
En droit privé, les actes de mobbing sont prohibés par l’art. 328 al. 1 CO. L’employeur qui n’empêche pas que son employé subisse un mobbing contrevient à l’art. 328 CO.
Aux termes de l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur ; il manifeste les égards voulus pour sa santé et veille au maintien de la moralité. Selon l’art. 328 al. 2 CO, l’employeur prend, pour protéger la vie, la santé et l’intégrité personnelle du travailleur, les mesures commandées par l’expérience, applicables en l’état de la technique, et adaptées aux conditions de l’exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent équitablement de l’exiger de lui.
Celui qui allègue avoir subi un harcèlement psychologique doit le prouver (art. 8 CC) .
Le harcèlement psychologique, communément appelé mobbing, se définit comme un enchaînement de propos et / ou d’agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement, auquel un témoin a pu assister, peut éventuellement être considéré comme supportable, alors que l’ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu’à l’élimination professionnelle de la personne visée. Les attaques ne sont généralement pas virulentes, mais de faible intensité, et c’est par leur caractère répétitif qu’elles constituent du harcèlement et en deviennent illicites. Il peut s’agir d’actes banals, comme ne pas saluer quelqu’un, ne plus lui adresser la parole, l’interrompre, ne pas tenir compte de ce qu’il dit, terminer une conversation au moment où il veut y prendre part, qui ne dépassent jamais la limite admise et qui ne sont ainsi pas punissables pénalement. Il peut également s’agir de la critique régulière d’un employé en présence de ses collègues, du dénigrement de la qualité de son travail, de la prise à partie systématique du travailleur concerné, de l’attribution de nouvelles tâches sans discussion préalable, de l’attribution de tâches nettement inférieures ou nettement supérieures à ses compétences aux fins de discréditer le travailleur.
Il n’y a toutefois pas harcèlement psychologique du seul fait qu’un conflit existe dans les relations professionnelles ou qu’il règne une mauvaise ambiance de travail, ni du fait qu’un membre du personnel serait invité – même de façon pressante, répétée, au besoin sous la menace de sanctions disciplinaires ou d’une procédure de licenciement – à se conformer à ses obligations résultant du rapport de travail, ou encore du fait qu’un supérieur hiérarchique n’aurait pas satisfait pleinement et toujours aux devoirs qui lui incombent à l’égard de ses collaboratrices et collaborateurs. Il résulte des particularités du mobbing que ce dernier est généralement difficile à prouver, si bien qu’il faut éventuellement admettre son existence sur la base d’un faisceau d’indices convergents. Il sied cependant de garder à l’esprit que le mobbing peut n’être qu’imaginaire et qu’il peut même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques ou mesures pourtant justifiées. L’appréciation de l’existence d’un harcèlement psychologique ou de son inexistence présuppose une appréciation globale des circonstances.
Selon l’art. 49 CO, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement.
N’importe quelle atteinte légère à la réputation professionnelle, économique ou sociale d’une personne ne justifie pas une réparation. L’allocation d’une indemnité pour tort moral fondée sur l’art. 49 al. 1 CO suppose que l’atteinte ait une certaine gravité objective et qu’elle ait été ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne, dans ces circonstances, s’adresse au juge pour obtenir réparation.
Le principe d’une indemnisation du tort moral et l’ampleur de la réparation dépendent d’une manière décisive de la gravité de l’atteinte, de l’intensité et de la durée des effets sur la personnalité de la personne concernée, du degré de la faute du responsable, d’une éventuelle responsabilité concomitante du lésé, ainsi que de la possibilité d’adoucir de façon sensible, par le versement d’une somme d’argent, la douleur physique ou morale. Le Tribunal fédéral admet qu’il suffit au demandeur d’établir la réalité et la gravité de l’atteinte objective qui lui a été portée et que, pour ce qui est de l’aspect subjectif, le juge doit tenir compte du cours ordinaire des choses, le tort moral étant censé correspondre à celui qu’aurait ressenti une personne normale placée dans la même situation (SJ 1993 I 351 consid. 1b).
En l’espèce, au début de l’année 2015, le Service des domaines et des bâtiments de la Commune de R.________ a traversé une crise aboutissant à la rétrogradation, au 1er avril 2015, de son chef de service, ensuite d’un audit externe mis en œuvre à l’initiative de la Conseillère municipale L.________. Dès le 1er avril 2015, l’appelante (= l’employée), qui était depuis le 1er mars 2014 architecte adjointe au chef du Service des domaines et bâtiments, a assumé la direction ad interim dudit service. Il était prévu dès le départ qu’elle n’exercerait cette fonction que jusqu’à la nomination d’un nouveau chef de service. Elle a présenté sa candidature audit poste mais c’est I.________, ingénieur HES en génie électrique, qui a pris cette fonction dès le 1er septembre 2015. L’intimée (=l’employeuse) a alors remercié l’appelante pour son engagement et lui a signifié qu’à compter du 1er septembre 2015, elle fonctionnerait en tant qu’adjointe du chef de service en charge des grands projets, la répartition précise des tâches entre les collaborateurs étant de la responsabilité du nouveau chef.
Il ressort des témoignages qu’il existait une certaine tension entre l’appelante et I.________ dès l’arrivée de celui-ci, lequel montrait des signes d’agacement lorsque la demanderesse s’adressait à lui, en soupirant, en levant les yeux au ciel ou en grimaçant. Il ne s’est dès lors pas agi d’un événement isolé. L’appelante a également été exclue des grands projets dont elle était responsable auparavant, ainsi que des réunions, et s’est vue reléguée à des tâches subalternes telles que la réception, le téléphone et l’organisation de la semaine de la mobilité, lesquelles sont sans rapport avec ses qualifications professionnelles. Le fait pour l’appelante d’avoir été écartée de tous les projets architecturaux, à l’exclusion du chalet J.________ à […], qui n’est pas un projet d’envergure, ne saurait être expliqué par une restructuration au sein du service. Il faut constater qu’à l’arrivée d’I.________, si l’appelante a quitté ses fonctions de cheffe ad interim, elle a réintégré un poste d’adjointe du chef de service mais que, nonobstant son parcours professionnel et le fait qu’elle avait toujours par le passé donné satisfaction, elle ne s’est plus vu confier des tâches en lien avec ses qualifications.
L’ensemble des circonstances montre que même si c’est le fait d’une seule personne, à savoir de son supérieur hiérarchique, l’appelante a bel et bien été mise à l’écart et mise progressivement sous pression. Si certains événements sont anodins pris isolément, le cumul de ceux-ci amène la Cour de céans à admettre qu’ils sont constitutifs d’une situation de mobbing. Cela est corroboré par le rapport d’expertise du Dr […], sollicité par le médecin conseil de l’assureur de l’intimée, qui mentionne que, dans les mois qui ont précédé l’incapacité de travail de l’appelante, sont apparus chez celle-ci de l’anxiété, des troubles du sommeil, un sentiment d’insécurité et d’irritabilité. Elle avait dit à son thérapeute avoir été rabaissée et dénigrée.
Lorsqu’elle s’était confiée à L.________ en janvier 2016 déjà, la Conseillère municipale se défend certes d’avoir voulu la dissuader d’agir, mais elle a expliqué à l’appelante qu’elle « peinerait à trouver une oreille attentive », ce qui revenait peu ou prou au même sous l’angle du résultat. Dans ses déclarations, l’appelante a d’ailleurs précisé que les propos exacts de son interlocutrice auraient été « la coalition I.________ […] […] n’allait pas [se] laisser faire ».
Cet appel à l’aide, resté vain, montre que l’appelante se trouvait alors dans une impasse. Or il en allait de la responsabilité de l’employeur, à ce moment-là, de protéger son employée et de chercher les moyens d’accompagner les deux protagonistes dans leur collaboration avant que la situation ne s’envenime au point que l’appelante se retrouve en incapacité de travail complète.
On ne saurait nier l’existence d’un mobbing au motif que l’appelante n’avait pas épuisé les solutions à sa disposition ni insisté pour faire valoir ses droits. Non seulement elle se trouvait dans un état de faiblesse imputable à son employeur, mais en plus, elle avait été dissuadée de faire part de sa détresse à sa hiérarchie.
S’agissant de la gravité de l’atteinte, il y a lieu tout d’abord de considérer que, bien que s’agissant d’agissements répétés, ils étaient le fait d’une seule personne, ce qui semble moins de nature à porter atteinte au bien-être de la victime. La période des agissements litigieux a été relativement brève,. On peut également retenir que l’appelante supporte une légère part de responsabilité dans les événements, faute pour elle d’avoir suffisamment et de manière idoine communiqué à cet égard, et afin que le mobbing n’a pas entraîné de séquelles durables. En conséquence, il y a lieu d’allouer à l’appelante une indemnité de 5’000 fr. pour le tort moral subi.
L’appelante fait encore valoir que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, lorsque des tensions apparaissent entre deux collaborateurs, l’employeur doit s’efforcer de les apaiser et maintenir les deux collaborateurs à leur poste, le licenciement de l’un d’entre eux étant la dernière solution. Selon elle, il ne serait pas établi que l’appelante ne donnait pas satisfaction dans les tâches qu’elle exécutait et l’intimée n’aurait jamais essayé de maintenir l’appelante à son poste de travail après son incapacité. L’intimée aurait exploité une situation – soit celle de l’incapacité de travail durable de l’appelante – à son avantage, en licenciant une collaboratrice qui ennuyait son chef direct. L’appelante estime que le licenciement serait abusif et devrait donner lieu à une indemnité équivalant à six mois de salaire.
Pour l’intimée, ce serait l’incapacité de l’appelante à faire face à des critiques, dont il ne serait pas établi qu’elles auraient été blessantes, autrement que par une incapacité durable de travail, qui l’aurait rendue objectivement incapable d’effectuer celui-ci.
L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère une liste – non exhaustive – des cas dans lesquels la résiliation est abusive. Ainsi, à teneur de l’art. 336 al. 1 let. d CO, le congé est abusif lorsqu’il est donné parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. Pour que cette disposition soit applicable, il faut que l’autre partie ait eu la volonté d’exercer un droit et qu’elle ait été de bonne foi, même si sa prétention, en réalité, n’existait pas.
Le fait que l’employé se plaigne d’une atteinte à sa personnalité ou à sa santé et sollicite la protection de l’employeur peut aussi constituer une telle prétention (art. 328 CO). Cela étant, les prétentions émises par l’employé doivent encore avoir joué un rôle causal dans la décision de l’employeur de le licencier. Ainsi, le fait que l’employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l’employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l’origine et qu’elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement. Déterminer s’il existe un rapport de causalité naturelle est une question de fait.
Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel. Déterminer le motif d’une résiliation est une question de fait. Lorsque plusieurs motifs de congé entrent en jeu et que l’un d’eux n’est pas digne de protection, il convient de déterminer si, sans le motif illicite, le contrat aurait tout de même été résilié : si tel est le cas, le congé n’est pas abusif. En cas de pluralité de motifs, dont l’un au moins s’avère abusif, il incombe à l’employeur de démontrer qu’il aurait licencié le travailleur même en l’absence du motif abusif.
Le congé peut aussi être abusif parce qu’il a été donné en violation des droits de la personnalité du travailleur. L’employeur doit en effet protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO). Il doit s’abstenir de porter une atteinte injustifiée aux droits de la personnalité du travailleur et, dans les rapports de travail, il doit protéger son employé contre les atteintes émanant de supérieurs, de collègues ou même de tiers. S’il surgit un conflit entre travailleurs, l’employeur doit s’efforcer de l’apaiser. Il dispose cependant d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des mesures à prendre. Savoir s’il a pris les mesures adéquates est une question de droit. On ne peut pas reprocher à un employeur de ne pas avoir pris les mesures adéquates pour apaiser un conflit lorsque l’attitude du travailleur est la cause de la tension et que la mesure appropriée était – comme cela avait été fait – de l’inviter à faire un effort et à changer d’attitude.
Aux termes de l’art. 336a al. 2 CO, l’indemnité pour licenciement abusif est fixée par le juge, compte tenu de toutes les circonstances. Pour fixer l’indemnité au sens de l’art. 336a CO, le juge jouit d’un large pouvoir d’appréciation (cf. art. 4 CC) qui n’est limité que dans la mesure où il ne peut allouer au maximum qu’un montant correspondant à six mois de salaire. Il faut notamment prendre en considération dans ce cadre la gravité de la faute commise par l’employeur, une éventuelle faute concomitante du travailleur, la gravité de l’atteinte à sa personnalité, son âge, la durée et l’intensité de la relation de travail, les effets du licenciement et les difficultés de réinsertion dans sa vie économique.
En l’espèce, l’intimée indique comme motif du licenciement que les prestations fournies par l’appelante ne correspondent plus aux attentes de la Municipalité. Or il résulte de l’ensemble du dossier que le travail de l’appelante donnait pleinement satisfaction jusqu’à l’arrivée d’I.________. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier du fait qu’avant l’arrivée d’I.________, l’appelante a donné entière satisfaction et que le licenciement fait suite à l’annonce d’une situation de mobbing, il faut retenir que le véritable motif du licenciement n’est pas le fait que les prestations fournies par l’appelante n’étaient pas satisfaisantes, mais bien que l’intimée préférait s’épargner un conflit de personnes et mettre fin aux revendications de l’appelante. Compte tenu des principes rappelés ci-dessus, cette situation est constitutive d’un licenciement abusif.
S’agissant de la quotité de l’indemnité, il faut tenir compte du fait que l’appelante a déjà perçu une indemnité pour le tort moral subi pendant les rapports de travail, qu’elle n’a de son côté pas prétendu conserver son poste après son congé maladie et qu’elle a finalement retrouvé un emploi assez vite, lequel semble parfaitement en adéquation avec son cursus professionnel, éléments qui relativisent l’impact du licenciement injustifié.
Il se justifie dès lors d’arrêter l’indemnité pour licenciement abusif à 15’000 fr., ce qui correspond approximativement à deux mois de salaire.
(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal (VD) HC / 2020 / 539 du 14 août 2020)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)