
L’art. 340 al. 1 CO prévoit que le travailleur qui a l’exercice des droits civils peut s’engager par écrit envers l’employeur à s’abstenir après la fin du contrat de lui faire concurrence de quelque manière que ce soit, notamment d’exploiter pour son propre compte une entreprise concurrente, d’y travailler ou de s’y intéresser.
Selon l’art. 340 al. 2 CO, la prohibition de faire concurrence n’est valable que si les rapports de travail permettent au travailleur d’avoir connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d’affaires de l’employeur et si l’utilisation de ces renseignements est de nature à causer à l’employeur un préjudice sensible.
D’après la jurisprudence (ATF 138 III 67 consid. 2.2.1), une clause de prohibition de concurrence, fondée sur la connaissance de la clientèle, ne se justifie que si l’employé, grâce à sa connaissance des clients réguliers et de leurs habitudes, peut facilement leur proposer des prestations analogues à celles de l’employeur et ainsi les détourner de celui-ci. Ce n’est que dans une situation de ce genre que, selon les termes de l’art. 340 al. 2 CO, le fait d’avoir connaissance de la clientèle est de nature, par l’utilisation de ce renseignement, à causer à l’employeur un préjudice sensible. Il apparaît en effet légitime que l’employeur puisse dans une certaine mesure se protéger, par une clause de prohibition de concurrence, contre le risque que le travailleur détourne à son profit les efforts de prospection effectués par le premier ou pour le compte du premier.
La validité de la clause de prohibition de concurrence est soumise à la condition que l’utilisation des renseignements (comme la connaissance de la clientèle) est de nature à causer à l’employeur un préjudice sensible (art. 340 al. 2 in fine CO). Cette norme n’exige pas la preuve d’un dommage effectif (arrêt du Tribunal fédéral 4C.163/1993 du 9 décembre 1993 consid 2b).
Il est nécessaire qu’il y ait une relation de causalité adéquate entre les connaissances acquises et le risque de causer un préjudice sensible à l’ancien employeur (arrêt du Tribunal fédéral 4A_466/2012 du 12 novembre 2012 consid. 3.2 et 4.1).
A teneur de l’art. 340a al. 1, 1re phrase, CO, la prohibition doit être limitée convenablement quant au lieu, au temps et au genre d’affaires, de façon à ne pas compromettre l’avenir économique du travailleur contrairement à l’équité.
Pour admettre le caractère excessif d’une interdiction de concurrence est déterminant le point de savoir si la prohibition compromet l’avenir économique du travailleur d’une manière qui ne peut se justifier par les intérêts de l’employeur (ATF 130 III 353 consid. 2).
Si la clause de non-concurrence est transgressée par le travailleur, l’employeur peut exiger notamment le paiement de la peine conventionnelle prévue par le contrat (art. 340b al. 2 CO). La clause pénale est soumise aux dispositions des art. 160 ss CO. En application de l’art. 163 al. 3 CO, le juge doit réduire le montant de la peine conventionnelle dont la quotité est excessive. (ATF 133 III 43 consid. 3.3, consid. 5.2).
Dans l’application de l’art. 163 al. 3 CO et donc dans l’usage de son pouvoir d’appréciation (art. 4 CC) de la réduction des peines conventionnelles excessives, le juge doit observer une certaine réserve. Une intervention du juge dans le contrat ne se justifie que si le montant de la peine fixé est si élevé qu’il dépasse toute mesure raisonnable, au point de n’être plus compatible avec le droit et l’équité. Pour juger du caractère excessif de la peine conventionnelle, il ne faut pas raisonner abstraitement, mais, au contraire, prendre en considération toutes les circonstances concrètes de l’espèce. Il y a ainsi lieu de tenir compte notamment de la nature et de la durée du contrat, de la gravité de la faute et de la violation contractuelle, de la situation économique des parties, singulièrement de celle du débiteur.
Le salaire annuel du travailleur constitue la limite supérieure de la clause pénale.
Un Tribunal lucernois a réduit la peine conventionnelle d’un employé qui n’occupait pas une position de cadre payé 5’000 fr. par mois, de 50’000 fr. à 20’000 fr. (JAR 2003 358). Une peine conventionnelle de six mois de salaire a été admise s’agissant d’un responsable dans le domaine des e-produits (arrêt du Tribunal fédéral 4C.44/2002 du 9 juillet 2002).
En l’espèce, il est constant que les parties ont stipulé une clause de non-concurrence dans le contrat de travail qui les liait. L’employé (= l’employé) n’en conteste la validité que sous l’angle de la condition de la connaissance de clientèle et du préjudice sensible, admettant à raison que les autres conditions posées par la loi sont réalisées.
Dans la mesure où l’appelant se rendait au domicile de certains des clients de son employeur pour y effectuer des travaux d’entretien ou de maintenance des piscines, il avait concrètement connaissance d’une partie de la clientèle et des habitudes de celle-ci, quoi qu’il en dise; la circonstance qu’il n’avait pas de clients attitrés mais qu’il recevait l’indication de certains d’entre eux par son planning (ce qui résulte du témoignage de K______) ne fait pas échec à la réalisation de cette connaissance concrète.
