
L’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 LLCA. Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats.
Aux termes de l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition vise le soin et la diligence que l’avocat doit apporter dans l’exercice de son activité professionnelle. Elle constitue une clause générale, permettant d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession. Sa portée n’est pas limitée aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités.
Le soin et la diligence visés par l’art. 12 let. a LLCA constituent des devoirs qui n’ont pas les clients pour seuls bénéficiaires. Ces devoirs s’étendent à tous les actes professionnels de l’avocat qui, en tant qu’auxiliaire de la justice, doit assurer la dignité de la profession, qui est une condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice.
La LLCA définit de manière exhaustive les règles professionnelles auxquelles les avocats sont soumis. Les règles déontologiques conservent toutefois une portée juridique en permettant de préciser ou d’interpréter les règles professionnelles, dans la mesure où elles expriment une opinion largement répandue au plan national. Dans le but d’unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération, la Fédération Suisse des Avocats (FSA) a précisément édicté le Code suisse de déontologie (ci-après : CSD).
À teneur de l’art. 1 CSD, l’avocat exerce sa profession, avec soin et diligence, et dans le respect de l’ordre juridique. Il s’abstient de toute activité susceptible de mettre en cause la confiance mise en lui. Selon l’art. 8 CSD, l’avocat s’adresse aux autorités avec le respect qui leur est dû et attend d’elles les mêmes égards. Il entreprend toutes les démarches légales nécessaires à la sauvegarde des intérêts de son client.
Dans la procédure, l’avocat peut défendre les intérêts de ses clients de manière vigoureuse et s’exprimer de manière énergique et vive. Il n’est pas tenu de choisir la formulation la plus mesurée à l’encontre de la partie adverse, ni de peser tous ses mots. Une certaine marge d’exagération, voire même de provocation, doit ainsi être acceptée.
Tous les moyens ne sont toutefois pas permis. Un comportement inutilement agressif ne correspond pas à une manière d’exercer la profession avec soin et diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA. L’avocat assume une tâche essentielle à l’administration de la justice, en garantissant le respect des droits des justiciables, et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Il est partant tenu de s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en cause la confiance qui doit pouvoir être placée dans la profession et faire montre d’un comportement correct dans son activité. Il doit contribuer à ce que les conflits juridiques se déroulent de manière appropriée et professionnelle et s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants. L’avocat n’agit pas dans l’intérêt de son client s’il se livre à des attaques excessives inutiles, susceptibles de durcir les fronts et de conduire à une escalade dans le conflit.
Dans ses contacts avec la partie adverse, ainsi qu’avec ses représentants, l’avocat doit s’abstenir de prononcer des attaques personnelles, des diffamations ou des allégations injurieuses. S’il peut adopter un comportement énergique et s’exprimer de façon vigoureuse, il ne doit pas pour autant offenser inutilement la partie adverse.
Dans ses rapports avec les media, l’avocat doit jouir d’une grande liberté d’expression et il conserve la faculté de décider sans restriction, et d’entente avec son client, qui reste maître de la question, quand il veut s’exprimer publiquement. Lorsqu’il le fait, il doit garder la réserve nécessaire et ne pas profiter du large retentissement de ses propos publics et de l’absence de la partie adverse ou de l’autorité qu’il critique pour déformer la réalité de l’affaire sur laquelle il s’exprime.
L’avocat dispose ainsi d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice, que ce soit en s’en prenant à un magistrat ou à un confrère, tant qu’il le fait dans le cadre de la procédure, dans un mémoire ou à l’occasion de débats oraux. Dans ce cas, l’avocat n’agit contrairement à ses devoirs professionnels et, partant, de façon inadmissible, que s’il formule des critiques en étant conscient de la fausseté de ses affirmations ou dans une forme attentatoire à l’honneur, au lieu de se limiter à des allégations de fait et à des appréciations. Les déclarations faites en dehors de toute procédure sont quant à elles soumises à des exigences plus strictes. En particulier, un avocat ne devrait faire des déclarations publiques que si les circonstances le justifient. Tel est le cas notamment lorsque cela est nécessaire à sauvegarder les intérêts de son client ou pour repousser des attaques dirigées contre l’avocat lui-même ou encore quand l’avocat se heurte à d’importants dysfonctionnements des pouvoirs publics et ne peut obtenir par une autre voie qu’il y soit remédié.
Ainsi par exemple le fait de déclarer dans le cadre d’une procédure qu’une autorité judiciaire s’est comportée de manière incorrecte ou illégale ne peut être sanctionné disciplinairement si cela est avéré. Toutefois, un avocat qui reproche à un confrère et à des magistrats d’avoir eu un comportement pénalement répréhensible ne peut apporter la preuve de la véracité de telles affirmations qu’en produisant un jugement pénal passé en force. S’il ne dispose pas d’un tel moyen de preuve, il doit s’exprimer avec plus de retenue.
