Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). L’employeur est obligé de payer au travailleur le salaire convenu (art. 322 al. 1 CO).
Le salaire est ainsi déterminé ou à tout le moins déterminable selon des critères exclusivement objectifs, de sorte qu’il ne dépend pas, entièrement ou à tout le moins partiellement, du bon vouloir de l’employeur.
Si l’employeur accorde en sus du salaire une rétribution (gratification) à certaines occasions, telles que la fin de l’exercice annuel, le travailleur n’y a pas droit, en l’absence d’une convention contraire (art. 322d al. 1 CO).
La gratification se distingue du salaire, et en particulier d’un éventuel treizième mois de salaire, en ceci qu’elle dépend au moins partiellement du bon vouloir de l’employeur. Elle se distingue en outre par son caractère accessoire, secondaire vis-à-vis du salaire. Le salaire étant un élément essentiel du contrat de travail, il est contraire à l’esprit de la loi que la gratification, comme rétribution spéciale dépendant du bon vouloir et du pouvoir d’appréciation de l’employeur, représente la contrepartie exclusive ou principale du travail fourni par le travailleur. Celle-ci doit donc rester un élément accessoire.
Le droit suisse ne contient aucune définition du bonus. Il faut donc déterminer au cas par cas s’il s’agit d’une gratification au sens de l’art. 322d CO ou d’un élément du salaire au sens de l’art. 322 CO.
S’agissant des bonus dont la quotité et/ou le principe même du versement dépendent du bon vouloir ou du pouvoir d’appréciation de l’employeur, la jurisprudence opère les distinctions suivantes :
En cas de très hauts revenus, le besoin de protection du travailleur disparaît, de sorte que le bonus reste une pure gratification (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_251/2015, 4A_253/2015 du 6 janvier 2016 consid. 4.2). Est un très haut revenu celui qui est égal ou supérieur au salaire annuel médian suisse dans le secteur privé multiplié par cinq (ATF précité consid. 5.4; arrêt précité consid. 4.2). Est déterminante à cet égard la rémunération totale perçue par le travailleur au cours de l’année précédant celle qui est litigieuse, à savoir le salaire de base et le bonus versé cette année-là sur la base de l’exercice précédent (ATF précité consid. 5.3.1; arrêt précité consid. 4.2 [l’argument, trop tranché, paraît ici contestable : la période de référence a parfois été élargie par la jurisprudence ; cf. Philippe Ehrenström, Bonus et très hauts revenus: une appréciation critique de la jurisprudence récente, in: Jusletter 10 octobre 2016]).
Selon l’Office fédéral de la statistique, le salaire mensuel brut médian était de 6’118 fr. en 2012 (cf. sur le site http://www.bfs.admin.ch). Le salaire annuel médian était donc de 73’416 fr. en 2012 (6’118 fr. x 12. En multipliant ce montant par cinq, l’on obtient le seuil pour la qualification de très haut revenu, soit 367’080 fr. (73’416 fr. x 5) en 2012.
Si la rémunération totale déterminante est inférieure au seuil précité, alors le travailleur a droit au versement du bonus, considéré comme une partie variable de son salaire promis par l’employeur, lorsque ceci résulte soit directement du contrat de travail, soit d’une convention (annexe) conclue entre les parties par actes concluants.
La jurisprudence admet un tel accord conclu par actes concluants lorsque l’employeur a versé un bonus régulièrement, sans réserve et de façon ininterrompue, pendant au moins trois ans (arrêt du Tribunal fédéral 4D_98/2012 du 20 mars 2012 consid. 2.4 avec références).
Qui plus est, même si l’employeur a expressément réservé le caractère facultatif du bonus, un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit, par exception, être requalifié comme un véritable salaire variable (ATF 141 III 407 consid. 4.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_251/2015, 4A_253/2015 du 6 janvier 2016 consid. 4.2). En effet, la gratification (art. 322d CO) doit rester accessoire par rapport au salaire au sens de l’art. 322 CO, de sorte qu’elle ne peut qu’avoir une importance secondaire dans la rétribution du travailleur (ATF précité consid. 4.3.1). Le critère de l’accessoriété s’applique alors et, sur cette base, une requalification partielle ou totale du bonus doit intervenir (nullité partielle; ATF précité consid. 5.3.1).
Par ailleurs, la réserve du caractère facultatif de la gratification, formulée par l’employeur, n’a aucune portée si elle n’est qu’une formule vide et si l’employeur montre, par son comportement, qu’il se sent tenu de verser une gratification, par exemple s’il l’a versée pendant au moins dix ans sans interruption, alors qu’il aurait eu une raison, durant cette période, de ne pas verser la gratification, par exemple en cas de mauvaise marche des affaires ou d’un faible rendement de l’employé (ATF 129 III 276 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_26/2012 du 15 mai 2012 consid. 5.2.1).
En l’espèce, il est constant que l’employé a perçu, au cours de son emploi, un salaire fixe annuel entre 130’000 et 145’000 fr., et des rémunérations variables en entre 21’150 fr. et 43’000 fr, durant cinq années de suite, dont le versement était assorti de réserves.
Cette rémunération globale ne relève pas de la catégorie des hauts revenus. La proportion entre le salaire fixe et le revenu variable a diminué au fil des années, passant de 30% environ à 15% environ, de sorte que le critère de l’accessoriété est réalisé. La quotité du montant versé dépendait de facteurs non objectivement déterminables.
L’employeur a certes versé des bonus régulièrement, soit de façon ininterrompue, pendant cinq ans. Toutefois, dans chaque avis de bonus destiné à l’appelant figurait une réserve expresse au sujet du caractère purement discrétionnaire de cette prestation. Ce caractère ressortait aussi expressément du règlement du personnel, du contrat de travail passé entre les parties et de la pratique au sein de l’établissement. Ainsi, l’appelant ne pouvait pas en déduire la conclusion d’une convention, en vertu de laquelle l’intimée se serait tacitement engagée à lui payer chaque année un bonus, en sus de son salaire de base.
Par conséquent, l’intimé n’a pas de droit au versement d’un bonus.
(CAPH/214/2016)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon