L’appelante ne remet pas en cause le fait que le Tribunal ait considéré que les motifs à l’appui du congé n’étaient pas abusifs. Elle considère toutefois que le fait de reconnaître malgré tout que le congé était abusif du fait de la violation de l’art. 328 CO retenue par le Tribunal est contradictoire. Elle conteste d’autre part que les conditions de l’art. 328 CO soient réalisées.
Selon l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte dans les rapports de travail la personnalité du travailleur; il manifeste les égards voulus pour sa santé, veille au maintien de la moralité. Selon l’al. 2 de cette disposition, il prend pour protéger la vie, la santé, l’intégrité personnelle du travailleur les mesures commandées par l’expérience, applicables en l’état de la technique, et adaptées aux conditions de l’exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent équitablement de l’exiger de lui.
La portée de l’art. 328 CO dépasse de loin celle de l’art. 28 CC. En effet, elle impose à l’employeur non seulement le respect par abstention de la personnalité du travailleur mais aussi la prise de mesure concrète en vue de la protection de sa vie, de sa santé, de son intégrité personnelle. Parmi les biens protégés figurent non seulement la vie et la santé du travailleur mais aussi sa dignité, la considération dont il jouit dans l’entreprise, son honneur personnel et professionnel.
Une forme aigüe d’atteinte à l’intégrité est constituée par le harcèlement psychologique, soit un enchaînement de propos ou d’agissements hostiles répétés fréquemment pendant une période assez longue par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. Il faut distinguer du harcèlement le conflit dans les relations professionnelles ou une mauvaise ambiance de travail, ou le fait qu’un supérieur hiérarchique n’aurait pas satisfait pleinement et toujours au devoir qui lui incombe à l’égard des salariés.
Le caractère abusif d’un congé ne se réduit pas uniquement au caractère abusif du motif de congé au sens de l’art. 336 CO mais peut provenir également de la façon dont la partie qui résilie exerce son droit. Même lorsqu’une partie est fondée à résilier, elle doit le faire avec les égards dus à l’autre. Un comportement grossièrement contraire au contrat en particulier une sévère atteinte aux droits de la personnalité peut être considéré comme abusif.
Le congé n’est pas abusif si, en raison du caractère difficile d’un employé, une situation de conflits s’est créée sur la place de travail qui a eu des conséquences dommageables sur l’ensemble du travail effectué et lorsque l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour que le conflit soit désamorcé. Si l’employeur n’a pas agi ou seulement de manière insuffisante afin de trouver une solution au conflit, la résiliation peut toutefois être considérée comme abusive. Cependant un comportement uniquement inconvenant de l’employeur ne suffit pas pour qu’une résiliation soit considérée comme abusive. Il n’appartient pas à l’ordre juridique de sanctionner des comportements uniquement inconvenants.
En l’espèce, le Tribunal a retenu que les motifs à l’appui du licenciement n’étaient pas abusifs. Ceci n’est pas contesté. Il a toutefois condamné l’appelante au paiement d’une indemnité en faveur de l’intimée considérant que le caractère abusif du congé ressortait du comportement adopté par l’animateur de l’appelante à l’égard de l’employée avant, pendant et après le licenciement.
Contrairement à l’opinion exprimée par l’appelante, et conformément aux principes rappelés ci-dessus, ce raisonnement n’est pas contradictoire. Il s’inscrit au contraire dans la systématique de la loi, le congé pouvant être qualifié d’abusif quant à ses motifs (art. 336 CO) ou pour lui-même du fait de la manière dont il est donné (art. 328 CO).
Il ressort du dossier, dans le cas présent notamment des témoignages recueillis et des déclarations des parties, que les relations entre C______, animateur de l’appelante, et l’intimée n’étaient pas bonnes. Il ressort également de la procédure que l’animateur de la société adoptait de manière générale un comportement peu adéquat à l’égard de ses employées en élevant le ton contre elles et en leur faisant des reproches. Tel était le cas en particulier avec l’intimée. Il semble toutefois que l’ambiance générale au sein de l’entreprise en question, en particulier quant à la gestion du stress n’était pas optimale puisqu’autant l’animateur de celle-ci que les employées se laissaient à crier. Il ressort certes en outre des témoignages que l’animateur de l’appelante imposait à l’intimée une place de travail alors que semble-t-il les autres employées pouvaient choisir la leur. Cela étant, il ressort également des auditions de témoins que l’intimée, qualifiée par ailleurs de bonne téléphoniste, était un peu « je m’en foutiste », avait du mal avec l’autorité et avait eu une altercation avec une autre employée ce qui lui avait valu un avertissement.
Ces éléments ne présentent toutefois pas à eux seuls les caractéristiques qui permettent sur la base de l’art. 328 CO de retenir que le congé lui-même devrait être qualifié d’abusif. En effet, si les relations entre l’employée et l’animateur de l’employeuse étaient mauvaises, cet état de fait n’était pas dû uniquement à l’employeur mais également au caractère de l’employée qui est décrite comme insolente, ayant un problème avec l’autorité et avait précédemment subi un avertissement du fait d’une altercation avec l’une de ses collègues. En dernier lieu, force est d’admettre qu’il n’a été allégué en rien que l’éventuelle atteinte à la personnalité de l’intimée du fait du congé aurait été ressentie par elle comme une douleur morale concrète.
Certes la façon dont le congé a été donné (hurlements, coups dans une chaise) est particulièrement inconvenante. Ce comportement impulsif ne revêt pas la gravité nécessaire pour que les conséquences de l’art. 328 CO permettent de considérer le licenciement abusif en lui-même. Comme relevé plus haut, il n’appartient pas à l’ordre juridique de sanctionner les comportements uniquement inconvenants. La Chambre des prud’hommes considère toutefois qu’il s’agit d’un « cas limite ».
(Tiré de CAPH/202/2015)
En savoir plus sur le licenciement abusif et le harcèlement psychologique:
Philippe Ehrenström, Le droit du travail suisse de A à Z, Zurich, Weka Business Media AG, 2015, pp. 118-120 et 133-134