A. a travaillé au service de la Confédération suisse en tant qu’assistante pour l’armée, à un taux d’occupation variable, à partir du 24 août 2004. Elle n’a pas été annoncée par son employeur à la Caisse fédérale de pensions (PUBLICA; ci-après: Publica), auprès de laquelle la Confédération suisse est affiliée pour la prévoyance professionnelle; aucune cotisation n’a été retenue sur le salaire, ni versée à Publica.
A la suite d’une intervention de A. auprès de Publica, en mars 2011, pour lui demander des explications sur l’absence d’affiliation, Publica l’a admise comme assurée à partir du 1er janvier 2012. La part de cotisations de l’employée a dès lors été déduite du salaire de A.
Par courrier du 12 juillet 2012, la Confédération suisse, agissant par le Groupement Défense, Etat-Major de conduite de l’armée, a requis de la prénommée le versement d’un montant de 11’183 fr. 55 à titre de cotisations de l’employé destinées à Publica. Au cours d’un échange de correspondances, A. a refusé de payer le montant réclamé, en invoquant notamment la tardiveté de la requête (courrier du 13 septembre 2012).
Par écriture du 7 mars 2014, la Confédération suisse a ouvert action contre A. auprès de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Elle a conclu à ce que son employée soit tenue de lui verser le montant de 11’183 fr. 55 avec intérêts de 5 % dès le 16 août 2012.
Après avoir requis des renseignements complémentaires de la Confédération suisse, dont il ressortait qu’elle avait versé à Publica lemontant réclamé à son employée en novembre 2012, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois a rejeté la demande dans la mesure où elle était recevable, par jugement du 12 août 2015. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Confédération suisse demande au Tribunal fédéral d’annuler le jugement cantonal et de condamner A. à lui verser le montant de 11’183 fr. 55 avec intérêts de 5 % dès le 16 août 2012.
Le litige porte sur le droit de la recourante (= l’employeur) d’obtenir de l’intimée ( = l’employée) le remboursement de la part des cotisations de la prévoyance professionnelle que les dispositions réglementaires de l’institution de prévoyance mettent à la charge du salarié (« cotisations du salarié »), pour la période d’affiliation du 1er septembre 2004 au 31 décembre 2011. Cette contestation oppose la recourante à son employée à propos d’une créance relative à l’obligation de l’employeur de déduire la part des cotisations afférentes au salarié du salaire de celui-ci et de la verser à l’institution de prévoyance (art. 66 al. 2 et 3 LPP).
En instance fédérale, il est constant, et n’est pas remis en cause par les parties, que des contributions de la prévoyance professionnelle étaient dues pour l’activité exercée par l’intimée auprès de la recourante pendant la période du 24 août 2004 au 31 décembre 2011, et que la recourante a versé à Publica le montant de 11’183 fr. 55 correspondant à la part des cotisations à la charge du salarié pour ladite période. Est en revanche litigieux le point de savoir quel est le fondement légal de la prescription de la créance de la recourante et, partant, de sa prétention.
Se référant à la jurisprudence (ATF 128 V 224), la juridiction cantonale a considéré que la prescription de l’action en restitution des cotisations dont elle était saisie était régie par l’art. 67 al. 1 CO, aux termes duquel l’action pour cause d’enrichissement illégitime se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de répétition, et, dans tous les cas, par dix ans dès la naissance de ce droit. De l’avis du premier juge, la recourante avait eu connaissance de tous les éléments nécessaires pour faire valoir son droit au remboursement au milieu de l’année 2012 lorsqu’elle s’était adressée à l’intimée par courrier du 12 juillet de cette année pour lui demander le versement du montant en cause, voire au plus tard le 7 septembre suivant quand elle avait transmis les calculs effectués par Publica à son employée. Ainsi, le délai de prescription était-il arrivé à terme au plus tard au début du mois de septembre 2013, de sorte que l’action introduite par la recourante en mars 2014 était tardive, faute d’actes interruptifs effectués dans l’intervalle.
