Coronavirus et droit du travail (VIII) : employé absent sans motif – abandon de poste ?

Sniffin dogs

[Dans la mesure où nous recevons beaucoup de questions de clients sur l’état de fait exceptionnel entraîné par la présente épidémie de Covid-19, il nous a paru utile de partager quelques éléments de réponse. Il va sans dire que ces considérations ne remplacent pas une analyse au cas par cas, et ne sauraient constituer un avis de droit susceptible d’engager la responsabilité de leur auteur.]

Un de mes employés ne s’est pas présenté, sans justifier d’incapacité de travail, en invoquant le coronavirus ; s’agit-il d’un abandon de poste ?

L’art. 337d al. 1 CO prévoit que, lorsque le travailleur n’entre pas en service ou abandonne son emploi abruptement sans justes motifs, l’employeur a droit à une indemnité. Cette disposition présuppose un refus conscient, intentionnel et définitif du travailleur d’entrer au service ou de poursuivre l’exécution du travail confié.

Comme il appartient à l’employeur de prouver que le travailleur a entendu quitter sans délai son emploi, le premier doit, dans les situations peu claires, adresser au second une mise en demeure de reprendre le travail.

La décision du travailleur d’abandonner son emploi peut être expresse, ce qui est le cas, par exemple, lorsque le travailleur indique clairement qu’il n’entend pas réintégrer son poste et informe son employeur qu’il a restitué les différentes clés de l’établissement en sa possession. Lorsque l’abandon d’emploi ne résulte pas d’une déclaration expresse du salarié, il faut examiner s’il découle du comportement adopté par l’intéressé, c’est-à-dire d’actes concluants. Dans cette hypothèse, on se demandera si, compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur pouvait, objectivement et de bonne foi, comprendre que le salarié entendait quitter son emploi.

Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’il n’y avait pas abandon d’emploi dans un cas où un travailleur, sous l’emprise de l’emportement ou de la colère ensuite d’une altercation avec l’employeur, avait quitté les lieux, en emportant du matériel et ses affaires personnelles, ainsi que certains documents devant lui permettre de calculer sa participation au chiffre d’affaires et en déclarant qu’il ne reviendrait plus, mais qui, après avoir consulté un médecin, était revenu chez l’employeur quelques heures plus tard, s’était à nouveau présenté chez l’employeur pour exprimer sa volonté de reprendre le travail (JAR 2000, p. 227).

Dans un arrêt vaudois du 13 décembre 2000, la Chambre des recours avait retenu qu’après une absence de deux à quatre jours, l’employeur était en droit d’admettre une rupture définitive des rapports contractuels, étant précisé que, si le travailleur portait à la connaissance de l’employeur, quelques jours plus tard, qu’il n’entendait pas rompre le contrat, il n’y avait pas lieu d’admettre une résiliation immédiate de sa part (JAR 2002 p. 297 c. 4). Dans un arrêt plus récent, la Chambre de recours a considéré qu’une absence de douze jours ne suffisait pas à admettre un abandon d’emploi de la part du travailleur (CACI 15 septembre 2011/254 c. 3b/bc).

Le coronavirus entraîne ces jours d’importants effets disruptifs sur le monde du travail : directement, par la maladie et les absences en résultant, mais aussi indirectement en raison des obligations de l’employeur de préserver la santé et des prescriptions parfois confuses et contradictoires des autorités publiques. A cela s’ajoute la crainte naturelle des salariés pour leur santé ou celle de leur proche, les conséquences de la fermeture des écoles et de fermeture de certaines activités, et bien d’autres facteurs encore.

Il convient dès lors d’être tolérant en cas d’absence non excusée d’un travailleur. Le plus simple est de prendre contact avec lui et de voir ce qui se passe. Il faut aussi rappeler que les salariés à risque peuvent aujourd’hui prétendre, dans un contexte de pandémie, à un véritable droit au télétravail (https://droitdutravailensuisse.com/2020/03/17/coronavirus-et-droit-du-travail-v-droit-au-travail-a-domicile-des-aujourdhui/).

L’abandon d’emploi ne devrait donc être retenu qu’en cas de volonté claire et réitérée de ne pas travailler, après mise en demeure, en l’absence de tout facteur d’excuse et comme ultima ratio.

Bon courage !

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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