Pour apprécier un « bonus » contractuel et son caractère dû (salaire) ou non (gratification), il faut raisonner en cinq étapes :
Etape no 1 :
Le montant du bonus est déterminé ou objectivement déterminable, il doit alors être considéré comme un élément du salaire (variable), que l’employeur est tenu de verser à l’employé (art. 322 s. CO).
En revanche, lorsque le bonus est indéterminé ou objectivement indéterminable, c’est-à-dire que son versement et sa quotité dépendent du bon vouloir de l’employeur, il doit être qualifié de gratification. Si tel est le cas, deux cas de figure peuvent alors se présenter: les parties ont réservé seulement le montant du bonus (Etape no 2) ou, au contraire, le principe et le montant du bonus (Etape no 3)
Etape no 2 :
Si, par contrat, les parties sont tombées d’accord sur le principe du versement d’un bonus et n’en ont réservé que le montant, il s’agit d’une gratification que l’employeur est tenu de verser (Anspruch auf die Gratifikation), mais il jouit d’une certaine liberté dans la fixation du montant.
De même, lorsqu’au cours des rapports contractuels, un bonus a été versé régulièrement sans réserve de son caractère facultatif pendant au moins trois années consécutives, il est admis qu’ il s’agisse d’une gratification à laquelle l’employé a droit (Anspruch auf die Gratifikation), l’employeur jouissant d’une certaine liberté dans la fixation de son montant au cas où les montants étaient variables.
Dans les deux situations, encore faut-il que l’employé établisse que les parties sont convenues du versement d’un bonus en dépit de la résiliation des rapports de travail (art. 322d al. 2 CO).
Etape no 3 :
Si, par contrat, les parties ont réservé tant le principe que le montant du bonus, il s’agit d’une gratification facultative: le bonus n’est pas convenu et l’employé n’y a pas droit, sous réserve de l’exception découlant de la nature de la gratification (principe de l’accessoriété).
De même, il a été admis par exception que, en dépit de la réserve (sur le principe et sur le montant), un engagement tacite peut se déduire du paiement répété de la gratification pendant des décennies (jahrzehntelang), lorsque l’employeur n’a jamais fait usage de la réserve émise, alors même qu’il aurait eu des motifs de l’invoquer: il s’agit alors d’une gratification à laquelle l’employé a droit.
Il en va de même lorsque la réserve du caractère facultatif n’est qu’une formule vide de sens (c’est-à-dire une clause de style sans portée) et qu’en vertu du principe de la confiance, il y a lieu d’admettre que l’employeur montre par son comportement qu’il se sent obligé de verser un bonus.
Etape no 4 :
Lorsque l’employeur a réservé le caractère facultatif du bonus, dans son principe et dans son montant, et que l’employé n’a donc pas un droit contractuel au versement du bonus (qui est une gratification), il faut encore examiner si le bonus a un caractère accessoire par rapport au salaire de base.
Le critère de l’accessoriété, en vertu duquel le bonus peut être requalifié en salaire, ne s’applique toutefois que pour les salaires modestes et les salaires moyens et supérieurs.
Etape no 5 :
Pour les très hauts revenus, il n’y a pas de besoin de protection du travailleur qui justifierait une requalification du bonus ou d’une part du bonus en salaire en vertu du principe de l’accessoriété. Le bonus est donc toujours une gratification facultative à laquelle l’employé n’a pas droit. Le Tribunal fédéral a fixé le seuil du très haut revenu à un montant équivalent à cinq fois (5x) le salaire médian suisse (secteur privé). Il faut tenir compte de la rémunération totale perçue par l’employé de la part de son employeur durant l’année litigieuse.
Pour les salaires modestes et les salaires moyens et supérieurs, qui sont donc les salaires en-dessous du seuil du très haut revenu fixé à cinq fois (5x) le salaire médian suisse, le bonus versé avec la réserve de son caractère facultatif quant à son principe et quant à son montant, peut devoir être requalifié en salaire dans certaines circonstances.
Pour des salaires moyens et supérieurs, un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, perd son caractère accessoire et doit être requalifié en salaire, alors que, pour des salaires modestes, un bonus proportionnellement moins élevé peut déjà devoir être requalifié en salaire.
Le salaire modeste correspond à une fois (1x) le salaire médian suisse (secteur privé). Les salaires moyens et supérieurs sont les salaires situés entre le seuil du » salaire modeste » (plus d’une fois le salaire médian) et le seuil du » très haut revenu » (moins de cinq fois le salaire médian).
(Tiré de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_714/2016 du 29 août 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève et Yverdon