Faisant valoir une violation du droit fédéral, la recourante reproche au premier juge de n’avoir pas appliqué l’art. 41 al. 2 première phrase LPP. Selon elle, l’intention du législateur était de soumettre toutes les prétentions résultant de la LPP aux délais de prescription de cinq ans respectivement dix ans. Il n’y aurait pas de raison de privilégier l’employé en lui permettant de bénéficier d’un délai de prescription d’un an quant aux prétentions formulées à son encontre, alors que l’employeur serait tenu de se voir opposer un délai de cinq ans.
De son côté, l’intimée soutient que c’est l’employeur qui est responsable du paiement des cotisations à l’égard de l’institution de prévoyance et que l’art. 41 al. 2 LPP vise exclusivement les rapports juridiques entre l’employeur et la caisse de pensions et non les rapports entre le premier et ses employés.
Conformément à l’art. 66 LPP, quel que soit le mode de répartition des cotisations entre employeurs et salariés, l’institution de prévoyance ne connaît pour tout débiteur que l’employeur. En conséquence, l’institution de prévoyance n’a pas la possibilité de réclamer directement au salarié la part de cotisations qui est à sa charge.
En revanche, dès lors que l’employeur est aussi débiteur de cette part à l’égard de l’institution de prévoyance, il a le droit et l’obligation de déduire la part de cotisations à charge du salarié du salaire de celui-ci (art. 66 al. 3 LPP). Par ailleurs, toujours au regard du fait que seul l’employeur est débiteur des cotisations en faveur de l’institution de prévoyance, le législateur a prévu, à titre de compensation, une exception à l’interdiction générale de compensation à l’art. 39 al. 2 LPP, selon laquelle le droit aux prestations ne peut être compensé avec des créances cédées par l’employeur à l’institution de prévoyance que si ces créances ont pour objet des cotisations non déduites du salaire.
L’art. 66 LPP a pour but de fixer le principe de la parité des cotisations (al. 1), ainsi que les modalités d’exécution du paiement des cotisations à l’institution de prévoyance (al. 2-4). Il règle avant tout l’obligation de cotisations à l’égard de l’institution de prévoyance, mais il prévoit aussi l’obligation de l’employeur de déduire la part des cotisations à la charge du salarié du salaire de celui-ci (al. 3). Il s’agit donc d’une norme qui relève matériellement du droit du travail, respectivement des rapports de travail de droit public. L’autorisation – droit et obligation – de l’employeur de déduire la part correspondante des cotisations du salaire (et de la verser à l’institution de prévoyance) découle directement de la loi, même si seul le règlement de prévoyance – auquel renvoie le contrat de travail de droit public, par lequel l’employeur s’est engagé à affilier le salarié pour la prévoyance professionnelle – et le contrat d’affiliation liant l’employeur à l’institution de prévoyance (ici, la Confédération suisse à Publica, cf. art. 32c al. 1 LPers) permettent de définir l’étendue de la déduction, ainsi que le destinataire des cotisations.
Compte tenu de cette autorisation légale, qui justifie le prélèvement par l’employeur des cotisations du salarié sur le salaire de celui-ci, il y a lieu d’admettre que la prétention de l’employeur de réclamer au salarié des cotisations qu’il a manqué, pour une raison ou une autre, de soustraire des revenus de l’employé est directement fondée sur l’art. 66 al. 3 LPP. Le fait que l’étendue de cette prétention doit être précisée en fonction des dispositions du contrat de travail de droit public, du RPEC et du contrat d’affiliation n’y change rien.
Il reste à examiner à quel délai de prescription est soumise la prétention en cause.
Sous le titre « Prescription des droits et conservation des pièces » au chapitre 6 sur les dispositions communes s’appliquant aux prestations, l’art. 41 al. 2 LPP (dans sa teneur en vigueur à partir du 1er janvier 2005, correspondant à l’ancien art. 41 al. 1 LPP, applicable jusqu’au 31 décembre 2004) prévoit que les actions en recouvrement de créances se prescrivent par cinq ans quand elles portent sur des cotisations ou des prestations périodiques, par dix ans dans les autres cas. Les art. 129 à 142 du Code des obligations sont applicables. Depuis l’entrée en vigueur de la première révision de la LPP, au 1er janvier 2005, l’art. 41 LPP s’applique à l’ensemble de la prévoyance (art. 49 al. 2 ch. 6 LPP, art. 89a al. 6 ch. 5 CC).
