
En tant qu’employé de la ville de Genève, le recourant est soumis au statut du personnel ainsi qu’au règlement d’application du statut du personnel de la ville (REGAP – LC 21 152.0), adopté le 14 octobre 2009 par le CA.
En vertu de l’art. 3 du statut, les rapports de services des membres du personnel sont régis par le statut, les dispositions d’exécution, ainsi que, le cas échéant, les clauses du contrat de travail (al. 1) ; en cas de lacune, les dispositions pertinentes de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations – CO – RS 220) sont applicables à titre de droit public supplétif (al. 2).
S’applique dès lors, à titre de droit public supplétif, l’art. 337 CO, à teneur duquel l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs ; la partie qui résilie immédiatement le contrat doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande (al. 1) ; sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2) ; le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs, mais en aucun cas il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler (al. 3).
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en matière de contrat de travail de droit privé, la résiliation immédiate pour justes motifs de l’art. 337 CO est une mesure exceptionnelle qui ne doit être admise que de manière restrictive. Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat ; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. Une infraction pénale commise au détriment de l’employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur.
Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 du Code civil du10 décembre 1907 – CC – RS 210) ; à cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des incidents invoqués.
Selon la jurisprudence, les justes motifs de renvoi des fonctionnaires ou employés de l’État peuvent procéder de toutes circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, excluent la poursuite des rapports de service, même en l’absence de faute. De toute nature, ils peuvent relever d’événements ou de circonstances que l’intéressé ne pouvait éviter, ou au contraire d’activités, de comportements ou de situations qui lui sont imputables (arrêt du Tribunal fédéral 8C_638/2016 du18 août 2017 consid. 4.2 et les références citées).
Ces principes valent aussi lorsqu’un statut du personnel communal renvoie à l’art. 337 CO (ATA/466/2020 du 12 mai 2020 consid. 8c ; ATA/148/2018 précité consid. 8c ; ATA/308/2017 du 21 mars 2017 consid. 6d).
L’art. 337 CO ne fixe aucun délai pour communiquer une résiliation immédiate. Toutefois, pour que l’on puisse admettre que la continuation du rapport de travail était devenue insupportable, il faut non seulement que l’analyse objective des circonstances aboutisse à cette conclusion, mais encore que l’on puisse constater, d’un point de vue subjectif, que la situation était effectivement devenue insupportable. Or, si l’employeur tolère en connaissance de cause la présence de l’employé dans l’entreprise pendant un certain temps encore, on doit en déduire que la continuation du rapport de travail ne lui est pas devenue à ce point insupportable qu’il ne puisse pas attendre l’expiration ordinaire du contrat.
Les circonstances du cas concret déterminent le laps de temps dans lequel on peut raisonnablement attendre de la partie qu’elle prenne la décision de résilier le contrat immédiatement. De manière générale, la jurisprudence considère qu’un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables est suffisant pour réfléchir et prendre des renseignements juridiques, étant précisé que les week-ends et les jours fériés ne sont pas pris en considération.
Le Tribunal fédéral a résumé les critères à prendre en considération en cas de déclaration de résiliation immédiate des rapports de travail dans le droit privé et dans le droit public. Il a notamment rappelé que la jurisprudence relative à l’art. 337 CO, selon laquelle la partie qui résilie un contrat de travail en invoquant de justes motifs ne dispose que d’un court délai de réflexion pour signifier la rupture immédiate des relations de travail, n’était pas sans autre transposable en matière de rapports de travail de droit public. En ce domaine, le licenciement se fait en général par voie de décision motivée ; il est souvent précédé d’une enquête, en particulier quand il s’agit d’étayer ou d’infirmer des soupçons. Durant l’enquête, l’intéressé bénéficie des garanties propres à la procédure administrative. En particulier, le droit d’être entendu doit être respecté. Indépendamment de ces garanties, les contingences liées aux procédures internes d’une administration ne permettent souvent pas de prendre une décision immédiate, surtout lorsque la décision ne peut pas être prise par le supérieur hiérarchique direct mais qu’elle dépend d’une autorité de nomination qui se réunit périodiquement seulement et qui doit confier une instruction à l’un de ses membres ou à un enquêteur externe. Le Tribunal fédéral a néanmoins précisé que si les spécificités de la procédure administrative qui s’imposaient à l’employeur de droit public pour mettre fin aux rapports de service permettaient de lui accorder un délai de réaction plus long qu’en droit privé, il ne devait pas pour autant laisser traîner les choses, ni tarder à informer l’employé qu’une résiliation immédiate des rapports de service était envisagée.
D’après le Tribunal fédéral, l’employeur jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour juger si les manquements d’un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l’administration. En tant que les rapports de service relèvent du droit public, il doit néanmoins respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Celui-ci exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).
