Les manifestations du fait religieux sur le lieu de travail prennent deux formes : celles qui correspondent à des demandes et pratiques personnelles (signes, prières, etc. soit ce qui ressort du for intérieur) et celles qui se traduisent par une perturbation et/ou une remise en cause de l’organisation et/ou une violation des règles légales (soit ce qui est du domaine de l’« extérieur »).
Le droit constitutionnel fait, précisément, cette même distinction quand il traite de la liberté religieuse.
La liberté de conscience et de croyance (liberté religieuse), réglée par l’art. 15 de la Constitution fédérale, protège en effet le droit de choisir librement sa religion ainsi que de forger ses convictions philosophiques (aspect intérieur), et de les professer individuellement ou en communauté (aspect extérieur). Concernant ce dernier, l’art. 15 permet à toute personne de vivre selon ses convictions et d’entreprendre les actes qui en résultent (cultes, prosélytisme, prescriptions d’ordre vestimentaire ou alimentaire, etc.)
La protection de l’art. 15 de la Constitution n’est toutefois pas sans limite. Elle en effet concrétisée et limitée par le droit ordinaire, en particulier le droit civil, mais pour ce qui est de ses aspects extérieurs exclusivement. On peut penser aux dispositions sur l’état-civil ou sur l’éducation obligatoire par exemple.
En droit du travail, la question peut se poser notamment sous l’angle du droit de l’employeur de donner des directives.
Selon l’art. 321d al. 1 CO, l’employeur peut établir des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des travailleurs et leur donner des instructions particulières. Le travailleur observe alors selon les règles de la bonne foi les directives générales de l’employeur et les instructions particulières qui lui ont été données (art. 321d al. 2 CO).
La prestation de travail étant souvent décrite de manière sommaire dans le contrat, les directives permettent à l’employeur de détailler et d’adapter les termes de ce qui est attendu du travailleur. Elles pourront porter sur les besoins de l’entreprise, sur la conduite des travailleurs et sur les modalités pratiques de l’exercice de la profession ou du métier. Les directives doivent être en relation immédiate avec l’exécution du travail et ne pas sortir du cadre de ce qui est « usuel » ; elles règleront notamment le comportement attendu des collaborateurs sur le lieu de travail.
Les directives peuvent être individuelles, données oralement lors de l’exécution courante de la prestation de travail. Dans les entreprises d’une certaine taille, il est toutefois courant d’édicter par écrit un Règlement du personnel.
Le droit de l’employeur de donner des directives est toutefois limité, notamment par l’art. 328 CO (protection de la personnalité du travailleur) qui protège (entre autres) les libertés individuelles et la sphère privée de l’employé. L’employeur devra aussi avoir des égards envers les travailleurs et tenir compte, dans la mesure du possible, des contraintes de la vie privée.
Il n’est pas aisé de tracer des limites absolues entre les directives qui violeraient l’art. 328 CO et celles qui seraient admissibles. Il convient dès lors de procéder, dans chaque cas, à une pesée des intérêts en présence, en prenant en compte ceux de l’employeur, bien évidemment, mais aussi la situation de l’employé, ses responsabilités, l’organisation du travail, etc.
Une directive portant sur le « for intérieur », i.e. sur les croyances et opinions des salariés, est évidemment exclue, sous la seule exception des Tendenzbetrieb, et de manière probablement restrictive.
Par contre, il est tout à fait possible de donner des instructions sur l’interdiction du prosélytisme, le port de certains vêtements, le fait de devoir travailler avec tous les collaborateurs sans distinction de sexe ou de religion, etc. Il faudra toutefois à chaque fois que la directive ayant un effet sur la liberté de croyance et de conscience dans son volet « extérieur » soit en rapport avec l’exécution du travail et proportionnée au but poursuivi. La rédaction d’un Règlement du personnel suffisamment explicite sur ces questions s’impose donc.
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon