
Introduction
Je reçois de nombreux appels de salariés qui subissent des pressions de leurs employeurs pour se faire vacciner ou tester périodiquement. Les déclarations récentes à l’emporte-pièce de certains politiciens en Suisse romande et en France contribuent largement à ces inquiétudes, dont on dira aussi qu’elles traduisent un climat au travail qui se détériore franchement.
Il importe de rappeler à titre liminaire que ces questions n’ont pas encore fait l’objet de jurisprudence, à ma connaissance, et qu’elles sont controversées même parmi les praticiens. Par ailleurs, les réponses dépendent pour l’essentiel des circonstances du cas d’espèce : type d’activité, contacts avec la clientèle, implication de populations « à risque », etc.
Cela étant dit, on peut donner les indications générales suivantes :
Il n’existe pas d’obligation vaccinale en Suisse.
L’art. 22 de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (Loi sur les épidémies, LEp ; RS 818.101), entrée en vigueur le 1er janvier 2016, prévoit certes que les « (…) cantons peuvent déclarer obligatoires des vaccinations pour les groupes à risques, pour les personnes particulièrement exposées et pour les personnes exerçant certaines activités, pour autant qu’un danger sérieux soit établi. »
Les vaccinations obligatoires constituent une atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10, al. 2, Cst.). L’art. 36 Cst. n’autorise de telles restrictions des droits fondamentaux que si elles sont: 1) fondées sur une base légale suffisante; 2) justifiées par un intérêt public (maladie très contagieuse avec une évolution potentiellement très grave); et 3) proportionnelles au but visé. Face à une maladie infectieuse grave, se propageant rapidement et provoquant de nombreux décès, la vaccination obligatoire pourrait s’imposer pour certaines catégories de personnes. Cette option stratégique est réservée aux cas où le but ne peut pas être atteint par d’autres mesures. (FF 2011 360)
L’art. 38 al. 1 de l’ordonnance du 29 avril 2015 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (Ordonnance sur les épidémies, OEp ; RS 818.101.1) prévoit que pour déterminer un « danger sérieux » au sens de l’art. 22 LEp, les autorités cantonales compétentes évaluent les éléments suivants: degré de gravité d’une éventuelle maladie et son risque de propagation; menace pour les personnes particulièrement vulnérables; situation épidémiologique au niveau cantonal, national et international en concertation avec l’OFSP; efficacité attendue d’une éventuelle obligation de vaccination; pertinence et efficacité d’autres mesures pour enrayer le risque sanitaire et leur efficacité. L’al. 2 précise qu’une obligation de vaccination pour des personnes exerçant certaines activités, en particulier dans le cadre d’établissements de soins, doit être limitée aux domaines dans lesquels il existe un risque accru de propagation de la maladie ou de mise en danger de personnes particulièrement vulnérables. Selon l’al. 3, une obligation de vaccination doit avoir une durée limitée ; elle ne peut pas être exécutée par contrainte physique.
L’obligation vaccinale ne peut donc pas être exécutée sous la contrainte physique (art. 38 al. 3 OEp), et les dispositions pénales de la LEp ne sanctionnent pas les récalcitrants.
Cela étant dit, il peut y avoir une contrainte « indirecte ». En effet, les récalcitrants peuvent être restreints dans l’accès à certaines professions ou interdits de certaines activités (art. 38 LEp) ou mis en quarantaine ou à l’isolement (art. 35 LEp).
Dans ce contexte, le droit au salaire des récalcitrants pourrait être remis en question.
Le sujet est complexe, mais on retient en effet généralement que le droit au paiement du salaire (art. 324a et 119 al. 3 CO) n’existe qu’en cas d’empêchement non fautif de travailler dû à une cause inhérente à la personne du travailleur, telle que maladie, accident, accomplissement d’une fonction légale ou publique. Or si le caractère fautif de l’empêchement s’interprète restrictivement, ce qui pourrait mener à l’exclure ici, car on ne peut pas dire que le refus de se faire vacciner soit une cause inhérente à la personne du travailleur. On pourrait par contre faire l’analogie avec l’impossibilité d’effectuer ses prestations découlant de facteurs objectifs (comme une tempête de neige ou un tremblement de terre « coinçant » le travailleur sans qu’il puisse se rendre au travail), voire appliquer l’art. 82 CO, et ce pour priver l’employé de son droit au salaire.
Enfin, on notera que l’art. 38 al. 2 OEp mentionne « en particulier » les « établissements de soins », ce qui montre que l’obligation vaccinale pourrait être étendue au-delà de ceux-ci.
Tests: proportionnalité et rapport avec l’exécution du travail
Le traitement de données des employés (art. 328b CO), y compris d’éventuelles données médicales comme la maladie, la sérologie, etc., obéit au fonds essentiellement aux mêmes contraintes que les mesures d’organisations prises par l’Employeur pour exécuter le travail, planifier l’activité, etc.
Il faut que les données et les mesures aient un rapport avec l’exécution et l’organisation du travail, d’une part, et qu’elles obéissent au principe de proportionnalité d’autre part.
Concrètement, comme dans tout cas de restriction des libertés fondamentales, c’est bien évidemment cette dernière condition qui est cruciale : la mesure permet-elle d’atteindre le but poursuivi ? D’autres mesures moins incisives comme des plans de protection permettraient-elles d’atteindre le même but ? Il faut également mettre en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée avec le résultat escompté en fonction du but visé.
On peut fortement douter que, dans la plupart des situations où l’employeur entende imposer des tests obligatoires, ceux-ci respectent le principe de proportionnalité, notamment pour ce qui est de l’utilisation de mesures moins incisives découlant de plans de protection. L’analyse devrait également se faire au cas par cas ou métier par métier, mais certainement pas en fonction d’une simple grille de lecture vaccinés/non vaccinés.
C’est sans compter encore la question des coûts des tests, qui seraient alors rendus nécessaires pour l’exécution du travail, et qui devraient donc être remboursés par l’employeur.
Conclusion
Les employeurs, comme les politiciens, devraient faire attention. L’épidémie n’est pas une excuse pour ignorer les principes du droit du travail et les fondements de notre Etat de droit. Il s’instaure un climat exécrable chez certains employeurs parce que d’aucuns, pour des raisons parfois honorables (protéger les plus faibles), parfois moins (pressions de clients), entendent imposer la vaccination (ce qui n’est pas possible) ou des tests réguliers (ce qui est envisageable dans certains cas très particuliers à des conditions restrictives). Ces questions, comme toutes questions médicales relatives aux employés, doivent se traiter prudemment, en respectant les droits de chacun, et en n’en faisant pas l’aliment de disputes et de conflits parfaitement évitables.
On rappellera pour finir que ce qui distingue un bon employeur (et un bon politicien), c’est aussi le calme, le sens de la mesure et le fait de susciter les passions les plus nobles.
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)