Le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).
L’énumération prévue à l’art. 336 CO – qui concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit et en aménage les conséquences juridiques pour le contrat de travail – n’est pas exhaustive et un abus du droit de mettre un terme au contrat de travail peut également se rencontrer dans d’autres situations, qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux cas expressément envisagés à l’art. 336 CO.
Le caractère abusif d’une résiliation peut découler non seulement de ses motifs, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit. Même lorsqu’elle résilie un contrat de manière légitime, la partie doit exercer son droit avec des égards. En particulier, elle ne peut se livrer à un double jeu, contrevenant de manière caractéristique au principe de la bonne foi. Ainsi, une violation grossière du contrat, par exemple une atteinte grave au droit de la personnalité (art. 328 CO) dans le contexte d’une résiliation, peut faire apparaître le congé comme abusif.
L’autorité cantonale a jugé que la résiliation était abusive parce que le motif invoqué en juillet 2004, soit la maladie de l’intimé et l’incapacité de travail en découlant, était la conséquence des agissements fautifs de l’employeur en été 2003.
Pour justifier le licenciement, l’employeur a fait état de l’absence du travailleur pour cause de maladie depuis plus de dix mois, à savoir après l’échéance du délai de protection de 180 jours résultant de l’art. 336c al. 1 let. b CO. En soi, un tel motif n’est pas abusif. Il reste à examiner si la manière dont la recourante a exercé son droit rend le licenciement abusif.
L’employeur a établi un projet de restructuration du journal que l’intimé éditait, sans associer celui-ci à ces travaux. Elle a présenté le projet comme un fait accompli aux autres collaborateurs du journal, à un moment où l’intimé était en vacances. Le projet prévoyait une péjoration manifeste du statut du travailleur, qui était rétrogradé à une fonction de rédacteur à temps partiel; la nouvelle organisation laissait en outre planer l’incertitude sur l’avenir du journaliste.
Lorsque le projet a été soumis par la suite à l’intimé, ce dernier s’est vu impartir un délai de 48 heures pour l’accepter; sa demande d’éclaircissements sur son statut futur est restée sans réponse.
Un tel comportement dénué d’égards, voire hostile de la part de l’employeur, en plus à l’encontre d’un employé qui était à son service depuis 33 ans, est manifestement contraire à l’obligation de l’employeur de respecter et protéger la personnalité du travailleur (art. 328 CO).
Selon les constatations de fait de l’autorité cantonale, si le congé n’a été signifié formellement que le 28 juillet 2004, le processus d’éviction de l’intimé a été mis en oeuvre dès août/septembre 2003, tant les propositions de modification de statut qui avaient été alors faites au journaliste étaient inacceptables et ne semblaient guère avoir d’autre but que de pousser l’employé à la démission. En d’autres termes, l’employeur a d’abord cherché à déstabiliser son collaborateur et à le pousser à la démission en se comportant d’une manière critiquable; l’employé est tombé malade peu après; l’employeur a alors utilisé le fait que le journaliste était absent pendant une longue durée pour lui signifier son licenciement. Le déroulement de ce processus permet de considérer que le comportement critiquable de l’employeur et le licenciement intervenu près d’une année plus tard forment un tout. La violation manifeste de l’obligation de respecter et de protéger la personnalité du travailleur a eu lieu ainsi dans le cadre de la procédure de licenciement. En conclusion, si le motif du congé n’est pas abusif, il n’en demeure pas moins que les circonstances qui ont entouré la résiliation font apparaître celle-ci comme abusive, comme la cour cantonale l’a admis à bon droit.
(ATF 4A_564/2008)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon-les-Bains