On peut par ailleurs attendre d’un avocat qu’il fasse preuve de plus de retenue lorsqu’il s’exprime par écrit qu’oralement, puisqu’il a alors le temps de peser ses mots, de réfléchir à leur portée et d’éviter les formulations excessives.
La mise en cause virulente par écrit des compétences et des intentions du conseil d’une partie peut constituer une attaque gratuite et inutilement blessante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 7.3). Les accusations graves portées à la légère contre un confrère respectivement un expert (conclusion de l’expertise qualifiées d’« iniques », reproches à l’experte de « désinvolture » et de « vision arbitraire ») peuvent constituer une violation de l’art. 12 let. a LLCA (arrêt du Tribunal fédéral 2C_243/2020 du 25 juin 2020 consid. 3.4 et 3.5). Les reproches personnels, virulents et inutilement blessants contenus dans un courrier adressé à un fonctionnaire dépassent ce qui peut être admis d’un avocat dans sa relation avec une autorité administrative (arrêt du Tribunal fédéral 2C_474/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.3). Les reproches d’usage abusif des procédures disciplinaires adressés à des confrères, dans un courrier diffusé de manière restreinte à des personnes non compétentes pour en connaître, et alors qu’une décision était attendue sur ce point, sont prématurés et ne constituent pas le seul moyen de repousser des attaques ou de remédier à des dysfonctionnements des pouvoirs publics, pas plus qu’ils ne constituent une mise au point (arrêt du Tribunal fédéral 2A_191/2003 précité consid. 7.4).
Sous l’angle de la protection de la liberté d’expression de l’avocat par l’art. 10 CEDH et des limitations pouvant être apportées à l’exercice de cette liberté par ces derniers, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la Cour) a jugé que le statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice. C’est à ce titre qu’ils jouent un rôle clé pour assurer la confiance du public dans l’action des tribunaux, dont la mission est fondamentale dans une démocratie et un État de droit. Toutefois, pour croire en l’administration de la justice, le public doit également avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables. De ce rôle particulier des avocats, professionnels indépendants, dans l’administration de la justice, découlent un certain nombre d’obligations, notamment dans leur conduite. Toutefois, s’ils sont certes soumis à des restrictions concernant leur comportement professionnel, qui doit être empreint de discrétion, d’honnêteté et de dignité, ils bénéficient également de droits et des privilèges exclusifs, qui peuvent varier d’une juridiction à l’autre, comme généralement une certaine latitude concernant les propos qu’ils tiennent devant les tribunaux. Ainsi, la liberté d’expression vaut aussi pour les avocats. Outre la substance des idées et des informations exprimées, elle englobe leur mode d’expression. Les avocats ont ainsi notamment le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, même si leur critique ne saurait franchir certaines limites. Ces dernières se retrouvent dans les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau, à l’instar des dix principes essentiels énumérés par le CCBE pour les avocats européens, qu’il s’agisse notamment de « la dignité, l’honneur et la probité » ou de « la contribution à une bonne administration de la justice ». De telles règles contribuent à protéger le pouvoir judiciaire des attaques gratuites et infondées qui pourraient n’être motivées que par une volonté ou une stratégie de déplacer le débat judiciaire sur le terrain strictement médiatique ou d’en découdre avec les magistrats en charge de l’affaire. La question de la liberté d’expression est liée à l’indépendance de la profession d’avocat, cruciale pour un fonctionnement effectif de l’administration équitable de la justice. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une limite touchant la liberté d’expression de l’avocat de la défense – même au moyen d’une sanction pénale légère – peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.
Selon la Cour, il convient toutefois de distinguer selon que l’avocat s’exprime dans le prétoire ou en dehors de celui-ci. S’agissant tout d’abord des « faits d’audience », dès lors que la liberté d’expression de l’avocat peut soulever une question sous l’angle du droit de son client à un procès équitable, l’équité milite également en faveur d’un échange de vues libre, voire énergique, entre les parties et l’avocat a le devoir de « défendre avec zèle les intérêts de ses clients », ce qui le conduit parfois à s’interroger sur la nécessité de s’opposer ou non à l’attitude du tribunal ou de s’en plaindre. De plus, la Cour tient compte du fait que les propos litigieux ne sortent pas de la salle d’audience. Par ailleurs, elle opère une distinction selon la personne visée, un procureur, qui est une « partie » au procès, devant tolérer des critiques très larges de la part de l’avocat de la défense, même si certains termes sont déplacés, dès lors qu’elles ne portent pas sur ses qualités professionnelles ou autres en général.
Concernant ensuite les propos tenus en dehors du prétoire, la Cour rappelle que la défense d’un client peut se poursuivre avec une apparition dans un journal télévisé ou une intervention dans la presse et, à cette occasion, avec une information du public sur des dysfonctionnements de nature à nuire à la bonne marche d’une instruction.
Lorsqu’une affaire fait l’objet d’une couverture médiatique en raison de la gravité des faits et des personnes susceptibles d’être mises en cause, on ne peut sanctionner pour violation du secret de l’instruction un avocat qui s’est contenté de faire des déclarations personnelles sur des informations déjà connues des journalistes et que ces derniers s’apprêtent à diffuser avec ou sans de tels commentaires. Pour autant, l’avocat n’est pas déchargé de son devoir de prudence à l’égard du secret de l’instruction en cours lorsqu’il s’exprime publiquement.