Le Tribunal fédéral a, dans les exemples ci-dessous, confirmé la validité du licenciement immédiat :
– un policier d’une commune zurichoise avait parqué de manière délibérée et répétée son véhicule privé devant le poste de police, en violation de la réglementation communale ; et cela, bien qu’il comptât vingt-cinq ans d’activité et qu’il approchât de son 60ème anniversaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_146/2014 du 26 juin 2014) ;
– un gardien de prison (chef de cuisine) avait été retrouvé en train de consommer de l’alcool avec un détenu. Compte tenu des devoirs particuliers qui incombent à un agent de prison, dont la fiabilité et l’intégrité jouent un rôle primordial, les premiers juges ne sont pas tombés dans l’arbitraire en considérant que les conditions du renvoi immédiat étaient réunies (arrêt du Tribunal fédéral 8C_780/2012 du 11 février 2012) ;
– un employé d’une base logistique de l’armée avait conservé sans autorisation des munitions (arrêt du Tribunal fédéral 8C_501/2013 du 18 novembre 2013).
Dans une affaire genevoise concernant un sergent-major instructeur de la police municipale et référent de l’école municipale y relative, ayant de bons états de service et dont les messages incriminés constituaient un acte isolé, le Tribunal fédéral a confirmé que le licenciement immédiat pour justes motifs était une sanction disproportionnée au vu, d’une part, de la gravité de la faute de l’intéressé et de l’absence d’antécédents et, d’autre part, de la possibilité de prendre d’autres mesures propres à atteindre le but visé, telles que la voie disciplinaire (art. 93 du statut) ou le changement d’affectation d’office (art. 94 et 41 al. 4 du statut). Selon le Tribunal fédéral, il existait un intérêt public considérable à sanctionner les manquements de l’intéressé, dont la gravité était particulièrement lourde pour un cadre de la police en charge de la formation des agents de la police municipale. Les autres mesures à disposition de l’autorité constituaient des mesures moins incisives que le licenciement immédiat pour atteindre les buts visés. Le fait qu’une autorité cantonale de recours annule, par un jugement entré en force, la décision de licenciement immédiat rendue par l’employeur public ne s’opposait pas en soi à ce que celui-ci résilie ensuite de manière ordinaire les rapports de travail sur la base du même état de fait, l’autorité de la chose jugée ne portant que sur la question du licenciement immédiat et non sur celle d’un éventuel licenciement pour motif objectivement fondé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2019 du 9 juillet 2020 consid. 4.3, 5.3.6 et 5.4).
En l’espèce, le recourant considère que le licenciement immédiat dont il a fait l’objet est tardif, illicite et disproportionné, de sorte qu’il doit être annulé et que sa réintégration doit être ordonnée.
À titre préalable, il convient d’examiner si l’autorité intimée aurait agi tardivement pour prononcer le licenciement immédiat du recourant.
Il ressort du dossier qu’après avoir été informé par le recourant le 14 mai 2021 de l’altercation survenue la veille, son supérieur hiérarchique a entendu le jour même des collègues du recourant, témoins des faits litigieux. L’autorité intimée expose, sans être contredite par le recourant, que la direction du B______ aurait reçu le 19 mai 2021 la plainte rédigée par le visiteur. Elle a alors, le 21 mai 2021, convoqué l’intéressé à un entretien le 25 mai 2021, soit le jour ouvrable suivant (les 22 et 23 mai tombant durant le week-end et le 24 mai étant un jour férié). Lors de cet entretien, les personnes présentes ont fait part de leurs doutes sur les capacités du recourant à exercer son travail et l’ont averti que le dossier serait transmis au département compétent, lequel donnerait la suite qui conviendrait. Le lendemain, soit le 26 mai 2021, le recourant a été suspendu avec effet immédiat par le maire d’alors de la ville. Le 1er juin 2021, soit quatre jours ouvrables plus tard, il a été informé de l’intention du CA de le licencier avec effet immédiat. Un délai de huit jours, soit au 9 juin 2021, lui a alors été imparti pour faire valoir ses observations et/ou solliciter son audition par une délégation du CA. Ce délai a été prolongé, à sa demande, au 15 juin 2021. Le CA a alors prononcé son licenciement immédiat par décision du 23 juin 2021, soit quatre jours ouvrables après avoir reçu la détermination de l’intéressé qui lui est parvenue le 17 juin 2021.
Dans ces circonstances, compte tenu des exigences découlant de la résiliation des rapports de droit public, soit notamment le respect du droit d’être entendu, l’obligation de rendre une décision motivée ou encore le fait que ladite décision doit émaner d’une autorité collégiale et non du supérieur hiérarchique direct, le temps écoulé entre les événements ayant motivé la décision litigieuse et la notification de cette dernière – étant relevé que ce délai a été prolongé d’une semaine à la demande du recourant , n’est pas critiquable, et ce même dans le contexte d’une résiliation immédiate des rapports de travail.
Il convient par ailleurs de déterminer si le recourant a contrevenu à ses devoirs généraux de membre du personnel (art. 82 ss du statut).
En l’occurrence, il a reconnu, tant dans son courriel à son supérieur hiérarchique puis lors de l’entretien du 25 mai 2021 et dans ses écritures devant la chambre de céans, la plupart des faits qui lui étaient reprochés, soit d’avoir eu une altercation avec un visiteur du B______ le 13 mai 2021.
Tant la plainte du visiteur adressée à la direction du B______ que les propos recueillis par le supérieur hiérarchique du recourant auprès des autres collaborateurs du musée présents le jour de l’altercation confirment l’existence de cette altercation, d’abord au sein même du B______, en présence d’autres visiteurs, puis dehors devant l’établissement culturel.
Force est dès lors de constater que le recourant a manqué par son attitude à son obligation d’établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public (art. 83 let. b du statut). Le fait que le visiteur se soit également emporté à son égard ne saurait justifier son comportement, et en particulier le fait de l’avoir insulté et de ne pas avoir réussi à stopper l’escalade de la dispute. Le recourant a également mis en danger la considération et la confiance dont le personnel de la ville doit faire l’objet (art. 83 let. c du statut), l’altercation s’étant déroulée devant d’autres visiteurs du B______ – en partie dans le hall d’entrée du musée puis à l’extérieur juste devant celui-ci , alors qu’il portait sa tenue de travail. Ce faisant, il a indéniablement manqué à ses devoirs de fonction (art. 84 let. a du statut). Ces manquements sont suffisamment graves pour justifier, à eux seuls, compte tenu de la jurisprudence précitée et du fait que l’altercation s’est déroulée en trois épisodes distincts, une rupture du lien de confiance, étant précisé pour le surplus que le recourant avait déjà fait l’objet d’avertissements suite à des problèmes de comportement.
Le recourant, qui reconnaît que sa réaction lors de l’altercation du 13 mai 2021 n’avait pas été « la plus adéquate de sa vie professionnelle », tente d’expliquer son comportement par sa situation familiale compliquée et une insomnie survenue la veille à la suite de sa vaccination contre la Covid-19. Sans nier ni même minimiser la souffrance causée par les problèmes de santé de sa fille, exacerbée peut-être par une éventuelle insomnie, il n’en demeure pas moins qu’il relevait de sa responsabilité de ne pas se rendre à son travail, et d’en avertir immédiatement sa hiérarchie, s’il n’était pas apte à remplir ses obligations professionnelles conformément à ses devoirs.
Il convient enfin d’examiner si le licenciement immédiat serait disproportionné, comme le relève le recourant.
L’intéressé, quoi qu’il en dise, ne peut se targuer de parfaits états de service, ce dernier ayant des antécédents disciplinaires. S’il est vrai que ces deux sanctions remontent à respectivement huit et sept ans avant les faits litigieux, le recourant a par ailleurs été convoqué à un entretien le 17 janvier 2019 par son supérieur hiérarchique au sujet d’une altercation avec un collègue de travail. Ce dernier incident n’a toutefois pas donné lieu au prononcé d’une sanction disciplinaire.
Son débordement lors de l’altercation du 13 mai 2021 ne saurait ainsi être considéré comme un acte isolé.
Il apparaît dès lors que le licenciement immédiat est apte à atteindre le but poursuivi. Il est nécessaire et proportionné, au sens étroit de cette notion, vu le non-respect à réitérées reprises par l’intéressé de ses devoirs de fonction. Il a manqué à ses devoirs de service, alors qu’un comportement adéquat d’un agent de sécurité et d’accueil, en lien avec les usagers, est particulièrement important. Reconnaissant ses torts, tout en minimisant leur importance, le recourant ne semble pas avoir pris conscience de la gravité des faits qui lui sont reprochés.
Compte tenu de la casuistique exposée ci-dessus et de l’ensemble des circonstances, la chambre de céans retiendra que c’est sans abus ni excès de son large pouvoir d’appréciation que la ville a retenu que le comportement du recourant, qui n’était pas à sa première transgression de ses devoirs de fonction, était de nature à justifier un licenciement immédiat pour justes motifs.
Au vu de ce qui précède, les conclusions du recourant tendant à sa réintégration seront également écartés.
(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice ATA/57/2022 du 25.01.2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)