
A.A.________ et B.A.________ (ci-après: les contribuables) sont domiciliés dans le canton de Vaud. Le prénommé exerce une activité lucrative dépendante pour le compte de B.________ Sàrl depuis 1986 et B.A.________ est sans activité lucrative.
Le xx.yy 2011, A.A.________ et C.________ ont fondé et fait inscrire au registre du commerce la société D.________ Sàrl, qui avait notamment pour but la gestion d’établissements publics dans le domaine de la restauration, bars, cafés et discothèques. Les deux co-fondateurs étaient respectivement associé-gérant président et associé-gérant avec signature collective à deux. Du 15 juillet 2011 au 30 septembre 2015, cette société a été mise au bénéfice d’une autorisation d’exploiter l’enseigne « E.________ » à Lausanne, délivrée à A.A.________. D.________ Sàrl a été déclarée en faillite en mars 2016.
Le xx.yy 2011, A.A.________ et C.________ ont également fondé et fait inscrire au registre du commerce la société F.________ Sàrl, qui avait notamment pour but la gestion d’établissements publics dans le domaine de la restauration, bars, cafés et discothèques. Les deux co-fondateurs étaient respectivement associé-gérant président et associé-gérant avec signature collective à deux. Cette société a été mise au bénéfice d’une autorisation d’exploiter l’enseigne « W.________ » à Lausanne, délivrée à A.A.________, pour une période courant du 1 er décembre 2012 au 31 décembre 2015. F.________ Sàrl a été déclarée en faillite le en avril 2016.
Dès la période fiscale 2011, A.A.________ a volontairement attribué à sa fortune commerciale les parts de 50 % du capital social qu’il détenait dans les sociétés D.________ Sàrl et F.________ Sàrl.
Pour la période fiscale 2012, les contribuables ont déclaré un revenu de 240’588 fr. et revendiqué des pertes à hauteur de 149’652 fr. en lien avec une activité lucrative indépendante exercée par A.A.________. Pour l’année fiscale 2013, un revenu de 242’651 fr. a été déclaré et les contribuables ont revendiqué une perte à hauteur de 135’300 fr. liée à l’activité indépendante accessoire de l’époux. Pour l’année 2014, A.A.________ et B.A.________ ont déclaré un revenu imposable de 269’309 fr. et revendiqué des pertes de l’activité indépendante à hauteur de 50’557 fr.
Par décisions de taxation datées du 23 juin 2016 portant séparément sur les périodes fiscales 2012 à 2014, l’Office d’impôt des districts de Lausanne et Ouest lausannois a notamment refusé, pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) et pour l’impôt fédéral direct (ci-après: IFD), la déduction des pertes revendiquées au titre de l’exercice d’une activité indépendante accessoire.
Par décision sur réclamation du 17 juin 2021 relative aux périodes fiscales 2012 à 2014, l’Administration cantonale des impôts du canton de Vaud (ci-après: L’Administration fiscale) [a notamment] refusé la déduction des pertes revendiquées, motif pris de l’absence d’exercice d’une activité lucrative indépendante par A.A.________.
Statuant par arrêt du 11 août 2022 sur le recours des contribuables, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, l’a rejeté.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.A.________ et B.A.________ concluent à la réforme de l’arrêt cantonal en ce sens qu’il soit reconnu que A.A.________ a exercé une activité lucrative indépendante accessoire durant les années 2012 à 2014 et que les pertes liées à cette activité soient déduites de leurs revenus pour cette période. Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le litige porte sur la question de savoir si le recourant exerce une activité indépendante accessoire et partant, si les déductions des pertes qu’il revendique à ce titre, soit celles en lien avec l’amortissement des prêts qu’il a consentis à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl et les honoraires impayés par ces deux sociétés, peuvent être admises.
La juridiction cantonale a nié que le recourant ait exercé une activité lucrative indépendante de 2012 à 2014 pour plusieurs motifs. En premier lieu, les tâches effectuées par ce dernier en vertu de contrats de mandat passés avec D.________ Sàrl et F.________ Sàrl (soit notamment de gérer les établissements publics « E.________ » et « W.________ », prospecter la clientèle, communication et relations publiques) faisaient partie de ses obligations légales en vertu du droit des sociétés et ne relevaient pas de l’exercice d’une activité lucrative indépendante. Il ne disposait pas davantage de la liberté d’une personne de condition indépendante fournissant des prestations sous sa propre responsabilité et les honoraires qu’il avait facturés – du reste demeurés impayés par les sociétés précitées – étaient forfaitaires, de sorte que sur le plan économique, il n’avait pas la faculté de facturer les montants qu’il souhaitait. De plus, les prêts consentis à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl l’avaient été en sa qualité d’associé-gérant et non en lien avec une quelconque activité indépendante. A cela s’ajoutait que la comptabilité – établie et produite ultérieurement – ne faisait pas apparaitre de création de valeur ajoutée ou de « mobilisation de ressources », dans la mesure où seuls de modestes revenus ressortaient de celle-ci et que les actifs ne se composaient que des participations dans les sociétés précitées, ainsi que des prêts consentis à ces dernières.
L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus uniques ou périodiques, excepté les gains en capital réalisés lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée (art. 16 al. 1 et al. 3 LIFD). Sont imposables tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole, de l’exercice d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante (art. 18 al. 1 LIFD).
D’une manière générale, le concept d’activité lucrative indépendante englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l’engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie, dans le but d’obtenir un gain. Sont notamment des indices démontrant l’existence d’une telle activité: l’emploi de personnel, l’importance des investissements, une clientèle multiple et changeante et l’existence de locaux commerciaux propres. Une activité lucrative indépendante peut être exercée à titre principal ou accessoire et être durable ou temporaire. Pour déterminer si l’on se trouve en présence d’une activité lucrative indépendante, il convient toujours de se fonder sur l’ensemble des circonstances du cas. Pour être qualifiée d’indépendante, il est dans tous les cas décisif que l’activité dans son ensemble soit orientée vers l’obtention d’un gain, ce qui s’évalue selon un critère subjectif et un critère objectif. Le critère subjectif est rempli en présence d’une intention de réaliser un profit. Pour que le critère objectif soit considéré comme réalisé, l’activité doit être profitable dans la durée. Outre le critère de l’indépendance économique, celui de l’indépendance personnelle est également décisif pour qualifier une activité de dépendante ou d’indépendante du point de vue fiscal.
Les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont font notamment partie les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu’elles aient été comptabilisées (art. 27 al. 1 et 2 let. b LIFD). Les personnes physiques dont le revenu provient d’une activité lucrative indépendante et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration: a) les comptes annuels signés (bilan, compte de résultats) concernant la période fiscale; ou b) en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957 al. 2 CO: un relevé des recettes et des dépenses, de l’état de la fortune ainsi que des prélèvements et apports privés concernant la période fiscale (art. 125 al. 2 LIFD). Les exigences auxquelles doivent répondre les pièces comptables requises par l’art. 125 al. 2 LIFD dépendent des circonstances du cas d’espèce, en particulier du type d’activité et de l’ampleur de cette dernière. Dans tous les cas, elles doivent être propres à garantir une saisie complète et fiable du revenu et de la fortune liés à l’activité lucrative indépendante et pouvoir être contrôlées dans des conditions raisonnables par les autorités fiscales. Cette exigence est d’autant plus importante lorsque le contribuable entend alléguer des faits de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale, ce qu’il lui incombe de prouver.
En l’espèce, les recourants reprochent en substance aux premiers juges une « application arbitraire » des art. 18, 27 et 37 LIFD, ainsi que de l’art. 10 LHID, en ce qu’ils ont retenu que les tâches exercées par le recourant en qualité de gérant des établissements publics « E.________ » et « W.________ » faisaient partie de ses obligations légales en vertu du droit des sociétés. Partant, ils auraient omis à tort de considérer cette activité comme une activité lucrative indépendante. Ils font également valoir que les prêts consentis par le recourant en faveur de D.________ Sàrl et de F.________ Sàrl l’ont été dans le cadre de cette activité indépendante, puisque ces prêts visaient à « garantir l’exercice effectif de son activité de gérant [des] établissements publics et de développer son activité de fourniture de prestations de services de marketing, conseil et gestion ».
A titre liminaire, il sied de relever, ainsi que l’Administration cantonale le fait valoir, qu’il existe une discrépance flagrante entre le montant des pertes invoquées à l’appui des déclarations fiscales déposées par les recourants (2012: 149’652 fr.; 2013: 135’300 fr; 2014: 50’557 fr.) et celles qui ressortent de la comptabilité déposée (postérieurement) le 6 novembre 2017 (2012: 58’407 fr.; 2013: 236’760 fr.; 2014: 48’047 fr.). Or ces différences ne peuvent pas s’expliquer par le seul fait que les pertes d’exploitation concernaient non seulement les prêts litigieux, mais également l’impossibilité pour le recourant d’obtenir le paiement des honoraires facturés aux sociétés D.________ Sàrl et F.________ Sàrl, dont le montant représentait respectivement 2’500 fr. et 2’000 fr. facturé par trimestre selon les contrats de mandat. De ces différences qui ne s’expliquent pas, il découle que le montant des pertes revendiquées pour les périodes fiscales 2012 à 2014 ne peut pas être vérifié sur la base des pièces présentées par les recourants à l’Administration fiscale. De plus, et en raison de ces différences, on peut se demander si les pièces présentées offrent une garantie suffisante en ce qui concerne la saisie complète des opérations commerciales, et ce d’autant plus que les contribuables revendiquent des faits de nature à diminuer leur dette fiscale. La question de la preuve de la déduction des pertes litigieuses peut demeurer ouverte, compte tenu de ce qui suit.