Quant à déterminer s’il se trouvait en situation de causer un préjudice sensible à l’employeur, il convient de rappeler qu’il s’est engagé dans une entreprise active dans un secteur similaire à celui de l’employeur alors qu’il avait, de fait, connaissance d’une partie de ses clients, comme déjà retenu ci-dessus. Pour le surplus, l’appelant ne s’attache pas à démontrer que la probabilité que l’employeur soit exposée à un préjudice sensible serait exclue in casu (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_468/2016 du 6 février 2017, consid. 4). A cet égard, sa seule référence à la surface commerciale et financière de l’employeur ne convainc pas, compte tenu de la connaissance partielle de la clientèle dont il disposait. La condition de l’utilisation des renseignements de nature à causer à l’employeur un préjudice sensible est ainsi réalisée.
En ce qui concerne la limitation de ladite clause, l’appelant soutient que celle-ci s’imposait, sans critiquer de façon suffisante le jugement sur ce point, particulièrement sans exposer en quoi son avenir économique aurait été atteint d’une façon excessive. Ses déclarations selon lesquelles il entendait être actif dans le domaine des aménagements extérieurs et de l’arrosage automatique, et non dans celui des piscines tendent à montrer qu’il pouvait avoir une activité professionnelle lui correspondant hors du secteur exploité par l’employeur.
Au vu de ce qui précède, la clause de prohibition de concurrence contenue dans le contrat de travail ayant lié les parties est valable, comme l’ont retenu les premiers juges.
L’appelant a, par différents actes, enfreint la clause contractuelle qui lui interdisait de faire concurrence; il s’est donc exposé au paiement de la peine conventionnelle stipulée, comme l’ont retenu les premiers juges.
Ceux-ci ont considérablement réduit le montant convenu par les parties, sans exposer au demeurant comment ils ont arrêté la quotité de 5’000 fr. retenue. L’employeur critique cette réduction, relevant en particulier que le montant convenu contractuellement correspondait à moins de 50% du salaire annuel de son ancien employé, ce qui serait admissible au vu de la jurisprudence.
Il est exact que, sous l’angle purement arithmétique, la quotité de la clause pénale est conforme à la jurisprudence; lorsqu’il a été stipulé, le montant de 40’000 fr. -dont au demeurant aucune des parties n’a allégué comment il avait été arrêté – n’excédait en effet pas le salaire annuel, indemnité non comprise, de l’employé, qui était alors de 69’000 fr. Il convient cependant, dans cet examen, de tenir compte des éléments du cas d’espèce, au premier rang desquels la disproportion claire entre les situations économiques respectives d’un employé, relativement subalterne (dont le salaire annuel – de l’ordre de 82’000 fr. – a de peu dépassé le double de la quotité de la peine conventionnelle après quatre ans d’emploi), et d’une entreprise importante de la place, qui emploie une vingtaine d’employés et qui affirme elle-même que son modèle économique est durable. Par ailleurs, certes l’appelant a commis une faute en ne se tenant pas à la prohibition de concurrence convenue, mais rien au dossier n’indique que cette faute revêtirait une gravité particulière; les explications de l’appelant selon lesquelles il se représentait que sa propre activité, qui ne touchait qu’exceptionnellement à l’entretien de piscines, n’était pas visée est plausible, et aucun démarchage actif n’a été mis en évidence par les clients entendus comme témoin. Il est vrai aussi que l’employé était dans sa cinquième année de service lorsqu’il a mis fin à la relation d’emploi, ce qui lui donnait une certaine assise dans l’entreprise et fondait une légitime confiance de l’employeur. Pour le surplus, le lien opéré par le Tribunal entre le montant de la clause et le dommage allégué par l’employé n’est pas pertinent, puisqu’une telle clause a vocation à s’appliquer même sans dommage.
Enfin, la casuistique rappelée ci-dessus enseigne qu’une peine correspondant à six mois de salaire pour un employé qui n’a pas de fonction de responsable ne serait pas adéquate, tandis qu’une peine de 20’000 fr. pour un collaborateur non cadre rémunéré 5’000 fr. par mois (soit un montant de l’ordre de celui perçu par l’appelant au moment où il a souscrit la peine conventionnelle), qui s’était engagé à hauteur de 50’000 fr., est appropriée.
Au vu de ce qui précède, et dans le cadre du devoir de réserve qui s’impose au juge en la matière, il apparaît que le montant, fixé à 40’000 fr., au titre de la peine conventionnelle par les parties, n’est compatible avec le droit et l’équité qu’à concurrence de 15’000 fr.
L’employeur ne soutient pas, à bien la comprendre, que le dommage subi s’élèverait à cette quotité. Or, si le dommage excède la peine conventionnelle convenue, il doit être démontré par l’employeur, ce que à quoi l’employeur ne s’est pas astreint.
(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève CAPH/14/2021 du 19 janvier 2021)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)