Il s’agit exclusivement ici de déterminer le dies a quo de la période de grossesse, en tant que période de protection contre les congés prévue à l’art. 336c al. 1 let. c CO (en lien avec l’art. 336c al. 2 2 e phr. CO). Les défenderesses (employeuses) considèrent que cette période débute au moment de l’implantation de l’ovule fécondé dans l’utérus, alors que la demanderesse (travailleuse) soutient qu’elle correspond au jour où l’ovule est fécondé.
Il s’agit en l’espèce de trancher le litige exclusivement dans la perspective d’une fécondation naturelle. La question du point de départ d’une grossesse induite par une fécondation in vitro (cf. art. 2 let. c de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assistée [LPMA]; RS 810.11) peut rester ouverte pour le Tribunal fédéral.
Il résulte de l’art. 336c al. 1 let. c CO que l’employeur ne peut pas, après le temps d’essai, résilier le contrat pendant la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l’accouchement.
Cette disposition ne contient aucune indication sur le début de la période de grossesse. Dans le Message, le législateur l’a désigné en faisant référence à la conception de l’enfant (ou, autrement dit, à la fécondation de l’ovule), le Conseil fédéral précisant qu’il n’y a pas de » certitude immédiate sur le moment de la conception » (Message du 9 mai 1984 concernant l’initiative populaire » pour la protection des travailleurs […] et la révision des dispositions sur la résiliation du contrat de travail […], FF 1984 II 574 ch. 620.9 p. 630). Cette incertitude ne concerne toutefois que la détermination du moment précis de la conception et on ne saurait en tirer un quelconque argument pour remettre en question le critère de la conception (fécondation) auquel se réfère expressément le législateur.
La doctrine unanime reconnaît que le début de la grossesse coïncide avec la fécondation.
Il est à noter que la notion de grossesse (en particulier son point de départ) contenue à l’art. 336c al. 1 let. c CO revêt un sens différent de celle utilisée dans le Code pénal (art. 118 à 120 CP). Pour le droit pénal, la grossesse débute non pas au moment de la fécondation, mais lors de l’implantation de l’ovule fécondé dans l’utérus (ou nidation). En matière pénale, l’interprétation donnée à la notion de grossesse (et en particulier à son point de départ) a pour but de ne pas soumettre au champ d’application des art. 118 ss CP les méthodes contraceptives faisant obstacle à la nidation de l’ovule fécondé.
C’est ainsi à juste titre que la cour cantonale a considéré que, dans un cas d’application de l’art. 336c al. 1 let. c CO, la grossesse débutait au moment de la fécondation de l’ovule (conception de l’enfant) et non, comme pour l’infraction pénale réprimée à l’art. 118 CP, au moment de l’implantation.
Les arguments des recourantes, qui visent à rattacher le début de la grossesse au moment de l’implantation, n’infirment pas cette interprétation.
Le Conseil fédéral a explicitement fait référence à la conception (ou fécondation). Dans le message adressé au Parlement, il n’avait alors aucune raison de fournir des éclaircissements supplémentaires sur les étapes postérieures (comme celle de l’implantation).
Les recourantes insistent sur un passage d’une expertise judiciaire dans lequel son auteur signale que ce n’est qu’une fois que l’oeuf fécondé s’est implanté dans l’utérus » qu’une femme peut être considérée comme enceinte et qu’un test de grossesse peut être positif « . Elles estiment que l’expert a ainsi, avec » une clarté aveuglante « , défini le début de la grossesse et que » le bon sens et la sécurité juridique commandent de faire correspondre la date du début d’une grossesse au sens de l’art. 336c al. 1 let. c CO avec celle retenue par la médecine « .
Cet argument, basé sur cette unique affirmation de l’expert judiciaire, ne convainc pas.
Contrairement à ce que prétendent les recourantes, il n’est pas clairement établi que le corps médical attribuerait à la notion de grossesse un sens différent de celui donné par le législateur à l’art. 336c al. 1 let. c CO. L’avis de l’expert judiciaire ne permet pas de l’affirmer puisqu’il est ambigu à cet égard. S’il fait référence à l’implantation dans l’utérus, il laisse également entendre que le corps médical fixe le point de départ au moment de la fécondation, notamment pour calculer le terme de la grossesse.
Il n’est quoi qu’il en soit pas nécessaire, ni même souhaitable, de faire correspondre le début de la grossesse dans les différents domaines (médecine, droit civil et droit pénal) évoqués dans la présente affaire, vu les contextes différents dans lesquels la notion de grossesse s’inscrit:
– Pour la médecine, il importe, d’une part, d’établir scientifiquement l’existence d’une grossesse (ce qui, selon les constatations cantonales, ne peut être fait qu’à partir de l’implantation, date à laquelle il est possible de détecter une hormone spécifique dans l’urine ou le sang de la femme enceinte) et, d’autre part (dans la perspective d’établir le déroulement de la grossesse), d’en fixer le terme en partant de la fécondation (en moyenne le 14e jour à partir des dernières règles [calcul en semaines de grossesse]) ou du premier jour des dernières règles (calcul en semaines d’aménorrhée).
– Pour l’art. 336c al. 1 let. c CO, il ne s’agissait pas pour le législateur de reprendre le moment auquel il était possible, d’un point de vue scientifique, d’établir l’état de grossesse, mais bien de désigner le début de la période de protection au moyen d’un critère reconnaissable pour les destinataires concernés. Le législateur a alors fixé le début de la protection au moment de la fécondation, ce rattachement (comme celui, intimement lié, basé sur l’aménorrhée) étant notoirement utilisé dans la pratique des médecins, en particulier en vue de communiquer à la femme enceinte (en faveur de laquelle le législateur a rédigé la disposition légale) le terme (projeté) de son accouchement.
– Pour le droit pénal, le critère de l’implantation a été retenu, afin de permettre la sanction de l’interruption de grossesse (au sens de l’art. 118 CP) tout en excluant de la portée de cette infraction les méthodes de contraception alors connues.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2016 du 26 janvier 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon