L’employeur soupçonne l’employé d’avoir commis des actes violant plus ou moins gravement telle ou telle obligation contractuelle ou légale. Il envisage dès lors de mettre un terme au contrat, généralement de manière ordinaire, car les faits n’atteignent que rarement le degré de gravité nécessaire pour rompre totalement le rapport de confiance (sans compter encore la reconnaissance très aléatoire du licenciement immédiat par les tribunaux), mais parfois aussi de manière immédiate s’il considère que les rapports de confiance sont irrémédiablement rompus. Que doit faire l’employeur avant de prononcer le licenciement ?
Dans deux décisions récentes (arrêts du Tribunal fédéral 4A_694/2015 du 4 mai 2016 et 4A_419/2015 du 19 février 2016), le Tribunal fédéral semble avoir substantiellement renforcé les exigences formelles, voire procédurales, à la charge de l’employeur en cas de « congé-soupçon ». On verra que cette évolution tend à encadrer, voire – mais sans le dire expressément – à limiter la liberté de licencier.
Je ne reviens pas ici sur les conditions générales du licenciement, qu’il soit ordinaire ou immédiat (immédiateté de la réaction, notamment). On en trouvera maints exemples ailleurs sur ce site : https://droitdutravailensuisse.com/category/licenciement-abusif/ ; ainsi que https://droitdutravailensuisse.com/category/licenciement-immediat/). Je m’intéresse ici plutôt aux exigences supplémentaires qui semblent résulter de ces deux décisions.
Dans l’arrêt 4A_419/2015, qui concerne un licenciement immédiat, le Tribunal fédéral semble reconnaître à l’employé un droit d’être entendu préalable à toute décision le concernant. L’employeur doit, bien évidemment, éclaircir les faits propres à rompre le rapport de confiance, et clarifier les soupçons qu’il entretient. Ce processus de clarification est d’ailleurs à même de prolonger le délai de réaction ouvert à l’employeur, pour autant que celui-ci prenne immédiatement et sans discontinuer les mesures que l’on peut attendre de lui pour établir les faits. Mais il doit aussi, et c’est la nuance qu’introduit cet arrêt, entendre l’employé, instaurant ainsi une sorte de quasi droit d’être entendu, comme dans une procédure judiciaire.
L’arrêt 4A_694/2015 semble aller encore plus loin. Dans un cas de licenciement ordinaire, le Tribunal fédéral retient que l’employeur, en cas d’accusation grave (ici un vol dans un EMS), devait établir les faits de manière complète, au vu des circonstances, et prendre les mesures nécessaires en rapport. L’employeur aurait ainsi dû interroger un témoin, ce qu’il n’a pas fait. De la même manière, l’audition de l’employé, seul face à trois personnes (dont le directeur), conduite « sans ménagement » et sans possibilité de se faire assister, était critiquable. Or l’employé doit pouvoir équitablement défendre sa position quand son honneur professionnel est compromis, ce qui se déduirait de l’art. 328 CO. Dans ce contexte, on se rapproche, sans le dire tout à fait clairement, d’une situation où, en cas de soupçons graves, l’employé doit pouvoir bénéficier de garanties procédurales qui s’apparentent à celles qui seraient de mise dans un procès (préparer sa défense, se faire assister d’un conseil, faire administrer des preuves, etc.) J’ai montré ailleurs, dans le cas des enquêtes internes, que ce formalisme procédural pouvait poser d’importantes difficultés pratiques (https://droitdutravailensuisse.com/2016/07/26/faq-no-74-quels-sont-les-droits-du-salarie-vise-par-une-enquete-interne/).
Pratiquement, ces arrêts, en ce qu’ils renforcent les droits procéduraux des salariés susceptibles d’être visés par un congé-soupçon, compliquent et rendent plus difficiles le licenciement. Il s’agit d’une tendance lourde, que l’on a notamment aussi vue à l’œuvre dans le cas des salariés âgés et au bénéfice d’une grande ancienneté (https://droitdutravailensuisse.com/2015/12/02/la-protection-du-travailleur-age-au-benefice-dune-grande-anciennete-contre-la-resiliation-de-son-contrat/).
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon