciales que ces charges correspondaient en grande partie à des frais de location pour des locaux nécessaires au FC V.________, à des frais de logement et de repas pour des joueurs et des clients, à des frais d’avocat et d’utilisation de l’avion présidentiel. L’arrêt constate aussi que la liste de ces charges mentionne plusieurs avances qui avaient été faites à C.________ pour un montant total de 2’055’000 francs. Comme la recourante a ainsi pris en charge des dépenses qui concernent sa société sœur tout en renonçant à des créances découlant d’avances faites à son administrateur et actionnaire unique, on est en présence d’indices qui plaident en faveur de la non-reconnaissance du caractère commercialement justifié de ces dépenses. 

 La recourante objecte que ces charges sont liées à des dépenses de sponsoring du FC V.________. 

 Elle soutient d’abord que ce sponsoring a contribué à lui conférer une image humaniste auprès du public, qui contrebalance partiellement l’aspect matériel de ses activités immobilières. Toutefois, force est de constater qu’aucun élément constaté dans l’arrêt attaqué ne permet de comprendre quelle aurait été la publicité que la recourante aurait retirée des dépenses engagées. 

 La recourante fait aussi valoir qu’elle a pu conclure des affaires grâce à la notoriété de C.________ et que le montant litigieux doit être considéré comme une dépense de sponsoring pour cette raison. Toutefois, et comme l’ont aussi relevé les juges précédents, cet argument contribue au contraire à démontrer que l’on n’est pas en présence de dépenses de sponsoring, puisque la recourante admet elle-même que ce n’est pas D.________ SA, mais C.________ lui-même, qui a contribué à ce succès commercial. Cet argument tombe donc à faux. 

 La recourante se prévaut enfin de l’accord qu’elle a obtenu du Service cantonal valaisan concernant la déductibilité de ses dépenses de sponsoring du FC V.________. L’existence de cet accord contribuerait à prouver qu’elle a bien opéré des dépenses déductibles. Il lierait les autorités fribourgeoises sous l’angle de la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.) et aurait du reste été « validé et appliqué pour l’impôt anticipé » par l’Administration fédérale. 

Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué que le Service cantonal valaisan a conclu un accord avec la recourante sous le titre « Déductibilité des frais de sponsoring de la société A.________ SA en faveur de la société D.________ SA (FC V.________) « . Conclu le 7 mai 2018 et applicable aux taxations des périodes fiscales 2013 à 2022, il présente la structure du groupe créé par C.________ et prévoit que la recourante peut déduire chaque an, au titre de frais de sponsoring, 7% de son chiffre d’affaires, mais au maximum 6 millions de francs, ou le montant effectif inférieur versé.

L’existence de cet accord n’est toutefois pas propre à démontrer le bien-fondé de la déduction revendiquée. Il en ressort en effet qu’en acceptant cette déduction, le Service cantonal valaisan a admis que la recourante soutienne financièrement sa société sœur sans condition et en particulier sans prévoir de contre-prestation, ce qui ne correspond pas à la notion de sponsoring au sens propre du terme. Au surplus, et quoi qu’en dise la recourante, l’accord ne lie pas les autorités cantonales fribourgeoises, qui n’y ont pas participé.

En définitive, si l’on peut comprendre qu’au vu de l’approbation qu’elle a reçue du Service cantonal valaisan, la recourante se soit sentie légitimée à revendiquer la déduction litigieuse dans sa déclaration d’impôt pour la période fiscale 2018, on ne peut pas pour autant reprocher au Tribunal cantonal fribourgeois de l’avoir refusée, dès lors que les conditions pour admettre la déduction ne sont pas remplies.

Enfin, l’allégation de la recourante, selon laquelle l’Administration fédérale aurait validé et appliqué cet accord valaisan n’est pas un fait constaté dans l’arrêt attaqué et est du reste catégoriquement contesté par l’Administration fédérale dans sa détermination sur le recours.

 Il découle de ce qui précède que la recourante a accordé à sa société sœur et à leur actionnaire commun et administrateur unique, soit à des proches, des avantages appréciables en argent sans contre-prestation, qu’elle n’aurait jamais accordés à des tiers dans les mêmes circonstances. Comme C.________ était l’administrateur unique de la recourante et de sa société soeur, la recourante ne pouvait pas ignorer l’existence de ces avantages. Les conditions de l’existence de distributions dissimulées sont donc remplies. Il s’ensuit que c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a refusé d’admettre le caractère déductible du montant de 3’725’000 fr. et qu’il a jugé que ce montant faisait partie du bénéfice imposable de la recourante. Le grief de la recourante est donc rejeté. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1026/2021  du 21 décembre 2022  consid. 7)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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