Provisions et commissions : calcul du droit au salaire pendant les vacances

A teneur de l’art. 329d al. 1 CO, l’employeur verse au travailleur le salaire total afférent aux vacances et une indemnité équitable en compensation du salaire en nature.

La jurisprudence en a déduit que le travailleur ne doit pas être traité différemment, du point de vue salarial, selon qu’il travaille ou qu’il est en vacances (ATF 129 III 493 consid. 3.1; 136 III 283 consid. 2.3.5 p. 287). Par cette formule, le Tribunal fédéral voulait signifier que le travailleur ne doit pas être exposé à une baisse ou une suppression de ses revenus pendant les vacances, ce qui pourrait l’inciter à continuer de travailler et compromettre ainsi le but des vacances, qui est de pouvoir bénéficier d’un repos effectif. Autrement dit, le travailleur doit continuer à recevoir son salaire usuel. Cela ne signifie pas que le travailleur aurait droit à un salaire supplémentaire équivalant à un accroissement de revenu – ce que ne recherche précisément pas l’art. 329d al. 1 CO. Le travailleur a le droit au versement d’un salaire pendant qu’il ne travaille pas, pour que le repos soit effectif; il ne s’agit pas d’un salaire gagné malgré le fait qu’il ne travaille pas.

Lorsque le travailleur est payé à la provision ou à la commission, il doit aussi toucher un salaire pendant ses vacances. La jurisprudence distingue deux méthodes de calcul: la première, dite du calcul forfaitaire, prend comme critère le revenu effectivement réalisé durant une certaine période de travail et consiste à verser au salarié le pourcentage de ce revenu correspondant à une indemnité de vacances. Cette proportion est de 8,33% pour quatre semaines de vacances par an. La seconde, dénommée méthode de calcul individuelle, fait en sorte que le salarié touche l’équivalent des commissions qu’il aurait effectivement perçues s’il avait travaillé. Il faut en principe opter pour la première méthode, sauf si les circonstances d’espèce laissent apparaître clairement qu’elle ne permet pas d’établir un salaire afférent aux vacances correspondant à la réalité; en ce cas, il faut préférer la méthode individuelle (ATF 129 III 664 consid. 7.3 p. 674).

Dans des situations exceptionnelles, l’employeur sera dispensé de verser un salaire afférent aux vacances. La première exception vise le cas où la perte de commissions inhérente à la période de vacances peut être compensée par un groupement des commandes ou des contrats avant ou après les vacances du salarié. On peut citer l’exemple du voyageur de commerce chargé de vendre des eaux minérales à des restaurateurs, lesquels augmentent leur stock avant son départ en vacances, ou le reconstituent à son retour de vacances – auquel cas l’employeur pourrait être tenu de faire une avance au voyageur de commerce. La deuxième exception concerne la situation où le contrat prévoit une commission calculée sur toutes les affaires de l’année, et où l’employeur verse chaque mois des acomptes, sous réserve d’un décompte final à la fin de l’exercice.

En 2015, le Tribunal fédéral a été saisi d’une affaire dans laquelle un courtier immobilier prétendait à une rémunération représentant la contrepartie du travail qu’il aurait pu réaliser pendant ses vacances. IL a précisé que l’art. 329d al. 1 CO n’entendait précisément pas accorder dans cette hypothèse un montant supplémentaire à l’employé. Celui-ci n’avait pas le droit à une part proportionnelle des commissions qu’il aurait gagnées pendant les vacances et qui viendrait augmenter son salaire annuel. En l’occurrence, les commissions – conséquentes – que le courtier touchait régulièrement sur ses affaires personnelles lui étaient versées tout au long de l’année, de sorte qu’il n’était pas réduit à vivre pendant ses vacances sur son seul salaire de base. Sa rémunération lui était versée indépendamment des périodes durant lesquelles il prenait ses vacances. Durant celles-ci, il n’était pas placé dans une situation moins avantageuse que s’il avait travaillé. Il importait peu que la rémunération variât de mois en mois; en effet, cette variation n’était pas causée par la prise de vacances de l’employé, mais s’expliquait simplement par le fait que le salaire du courtier ne dépend pas de l’étendue de l’activité déployée, mais de ses succès (arrêt du Tribunal fédéral 4A_285/2015 let. A.b et consid. 3.3.2).

La recourante plaide que dans le cas présent, verser la part variable du salaire afférent aux vacances reviendrait à accroître le revenu de l’employée. Elle concède ne pas avoir introduit un système de commissions calculées à l’année avec versement d’acomptes mensuels, mais plaide que la situation serait identique à la jurisprudence de 2015 relative au courtier, dont elle cite de larges extraits.

En l’occurrence, l’autorité précédente a constaté que les commissions n’étaient pas versées tout au long de l’année, mais variaient chaque mois en fonction du nombre de contrats validés ou de cartes-clients vendues. L’employée était placée, durant les périodes de vacances, dans une situation moins avantageuse que si elle avait travaillé. On ne pouvait affirmer que le calcul du salaire afférent aux vacances selon la méthode forfaitaire ne correspondait à l’évidence pas à ce que l’employeuse aurait dû concrètement allouer.

La recourante ne s’attache pas à démontrer où résiderait l’arbitraire dans ces constatations de fait, en particulier quant à la situation moins avantageuse de l’employée pendant les vacances. Outre qu’elle ne dénonce nullement un arbitraire au sens de l’art. 9 Cst., la recourante se contente d’affirmer de façon purement appellatoire que l’autorité précédente méconnaîtrait la réalité du tableau produit sous pièce 12, et qu’il n’y aurait aucune corrélation entre le nombre de jours de vacances et le nombre de contrats conclus. Le parallèle qu’elle tente d’établir avec l’affaire du courtier immobilier est vain. Si l’on peut concéder que le salaire variable de l’employée dépendait de la conclusion de contrats, cela ne signifie pas encore (à défaut de plus amples renseignements) que la prise de vacances n’ait eu aucune influence sur la variation des commissions, à l’instar de ce qui avait été constaté dans l’affaire du courtier immobilier. A cela s’ajoute que celui-ci réalisait des revenus annuels compris entre 254’000 fr. et 501’000 fr. et percevait de manière régulière des commissions conséquentes; pour une année donnée, il avait par exemple perçu des salaires mensuels bruts (salaire de base de 4’000 fr. plus commissions) compris entre 12’500 fr. et 74’000 fr. Cette situation est sans comparaison possible avec l’intimée qui, en sa qualité de représentante commerciale, touchait un salaire moyen de 3’101 fr. 65, part variable comprise. Ces différences sont de nature à modifier considérablement la donne, par rapport à la question d’une diminution de revenus pendant les vacances.

Quant au calcul lui-même (8,33% de 18’232 fr., pour la période s’étendant de mars 2014 à juillet 2015), il n’est pas remis en cause.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_225/2018 du 6 juin 2019 consid. 5)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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