A l’instar de la cour cantonale, on doit considérer que le recourant n’a pas exercé d’activité lucrative indépendante. En effet, les honoraires forfaitaires trimestriels de 2’500 fr., respectivement 2’000 fr. facturés à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl sur la base d’un « contrat de mandat » de manière trimestrielle ne permettent pas d’inférer une indépendance économique – qui constitue pourtant un critère décisif -, puisque ces honoraires n’ont jamais été payés au recourant, selon ses dires, sur plus de trois ans. Comme l’ont retenu à juste titre les premiers juges, l’absence d’une rémunération effectivement perçue de la part des « mandataires » précitées pendant trois années consécutives met en doute la volonté de réaliser un gain, et ce d’autant plus que l’activité déployée en faveur des sociétés précitées n’était manifestement pas profitable sur la durée. Quoi qu’il en soit, les autres indices permettant de conclure à une activité lucrative indépendante, soit l’emploi de personnel, l’importance des investissements permettant le développement de l’activité en cause, l’existence d’une clientèle multiple et changeante, ainsi que l’existence de locaux commerciaux propres font défaut dans le cas d’espèce. Ainsi, bien qu’il existât une faible activité commerciale provenant de modestes honoraires – manifestement forfaitaires – annuels compris entre 2’800 fr. et 6’000 fr. payés par trois clients provenant d’Italie, celle-ci n’est toutefois pas d’une intensité suffisante pour admettre l’existence d’une activité lucrative indépendante au sens de la jurisprudence, ainsi que la juridiction cantonale l’a retenu à bon droit et sans arbitraire.
En outre, l’argumentation des recourants, selon laquelle l’activité déployée et prévue dans les deux contrats de mandats concernait une activité de gérance des établissements publics précités et non pas les fonctions d’associé et/ou de gérant de D.________ Sàrl et F.________ Sàrl, et qu’elle constituait donc une activité indépendante, tombe à faux. En effet, la question de savoir si l’activité était déployée pour le compte des sociétés précitées ou pour les établissements publics qu’elles exploitaient n’est pas déterminante. On doit en effet constater (art. 105 al. 2 LTF) que les « contrats de mandat » prévoyaient chacun un taux d’occupation minimal de 15 heures par semaine, soit l’équivalent d’un 30 % d’un temps complet et que vu « l’importance du poste occupé, les heures supplémentaires [n’étaient pas] rémunérées ». Or de telles clauses contractuelles ne permettent pas, en l’espèce, de conclure à une quelconque indépendance organisationnelle et l’exclusion de rémunération pour des « heures supplémentaires » n’apparaît pas non plus compatible avec l’exercice d’une activité lucrative indépendante sur le plan économique.
Enfin, lorsque les recourants se contentent d’alléguer que les prêts consentis en faveur de D.________ Sàrl et de F.________ Sàrl visaient à « développer [une] activité de fourniture de prestations de services de marketing, conseil et gestion », ils ne démontrent pas, conformément à la jurisprudence (cf. ATF 142 III 364 consid. 2.4) que l’autorité précédente aurait méconnu le droit, lorsque celle-ci a retenu que la totalité des pièces bancaires produites à l’appui des déclarations d’impôt démontraient que c’était en qualité d’associé des deux sociétés à responsabilité limitée que les prêts avaient été consentis. On doit en effet constater (art. 105 al. 2 LTF) que les avis de débit des années 2013 et 2014, annexés aux déclarations d’impôt et auxquels la cour cantonale fait manifestement référence, font état, comme motifs des paiements du recourant à ses sociétés, de libellés tels que « prêt personnel de A.A.________ à D.________ […] » ou encore, s’agissant des versements en faveur de F.________ Sàrl, d’un « pr ê t personnel ».
En droit fiscal harmonisé, la notion de revenu imposable, ainsi que celle de pertes commerciales déductibles sont identiques à celles de la LIFD (art. 7 al. 1, 8 et 10 al. 1 let. c LHID; art. 19 al. 1, 20 et 21 al. 2 let. b de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux [LI; RSV 642.11]). Ainsi, dans la mesure où la notion d’activité lucrative indépendante doit être interprétée de la même manière qu’en droit fédéral (arrêt 2C_339/2020 du 5 janvier 2021 consid. 11), les considérations développées pour l’IFD trouvent à s’appliquer aux ICC. Le recours est donc également rejeté en ce qui concerne les impôts cantonaux et communaux.
(Arrêt du Tribunal fédéral 9C_658/2022 du 1er mai 2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)