Dans le contexte déterminant en l’espèce, l’art. 41 al. 2 LPP règle la prescription des « actions en recouvrement de créances […] port[a]nt sur des cotisations […] périodiques » (« Forderungen auf periodische Beiträge », « I crediti che riguardano contributi […] ») et en fixe le délai à cinq ans. Selon le message cité (FF 1976 I 219 ch. 521.6), les délais de prescription de dix et cinq ans correspondent à ceux des art. 127 et 128 CO. Les autres dispositions du droit des obligations en matière de prescription sont, elles aussi, applicables (art. 129 s. CO). Cette réglementation est impérative et concerne toutes les créances fondées sur la LPP, donc également les rapports juridiques avec des institutions de droit public.
L’art. 41 al. 2 LPP a pour objet les cotisations périodiques (versement, arriérés de cotisations et libération de l’obligation de cotiser) dans le rapport entre l’institution de prévoyance et le débiteur des cotisations. Ainsi, les créances pour les cotisations de l’employeur non déduites et dues à l’institution de prévoyance sont soumises au délai de prescription de l’art. 41 al. 2 LPP – et non aux art. 62 ss CO.
La prétention de l’employeur ici en cause a son fondement direct dans la LPP et porte sur la part du salaire que celui-ci aurait dû retenir à titre de cotisations périodiques afférentes au salarié; dans cette mesure, elle a trait à des « cotisations périodiques ». Dès lors, et au regard de la teneur de l’art. 41 al. 2 LPP qui ne limite pas d’emblée son application aux rapports juridiques entre l’institution de prestation et l’employeur, seul débiteur à son égard des cotisations périodiques, il se justifie de soumettre la prétention en cause au délai de prescription de l’art. 41 al. 2 LPP. Cette solution exclut l’application de l’art. 67 al. 1 CO. Elle permet aussi de ne pas placer l’employeur dans une situation plus défavorable, sous l’angle du délai de prescription, que l’institution de prévoyance, dont la créance en cotisations est soumise au délai de cinq ans de l’art. 41 al. 2 LPP.
Dans la mesure où un raisonnement différent pourrait se déduire de l’ ATF 128 V 224 consid. 3c p. 229, selon lequel la prétention de l’employeur à la restitution par le salarié de la part des cotisations non retenues sur son salaire doit être examinée selon les règles usuelles sur la répétition (soit l’art. 62 CO), cette jurisprudence, qui ne repose pas sur un examen de l’art. 66 al. 3 et de l’ancien art. 41 al. 1 LPP, ne peut pas être suivie. L’application au cas d’espèce de l’art. 41 al. 2 LPP procède d’une meilleure compréhension des règles pertinentes de la prévoyance professionnelle.
En ce qui concerne l’application de l’art. 41 al. 2 LPP à la prétention de la recourante, il convient de rappeler que l’exigibilité des créances de cotisations relatives à un salarié particulier qui n’avait pas été annoncé à l’institution de prévoyance – alors que des rapports d’affiliation existaient au préalable – correspond en principe à la date d’échéance des cotisations relatives aux rapports de travail soumis à cotisations, et non pas à la date de la constitution effective des rapports contractuels d’assurance – sous réserve d’une violation inexcusable de son devoir d’annoncer par l’employeur, dont il n’est pas question en l’occurrence.
Selon la jurisprudence, le délai de prescription de cinq ans débute, pour chacune des prestations périodiques, à la fin du mois pour lequel elle aurait dû être versée, à moins que le règlement de prévoyance ne prévoie un autre mode de paiement, par exemple tous les deux mois, par trimestre, etc.
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Yverdon