La recourante ( = l’employée) considère que les juges cantonaux n’ont pas qualifié correctement l’accord conclu entre les parties, qui est l’expression de leur volonté réelle et commune.
Lorsqu’il s’agit de qualifier juridiquement un accord, il convient de se fonder sur les éléments concrets (établis sans arbitraire par la cour cantonale) sur lesquels les parties se sont entendues : en l’espèce, le montant du bonus dépendait d’une évaluation de la performance de l’employée par son supérieur hiérarchique; cette évaluation, qui tenait compte de l’atteinte d’objectifs (notamment développer les compétences des membres de l’équipe), reposait [aussi] sur des critères qualitatifs et faisait largement appel à l’appréciation subjective de ce supérieur; les jalons posés par l’employeuse et sa volonté de disposer de critères » mesurables » ne permettaient pas de réduire de manière substantielle cette part de subjectivité.
Il résulte de ces constats que la rémunération de l’employée ne reposait pas sur des critères déterminés à l’avance, basés sur le bénéfice ou le chiffre d’affaires, et, conformément à la jurisprudence, elle doit être qualifiée de gratification. Cette conclusion est corroborée par le fait que le contrat conclu entre les parties exclut le paiement de tout bonus en cas de résiliation du contrat de travail, ce qui est » typique d’une gratification « .
A cet égard, le fait que le contrat ou le plan de rémunération fasse référence à la notion de » rémunération variable » ou même de » salaire variable » n’est en soi pas déterminant.
(…)
On ne saurait pas non plus suivre la recourante (= l’employée) lorsqu’elle soutient que la marge de manœuvre laissée au supérieur hiérarchique (la » part discrétionnaire « ) est » minime » et qu’au terme du processus de calcul de la rémunération, le responsable hiérarchique ne peut procéder » qu’à des ajustements mineurs afin de s’assurer qu’il respecte son budget « , ce qui obligerait à qualifier le bonus de salaire (variable).
En l’occurrence, il résulte des constatations cantonales (exemptes d’arbitraire) que la détermination du bonus ne dépendait pas seulement des résultats financiers du groupe C.________, mais qu’il s’agissait de tenir compte de la performance de l’employée et que, pour déterminer celle-ci, la part de subjectivité de l’employeuse était réelle. Il ne résulte pas de l’arrêt attaqué que cette » part discrétionnaire » viserait exclusivement des ajustements mineurs entrepris dans une fourchette bien définie.
C’est en vain que la recourante soutient que » l’objectivité à 100% est une fiction » et que, même lorsque la rémunération est calculée exclusivement en fonction des résultats d’une entreprise (cf. art. 322a CO), il existe une part de subjectivité puisque le compte annuel de résultats peut être ajusté, via des amortissements ou des provisions.
La possibilité de verser un salaire variable, calculé en fonction des résultats d’une entreprise, a été explicitement prévue par le législateur (art. 322a CO) et celui-ci n’a pas exprimé sa volonté de considérer comme un salaire variable des revenus calculés en fonction de critères plus ouverts (i.e des critères qui, en soi, impliquent une appréciation subjective de l’employeuse) faisant intervenir le comportement (au sens large) de l’employé durant l’exercice écoulé. Quoi qu’en pense la recourante, les critères retenus par le législateur à l’art. 322a CO sont en soi objectifs (pourcentage du résultat d’exploitation, du chiffre d’affaires) : au moment, où il procède au calcul du salaire variable (cf. art. 322a CO), l’employeur ne dispose pas de marge de manœuvre, mais il fait usage de celle-ci à un niveau différent, lorsqu’il doit établir ses comptes, qui auront non seulement une incidence sur le salaire variable de tous les employés concernés, mais également sur le dividende versé aux actionnaires. Cela étant, on ne saurait – comme le pense la recourante – tirer argument de la marge de manœuvre que présuppose l’établissement des comptes puisque l’appréciation de l’employeur (en tant qu’entreprise soumise à des exigences comptables) n’a alors rien à voir avec la part de subjectivité qu’implique nécessairement l’évaluation – par un supérieur hiérarchique – de la performance d’un (seul) employé.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2019 du 1er mai 2020, consid. 3.5)
Simone Schürch, qui présente et commente cet arrêt dans LawInside, observe qu’ « (…) on relève que la volonté d’établir des critères “mesurables” pour déterminer le versement et le montant du bonus n’implique pas per se que ce dernier soit qualifié de salaire [variable]. Le Tribunal fédéral retient en effet que l’évaluation de l’employé par l’employeur sur la base de critères propres à chaque employé comporte forcément une part importante de subjectivité laquelle exclut une qualification du bonus en tant que salaire. Sur ce point, le Tribunal fédéral semble saisir l’occasion de délimiter l’étendue de la notion de salaire variable à la lumière de la volonté du législateur : “La possibilité de verser un salaire variable, calculé en fonction des résultats d’une entreprise, a été explicitement prévue par le législateur (art. 322a CO) et celui-ci n’a pas exprimé sa volonté de considérer comme un salaire variable des revenus calculés en fonction de critères plus ouverts (soit des critères qui, en soi, impliquent une appréciation subjective de l’employeuse) faisant intervenir le comportement (au sens large) de l’employé durant l’exercice écoulé” (consid. 3.5.7, (…). Ainsi, des critères d’évaluation d’un employé tels que les connaissances linguistiques, la capacité de travailler en équipe, le leadership ou encore la capacité de travailler en situation de stress (stressability) sont difficilement compatibles avec la notion de salaire (variable) en ce sens que juger de leur réalisation présuppose forcément une marge d’appréciation subjective de l’employeur. Le Tribunal fédéral semble même aller plus loin en faisant référence au concept de “critères plus ouverts faisant intervenir le comportement de l’employé”, ce qui semble suggérer que l’évaluation du comportement de l’employé comprend de par sa nature une part de subjectivité. » (Cf. Simone Schürch, Salaire variable ou gratification ?, in : www.lawinside.ch/952/)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)