Il reste, selon la Cour, que les avocats ne peuvent tenir des propos d’une gravité dépassant le commentaire admissible sans solide base factuelle ou proférer des injures. La Cour apprécie les propos dans leur contexte général, notamment pour savoir s’ils peuvent passer pour trompeurs ou comme une attaque gratuite et pour s’assurer que les expressions utilisées en l’espèce présentent un lien suffisamment étroit avec les faits de l’espèce.
La Cour a par exemple jugé que les reproches, adressées par une avocate de la défense à un procureur dans le cadre de la procédure, soit sans sortir de la salle d’audience ni paraître dans la presse, au sujet de la stratégie de l’accusation d’avoir pris deux décisions avant le procès constituant des manipulations méconnaissant les devoirs de sa charge, portaient uniquement sur la manière dont le procureur s’était acquitté de ses fonctions, n’étaient pas personnelles et devaient être tolérées par celui-ci, étant observé que le reproche avait été traité comme une objection, et rejeté, et que le tribunal n’avait ni interrompu ni réprimandé l’avocate. Les critiques adressées dans la presse par un avocat à la juge d’instruction, qui avait tardé à instruire et négligé de transmettre une pièce essentielle après avoir été écartée du dossier, reposaient sur des faits avérés, présentaient un lien suffisamment étroit avec les faits de la procédure, et n’étaient ni trompeurs ni constitutifs d’une attaque gratuite.
L’autorité de surveillance doit faire preuve d’une certaine réserve dans son appréciation du comportement de l’avocat. L’art. 12 let. a LLCA est une disposition subsidiaire. Pour que le comportement d’un avocat justifie une sanction au sens de cette disposition, la violation du devoir de prudence doit atteindre une certaine gravité qui, au-delà des sanctions relevant du droit des mandats, nécessite, dans l’intérêt public, l’intervention proportionnée de l’État. Le comportement sanctionné par l’art. 12 let. a LLCA suppose partant un manquement significatif la profession.
En l’espèce, le recourant, s’exprimant hors procédure et répondant à l’interpellation d’une journaliste, a reproché à l’arrêt du Tribunal fédéral de consacrer une « erreur judiciaire », aucun enlèvement de mineur n’ayant eu lieu. Or le recourant ne pouvait ignorer que l’infraction d’enlèvement de mineur avait en réalité été définitivement confirmée par l’arrêt du Tribunal fédéral, étant observé qu’une requête à la Cour européenne des droits de l’homme n’a en l’occurrence pas été formé.
En présentant la version de la réalité défendue par sa cliente sans mentionner la vérité judiciaire contraire telle qu’établie par les tribunaux, il a manqué de l’objectivité qui pouvait être attendue de lui. La chambre observe par ailleurs que le droit de l’avocat de discuter et de critiquer les décisions de justice suppose que le contenu déterminant de ces dernières soit au moins mentionné. En l’espèce, le recourant s’est tenu à une critique cinglante (l’arrêt consacrait une erreur judiciaire) et une assertion factuelle (il n’y avait pas eu enlèvement de mineur, sa cliente avait le droit de garde, elle pouvait partir à l’étranger, elle n’avait pas entravé le droit de visite du père), propos que la journaliste a d’ailleurs qualifiés de « féroces ».
Le recourant a également prêté au père de l’enfant l’intention de couper tout lien entre l’enfant et sa cliente, avec le mobile de la vengeance. Or, le recourant connaissait les procédures et la situation très complexe de la famille, et il ne pouvait en particulier ignorer les craintes du père après l’enlèvement de l’enfant par la mère. Expliquer dans ces circonstances les difficultés de l’exercice du droit de visite de sa cliente par l’intention du père de couper tout lien et sa volonté de vengeance, constituait bien une déclaration virulente, sans retenue et offensante pour ce dernier.
C’est également à juste titre qu’il a été tenu compte du fait que la procédure devant le Tribunal fédéral était terminée et que le recourant avait agi à froid, par écrit, deux jours avant la publication de l’article.
Le recourant ne saurait être suivi lorsqu’il suggère qu’il aurait voulu mettre en lumière les conflits autour de la garde des enfants et leurs conséquences parfois dramatiques. En telle hypothèse, il lui eut en effet été loisible de se cantonner à des considérations générales, sans qu’il lui soit nécessaire de mettre en cause publiquement et de manière virulente la partie adverse. La défense de sa cliente ne nécessitait en aucun cas les excès auxquels il s’est livré, ce d’autant que la procédure était terminée. La distance professionnelle que l’avocat doit observer, même avec son client, aurait au contraire dû lui suggérer de ne pas s’aventurer, dans un contexte aussi tendu, à reproduire publiquement le ressenti de celle-ci.
(Adapté de : Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/258/2021 du 02.03.2021)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)